Au cours des quinze dernières années, nous avons assisté aux augmentations continues et aux créations innovantes d’avantages et de réductions sur les salaires en faveur des employeurs. En effet, ceux-ci atteignaient « seulement » 1,325 milliards € en 1996 contre 9,254 milliards € en 2010.

Entre ces deux montants, diverses réductions de cotisations patronales ont vu le jour et ont été augmentées. De même, les subsides salariaux sur le précompte professionnel ont fait leur apparition.

(en millions €) 1996 2008 2009 2010
Réductions des cotisations patronales 1.306 4.917 4.722 4.628
Subsides salariaux 19 3.029 3.771 4.625

Source : Conseil centrale de l’Economie.

Alors que les données macroéconomiques en la matière sont annuellement publiées [1], qu’en est-il dans les entreprises ? En d’autres termes, les représentants des travailleurs ont-ils connaissance des différents avantages et réductions sur les salaires dont a bénéficié leur entreprise ?

Avant d’aborder directement cette question, il semble opportun d’expliquer brièvement les réductions de cotisations patronales et les avantages fiscaux sur les salaires évoqués ci-dessus.

 Les réductions de cotisations patronales

Outre le salaire brut (comprenant le salaire net, le précompte professionnel et la cotisation personnelle du travailleur à la Sécurité sociale), l’employeur du secteur privé verse à l’Office national de la Sécurité sociale (ONSS) des cotisations dites patronales. Leur montant est toutefois diminué pour l’ensemble des travailleurs : il s’agit des « réductions structurelles de cotisations à la Sécurité sociale ». Celles-ci s’élèvent à 400 € par trimestre par travailleur employé en temps plein. Ces réductions sont augmentées pour les bas et hauts salaires.

A côté de cette mesure structurelle, il existe des réductions supplémentaires de cotisations patronales pour certaines catégories de travailleurs. Ces réductions pour « groupes cibles » bénéficient aux employeurs des travailleurs âgés, des jeunes, des premiers engagements, des demandeurs d’emploi de longue durée ou encore pour ceux ayant mis en place une réduction collective du temps de travail.

En outre, il existe également le Maribel social qui correspond à une réduction supplémentaire (en sus de la réduction structurelle et d’une réduction pour groupe cible) des cotisations patronales dans le secteur du non-marchand.

Enfin, les titres-services ont été créés en 2004 et correspondent au versement par l’ONSS de 13,60 € à l’entreprise de ce secteur par chèque de 7,50 € [2].

 Les subsides salariaux

En 2004, une nouvelle voie a été créée : les subsides salariaux. Ceux-ci correspondent à une dispense de versement (en faveur de l’employeur) d’une partie du précompte professionnel du travailleur. Ce qui signifie que l’entièreté du précompte professionnel est prélevé du salaire brut du travailleur, mais une partie demeurera dans les caisses de l’entreprise. A l’origine, les subsides salariaux visaient uniquement le travail en équipe et de nuit. Concrètement, 1% du salaire brut imposable était ponctionné du précompte professionnel et restait chez l’employeur. Depuis, ce taux n’a cessé d’augmenter et atteint actuellement 15,6%.

Aujourd’hui, cette méthode est également utilisée sur le sursalaire des travailleurs prestant des heures supplémentaires. De même, 75% du précompte professionnel des travailleurs exerçant une activité de recherche et de développement restent dans l’entreprise. Enfin, les subsides salariaux ont été généralisés sur tous les travailleurs du secteur privé suite à l’accord interprofessionnel 2007-2008. En effet, les employeurs bénéficient d’une exonération de 1% [3] de la masse salariale brute du travailleur à partir de son précompte professionnel.

Au niveau national, l’addition de ces réductions et de ces avantages en faveur des employeurs est publiée et disponible. Qu’en est-il au sein de l’entreprise ? L’employeur doit-il informer le personnel des avantages et des réductions dont il a bénéficiés ?

  Les informations économiques et financières au conseil d’entreprise

En Belgique, les entreprises employant au moins 100 travailleurs peuvent disposer d’un organe de concertation appelé conseil d’entreprise au sein duquel siègeront les représentants des travailleurs (élus tous les quatre ans dans le cadre des élections sociales) et les représentants des employeurs (dont le chef d’entreprise ou son mandataire). Ce conseil se réunit tous les mois et a pour but d’informer et de consulter les représentants des travailleurs. Ceux-ci ont un pouvoir d’avis, de suggestion et d’objection ainsi que la capacité d’informer le personnel. Le conseil d’entreprise (dans son entièreté) est aussi habilité à prendre des décisions sur certaines matières précises (vacances annuels, désignation du réviseur,…).

En matière de consultation sur les données économiques et financières, l’arrêté royal du 27 novembre 1973 détermine les informations que doit remettre le chef d’entreprise aux représentants des travailleurs. A ce propos, il doit remettre annuellement l’information suivante : «  Un rapport sur l’application, l’utilisation et la répercussion dans son entreprise des mesures fiscales et financières d’encouragement prises par les pouvoirs publics, ainsi que sur les mesures prévues par les pouvoirs publics en vue de compenser et de réduire les charges de la Sécurité sociale et les charges sociales de l’entreprise. Ce rapport comprend les données chiffrées concernant l’année écoulée et les perspectives pour l’année suivante » [4] ;

Malheureusement, nous constatons sur le terrain que cette obligation n’est pas respectée par les employeurs. En effet, sur un échantillon de 74 entreprises [5], seul un employeur respectait l’article 17 de l’arrêté royal de 1973.
En outre, l’employeur doit remettre annuellement aux représentants des travailleurs un document provenant de l’ONSS détaillant les réductions de cotisations patronales dont il a bénéficiées [6]. Toutefois, nous constatons aussi que ce transfert d’information fait souvent défaut dans les conseils d’entreprises.

A ce propos quel est l’intérêt pour les représentants des travailleurs de disposer de ce type d’information ? De même, pourquoi les employeurs omettent-il de remettre cette information ?

 Qui possède l’information détient le pouvoir

Face aux plaintes régulières du banc patronal sur l’évolution des salaires, il apparaît important de connaître le montant exact des avantages et réductions sur les salaires. Dans le chef des syndicalistes, cette information peut permettre de contredire la direction, d’informer avec précision les travailleurs ou encore de relativiser le coût des revendications syndicales en les comparant avec les exonérations dont a bénéficié l’entreprise. Cette contre-argumentation (fondée sur des éléments tangibles) et cette information du personnel peuvent se révéler déterminant dans la création ou le renforcement du rapport de force.

De même, l’opacité entourant les montants des différents avantages, et ce, malgré une législation précise en matière d’information à remettre au conseil d’entreprise, permet au banc patronal de faire véhiculer des idées fausses sur l’évolution des salaires.

En conclusion, il est important d’agir au niveau de l’entreprise afin de recevoir une information complète (telle que le prévoit la législation). De plus, l’arrêté royal de 1973 mentionne que l’information doit contenir les « mesures fiscales et financières d’encouragement prises par les pouvoirs publics » (voir supra). Ce qui signifie que les données ne doivent pas se limiter aux seuls avantages sur les salaires. L’employeur doit remettre un rapport contenant aussi les réductions sur l’impôt des sociétés (nous pensons notamment aux intérêts notionnels) et les subventions.

Notes

[1Le Conseil central de l’Economie publie annuellement les informations sur les réductions de cotisations patronales et sur les subsides salariaux dans son rapport technique sur l’évolution du coût salarial.

[2Montants au 1er janvier 2009.

[3Depuis le 1er janvier 2010. En 2007, ce taux était de 0,25%.

[4Arrêté royal du 27 novembre 1973, art. 17, 3°.

[5Sur base des analyses réalisées par le service d’études économiques de La Centrale Générale – FGTB.

[6Ce document s’intitule : « Aperçu annuel des mesures en faveur de l’emploi – Trillium ».