Nicolas Bardos, professeur émérite de l’Université Catholique de Louvain (UCL), propose dans cet article d’analyser la crise actuelle sous l’angle de l’ approche géoéconomique. En rappelant tout d’abord le rôle joué par les banques et les autres acteurs de la finance en ce début de 21ème siècle, l’auteur s’interroge sur l’avenir du capitalisme. La crise actuelle signifierait-elle le début d’une nouvelle phase d’un cycle de Kondratieff ainsi que la fin d’une « période longue » au sens de Braudel et Wallerstein ?
Comme à l’accoutumée, c’est avec une grande clarté que Robert Cobbaut
nous explique la crise financière, « de la genèse à l’apocalypse » dans La
Revue Nouvelle de février 2009, et que Reginald Savage questionne : « La
croissance a-t-elle un sens ? » (dans la même revue en mars 2009). Rien n’est à y ajouter et ces textes restent absolument à lire. Mon propos consiste donc
plutôt à m’interroger en complément sur :
• l’environnement de cette crise financière qui, selon moi, fait partie d’une
crise plus globale touchant des domaines variés et plus fondamentalement
la société entière, avec ses inégalités croissantes et l’excès de richesse
d’une petite minorité ; cette crise correspond à celles de l’alimentation,
de la surproduction, aux crises bancaire et financière, énergétique,
de l’emploi et de l’environnement, qui toutes se cumulent ;
• l’évolution de fond que ces crises entretiennent, dans laquelle se modifient
les rapports de force géopolitiques, y compris dans leurs dimensions
géo-économiques, et apparaissent « l’avènement, la prospérité et le déclin
des empires ».
En ce début 2009, on se trouve en effet dans une situation bien spécifique et
on aurait tort de l’oublier. En réalité, dans le monde, une triple mutation pèse
sur le capitalisme en tant que tel et sur les rapports de force entre les grandes
puissances. Il s’agit bien entendu de plusieurs bouleversements :
• la crise générale a ses origines aux Etats-Unis d’Amérique (EUA), qui
sont sur-endettés et sans surveillance économique réelle ; elle fait suite
à la substitution partielle et progressive, durant la dernière décennie, de
l’euro au dollar en tant que devise-clé à l’échelle mondiale ;
• la crise militaire en Caucasie méridionale, où le conflit russo-américain a
été marqué par le holà que la Russie a signifié aux EUA, après que ces
derniers eussent déjà perdu leurs positions en Asie centrale, en sa faveur
et en faveur de la Chine ;
• les admonestations récentes de la Chine aux EUA à propos de leur endettement et de la nécessité de mieux gérer le pays pour rassurer leurs
prêteurs, dont précisément la Chine, le plus important d’entre eux.
Dans les trois cas, la position hégémonique des EUA est mise en question.
Pour moi, il serait illusoire, voire dangereux de croire qu’avec le changement
significatif du ton d’Obama, la politique extérieure des EUA change en quoi
que ce soit dans l’avenir [1], encore que la forme du discours puisse avoir un certain impact sur les évolutions. Le resurgissement des « atlantistes » en Europe peut voir ceux-ci gagner quelques batailles telles que la quasi adhésion
d’Israël à l’UE, mais ils ne peuvent pas triompher indéfiniment. Pour sa part,
la rhétorique anti-protectionniste développée des deux côtés de l’Atlantique
vise, me semble-t-il, à empêcher de voir clair et de chercher des solutions
originales après la vague de libéralisation, des privatisations et de la « désétatisation » de ces dernières décennies.
Dans cet article, je me limiterai à explorer la nature et le contexte non financiers de la crise bancaire ; ensuite je resituerai cette dernière dans la crise
générale pour esquisser enfin l’hypothèse suivante : je me demande en fait si
l’on n’assiste pas à un croisement, une juxtaposition entre la fin d’un développement de plusieurs décennies, voire de siècles et une tendance conjoncturelle, avec leurs répercussions multiples dans le domaine monétaire. Donc le raisonnement tenu aura un caractère circulaire : commencer et terminer avec les banques [2] !
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