Je me souviens.
C’était il y a longtemps, mais je me souviens. Oui, je me souviens des gouvernements Martens, Dehaene, Verhofstadt et consorts dire aux enseignants : « aïe, aïe, aïe, on n’a plus de sous dans les caisses publiques, va falloir vous serrez la ceinture budgétaire ! » Et les moyens financiers de l’enseignement de fondre comme neige au soleil [1]… Mais après tout, qu’est-ce l’enseignement ? Juste une transmission de savoirs censée fournir aux enfants - à TOUS les enfants et adolescents - quelques outils et connaissances pour s’en sortir quand ils seront grands.
Je me souviens aussi des infirmières. Oui, je me souviens des infirmières dans un hôpital que j’ai fréquenté longtemps, accompagnant mon amoureuse habitée d’un cancer. C’était un long voyage, éprouvant, où les bonnes nouvelles étaient rares et où l’ennemi gagnait du terrain. Le corps de mon amoureuse était un champ d’os métastasés et de douleurs insupportables. Certaines étaient provoquées par la maladie, d’autres par les soins médicaux. Ainsi, chaque nouvelle chimio nécessitait une prise de sang préalable pour connaître l’état de forme de ses globules blancs [2] : les infirmières enfonçaient une aiguille dans son bras, parfois à plusieurs reprises jusqu’à trouver la veine où la pression sanguine était suffisante, ajoutant de nouvelles souffrances dans un champ d’os métastasés et de douleurs insupportables… Puis, un jour, on lui a placé un portacath, c’est-à-dire une petite porte d’entrée permanente dans une veine pour éviter d’avoir sans cesse à lui piquer la peau. En apparence, c’était une bien modeste manière de diminuer ses souffrances ; pourtant, moi je me souviens de ce soulagement, de cet incroyable rayon de soleil que fut pour elle ce portacath au moment d’affronter ses rendez-vous médicaux. Enfin une piqûre supprimée, enfin une douleur de moins dans une journée qui en recelait tant…
Je n’ai rien oublié de cela. Ça reste gravé dans mon cœur, tout comme sa terreur, quelques mois plus tard, quand il fut question de supprimer l’usage du portacath pour effectuer les prises de sang. La raison était budgétaire : parce qu’il nécessite des infirmières spécialisées et quelques précautions d’usage, le portacath ralentissait le flux des patients... Rendement oblige, l’hôpital envisageait de se passer du portacath pour les prises de sang. Comment une décision aussi imbécile pouvait-elle être prise ? Alors oui, je me souviens aussi de ces « non » gouvernementaux aux demandes répétées des infirmières pour mieux financer leur profession. Et très franchement, j’ai honte pour ces hommes et femmes politiques qui manient la négation budgétaire publique comme s’il s’agissait de supprimer un luxe anodin au pays du superflu…
Je me souviens aussi des pompiers. Jamais je n’aurai le courage de ces gens s’enfonçant dans d’opaques fumées, risquant leur peau pour sauver des inconnus en proie à la voracité des flammes. Là encore, je me souviens des discours austéritaires de nos gouvernements s’adressant aux pompiers : « désolé, on aimerait tant vous donner plus, mais cela supposerait qu’on ait les moyens nécessaires. Malheureusement, il n’y a plus de sous dans les caisses publiques, alors, franchement, désolé »…
Un régime d’austérité performant !
Bien sûr, nous expliquèrent les gouvernements successifs, tout cela fut triste mais bien nécessaire. Grâce à ces mesures d’économie, grâce aux sacrifices financiers exigés de la population, le miracle a eu lieu : la dette publique belge a fondu comme neige au soleil… En 1993, l’endettement public surpassait largement les richesses matérielles produites en Belgique : la dette publique s’élevait alors à 137,8% du PIB [3]. Dix ans plus tard, l’endettement public avait tellement maigri qu’il était à peu près équivalent aux richesses matérielles produites en Belgique : la dette publique s’élevait alors à 101,2% du PIB. Prenons nos calculettes : 137,8 % (chiffre de 1993) moins 101,2% (chiffre de 2003) nous donne une réduction approximative de 36% sur dix ans. Soit une diminution annuelle moyenne de 3,6%. Dans les années qui ont suivi, le déficit public a continué à se dégonfler au même rythme : 101,2% en 2003, 98,6% en 2004, 94,7% en 2005, 90,7% en 2006, 86,7% en 2007, etc. - soit toujours une réduction annuelle moyenne de 3,6%.
À coup sûr, ce fut une belle cure d’amaigrissement !
Et comme on n’a pas donné plus d’argent aux infirmières, aux enseignants, aux pompiers et à l’ensemble des professions d’intérêt général, la suite de l’histoire est facile à écrire : sept années se sont écoulées entre 2007 et 2014, ce qui nous donne (au rythme annuel de - 3,6%) une diminution globale de l’endettement public de 25%. C’est donc une excellente nouvelle : à l’heure où j’écris ces lignes, l’endettement public belge est descendu à 61% du PIB. Un beau résultat, obtenu grâce aux années de sacrifice des pompiers, infirmières et… Tiens, mais que se passe-t-il ?
C’est bizarre, mais la Banque Nationale de Belgique n’est pas d’accord avec mes résultats. Selon elle, la dette publique belge (comparée au PIB) n’est pas de 61% en 2014, mais bien de 106,6% ! Cela fait une fameuse différence… Et je ne vois vraiment pas d’où la Banque Nationale de Belgique peut tirer ce chiffre incompréhensible ?! À ce que je sache, l’austérité budgétaire s’est invariablement poursuivie entre 2007 et aujourd’hui. Depuis 2011, de nouveaux accords européens aux noms incompréhensibles (TSCG, Two Pack, Six Pack) l’ont même renforcée. Très logiquement, l’endettement public belge aurait donc dû poursuivre sa cure d’amaigrissement. Mais la Banque Nationale de Belgique affirme le contraire.
D’où vient le problème ?
…
Manifestement, c’est à partir de 2008 que les chiffres de la Banque Nationale de Belgique et les miens divergent…
…
Je réfléchis.
…
Qu’est-ce qui a bien pu se passer à cette époque
…
A-t-on donné plus de sous aux infirmières, aux pompiers, aux enseignants, aux métiers de service public ?
…
Non, ça je m’en souviendrais.
…
Alors, quoi ?
…
Ah mais oui, j’y suis, bien sûr ! La crise financière…
Les banques, l’État et l’économie : une relation à géométrie variable…
Au milieu des années 2000, attirées par les profits faciles, de nombreuses banques ont investi des moyens financiers colossaux dans des produits à hauts risques : le jeu consistait à prêter de l’argent, beaucoup d’argent, à des gens incapables de le rembourser à long terme. A priori, quand ceux-ci finissaient à la rue faute de pouvoir payer leurs traites sur leur emprunt immobilier, il n’y avait pas de quoi s’en faire. La banque faisait main basse sur l’appartement ou la maison du nouveau SDF, puis mettait ce bien en vente et récupérait son argent avec un profit à la clé. Immoral en diable, ce petit jeu spéculatif a gagné de l’ampleur au fil des années, rapportant des profits considérables au monde bancaire (parce qu’à hauts risques, ces prêts rapportaient des taux d’intérêts faramineux aux banques). Puis arriva ce qui devait arriver : un jour, les pauvres incapables de rembourser leurs emprunts immobiliers furent des milliers à être jetés simultanément à la rue. Du coup, des milliers d’appartements et de maisons se retrouvèrent en vente au même moment, entraînant une descente en chute libre des prix du marché immobilier. Or, ce prix était la seule garantie des banques de ne pas finir (comme les pauvres qu’elles jetaient à la rue) sous un pont. Et ce fut la bérézina bancaire…
Voilà comment, en 2007 et 2008, des banques qui avaient spéculé de façon immorale, des banques qui s’étaient lamentablement plantées dans leurs investissements, des banques qui avaient mal fait leur boulot, des banques qui avaient tout faux sur toute la ligne, voilà comment des banques se sont retrouvées, criblées de dettes, au bord de la faillite.
Avant de mourir, les banques ont quand même essayé un truc. Tout comme les infirmières, les pompiers ou les enseignants, les banques sont allées voir les gouvernements pour leur demander de l’argent : « bonjour, nous sommes des banquiers incompétents. On a mal fait notre boulot, on s’en est mis plein les poches durant des années, on a spéculé sur le dos de pauvres gens incapables de rembourser leurs prêts, mais comme les maisons qu’on leur prend quand ils sont jetés à la rue ne valent plus un clou, nous voici à notre tour endettées jusqu’au cou… C’est triste, mais à force d’avoir trop aimé les produits financiers tout pourris, du fait de notre irresponsabilité collective, nous allons tomber en faillite. Par hasard, est-ce que vous pourriez nous aider ? ».
Et les gouvernements européens de répondre en chœur : « bien sûr que nous allons vous aider. Les règles de l’économie s’appliquent aux gens, aux citoyens, mais pas aux banques. On va dire à la population que vous êtes trop grands pour mourir, ou trop beaux, ou n’importe quoi d’autre, qu’importe le prétexte, mais on va vous sauver ! Des sous publics, de l’argent des impôts, on va vous en donner ! Tout ce qu’on a refusé aux autres (infirmières, enseignants, pompiers…), et bien on va vous le donner ! Tenez, disons qu’on peut vous offrir 1.600 milliards d’euros d’argent public, de l’argent des impôts, et ainsi vous échapperez à la faillite due à votre bêtise et à votre irresponsabilité. »
1.600 milliards d’euros : c’est l’argent public, l’argent de nos impôts, qui a été donné dans toute l’Europe pour sauver les banques privées de la faillite. C’était contraire aux dogmes capitalistes (selon lequel une firme privée incapable de rembourser ses dettes tombe en faillite), c’était contraire aux lois européennes (interdisant aux États d’aider de façon discriminatoire des entreprises privées), c’était également contraire à l’éthique et à la morale, mais c’est pourtant ce qu’ont fait nos gouvernements. Affirmant, le cœur sur la main, qu’ils allaient mieux contrôler les banques, leur mettre une muselière, domestiquer le capitalisme, empêcher de nouvelles spéculations financières et mettre un terme à tous les abus du secteur. Promesses qui, à ce jour, sont restées lettre morte !
Finalement, le seul effet concret de la crise financière et du sauvetage bancaire fut… l’envol de l’endettement public. Alors que la dette publique belge (comparée au PIB) avait fondu d’environ 50% entre 1993 et 2007 (passant de 137,8% à 86,7%), elle a regrossi de 20% entre 2007 et 2014 pour peser à nouveau davantage (106,6%) que les richesses produites.
Pour le dire en mots de tous les jours : les sacrifices budgétaires, imposés durant plusieurs décennies aux populations pour réduire l’endettement public, ont vu tous leurs effets annulés suite aux bêtises du monde bancaire… Des bêtises faites avec la complicité de nos gouvernements, qui ont insuffisamment régulé le secteur financier, puis qui ont oublié leurs dogmes économiques pour agir selon le principe suivant : « plus une banque a déconné en spéculant sauvagement, plus il faut l’aider avec l’argent public à se sortir des griffes de la faillite ».
Et la Grèce dans tout ça ?
Il faut se souvenir de cette histoire pour comprendre le sens de la crise grecque. Le gouvernement d’Athènes a besoin d’argent frais pour payer ses fonctionnaires, les pensions, les services publics et faire face à toutes ses dépenses. Malheureusement, la Grèce est pieds et poings liés à la volonté des marchés financiers et des gouvernements européens.
Les marchés financiers sont maîtres du jeu car, à la création de l’euro, les gouvernements nationaux de l’Union européenne ont opté pour un principe aberrant : la Banque Centrale Européenne (institution publique) peut prêter de l’argent aux banques privées, mais jamais aux gouvernements et aux institutions publiques. Un État devant emprunter est donc condamné à aller voir les marchés financiers… sauf si - ô miracle - d’autres États veulent bien l’aider.
C’est là qu’entrent en jeu les gouvernements nationaux. Tout comme ils ont choisi (en 2008) d’aider les banques à ne pas tomber en faillite, ceux-ci peuvent choisir d’aider ou de ne pas aider la Grèce. Laquelle a vu son endettement public grimper de 100% du PIB (en 2007) à un peu plus de 140% en 2010. Comme chez nous, les spéculations bancaires et la crise financière ont coûté chers aux Grecs ! Lesquels y ont perdu, au passage, pas mal de droits sociaux et démocratiques…
En 2010, le destin de la Grèce est pris en mains par la Troïka (Banque Centrale Européenne, Commission européenne, Fonds Monétaire International), soit trois instances de décisions non élues, sans légitimité démocratique. Pourtant, la Troïka a exigé et imposé, en échange d’argent frais, des réformes en profondeur de la Grèce.
Quelles réformes ? Des coupes massives dans les dépenses publiques (licenciements de fonctionnaires, recul des droits sociaux, fermetures d’hôpitaux, réductions carabinées des politiques de solidarité, etc.), des rentrées financières one shot (privatisation des services publics, ventes du patrimoine naturel), le tout s’accompagnant du démantèlement des droits des travailleurs (baisse des salaires, flexibilité des contrats de travail, …) pour convaincre les entreprises d’investir et de créer de l’emploi. Bref, de la super austérité mixée avec de l’ultralibéralisme !
À quels résultats a conduit cette super austérité ?
Sur le plan de la dette publique grecque, à une catastrophe : entre 2010 et 2012, la dette publique grecque a grimpé de 140% à 171,3% du PIB ! En cause : les faillites et licenciements consécutifs à la crise financière (comme en Belgique), mais aussi l’appauvrissement extrême de la population grecque (synonyme de montée du chômage, de fermetures d’entreprises, de baisse des impôts, de diminution des recettes de la TVA…) suite aux plans d’austérité. Loin d’avoir aidé la Grèce, la super austérité l’a enfoncée !
Quant au peuple grec, il vit une tragédie historique : la pauvreté a augmenté de 98%, le chômage de 190%, les taux de dépression de 272%,la mortalité infantile de 43% et l’on compte deux suicides par jour… [4] N’en jetons plus : la coupe est pleine.
Le constat s’impose : il est irresponsable de demander aux Grecs de continuer à mourir sur l’autel de l’austérité. C’est une politique aussi inefficace (le déficit public continue d’augmenter) que criminelle, car elle jette des gens à la rue et tue régulièrement, en Grèce, des hommes, femmes, enfants, bébés…
Aimer la démocratie ?
L’économie est une chose politique, une convention sociale qui peut évoluer avec le temps. Ainsi, les banques privées ont été sauvées de la faillite en 2008 parce que les gouvernements en ont décidé ainsi. Leur décision, à l’époque, fut de suspendre les sacro-saintes lois de l’économie…
De même, aujourd’hui, les gouvernements nationaux membres de l’Union européenne pourraient décider d’aider vraiment la Grèce. Par exemple, en luttant VRAIMENT contre l’évasion fiscale. Ou en harmonisant la fiscalité des entreprises au niveau européen, mettant ainsi fin au shopping fiscal des multinationales qui se localisent là où les impôts sont ridiculement bas (entraînant du coup une baisse des recettes fiscales des États). Les gouvernements européens pourraient également tenir leur promesse de mieux réguler les marchés financiers en introduisant une taxe sur les transactions financières. Autant de mesures qui rapporteraient de l’argent dans les caisses publiques, et permettraient une réelle diminution des déficits publics… et une certaine solidarité avec la Grèce.
Tôt ou tard, les gouvernements nationaux membres de l’Union européenne devront également reconnaître que la Grèce ne remboursera pas toute sa dette. Il aurait mieux valut faire ce constat avant de saigner les Grecs à blanc. Il vaudrait mieux faire se constat rapidement, par exemple avec que les Grecs désespérés ne se jettent massivement dans les bras d’Aube dorée (le parti d’extrême-droite grec). Mais ce constat - la Grèce ne remboursera pas toute sa dette - aura lieu, tôt ou tard. C’est dans cette optique que le gouvernement grec a créé, en avril 2015, une Commission pour la vérité sur la dette grecque. Son objectif ? Évaluer l’ensemble de la dette grecque pour distinguer la partie légitime, devant être remboursée, des parties ne devant pas être remboursées (car illégitimes, illégales, odieuses ou insoutenables [5]).
Malheureusement, l’ensemble des gouvernements membres de l’Union européenne - à l’exception du gouvernement grec, bien entendu - nie pour l’heure ce travail d’analyse démocratique. À ce petit jeu, la Belgique fait la course en tête avec un Premier Sinistre, Charles Michel, donneur de leçons : « La fin de la récréation a sonné pour les Grecs. […]. Nous avons été patients, nous attendons maintenant des engagements concrets de la Grèce » [6]. Par engagement concret, Charles Michel entend de nouveaux reculs sociaux, de nouvelles coupes budgétaires, de nouvelles réductions salariales, bref de la super austérité ! C’est également le cas du député européen Guy Verhostadt (Open.VLD) qui s’en est pris vertement au Premier Ministre grec : « Je suis fâché ! Vous nous dites que vous faites des réformes, mais on ne voit pas la moindre proposition concrète de réformes ! […] Vous devez dégraisser le secteur public ! Je sais que ce n’est pas une mesure bien vue à gauche mais il faut le faire ! Monsieur Tsipras, vous devez transformer les banques publiques en un secteur bancaire privé. Vous devez ouvrir les marchés ! […] Alors montrez-nous que vous êtes un vrai leader et pas un faux prophète ! » [7].
Le plus étonnant, dans ces déclarations, n’est pas l’intégrisme idéologique de Guy Verhofstadt ou de Charles Michel. Le plus étonnant n’est pas, non plus, de les voir prêts à sacrifier davantage d’hommes et de femmes grecs sur l’autel de l’austérité. Le plus étonnant, à mon sens, est de constater qu’ils sont capables de parler comme si la crise financière de 2008 n’avait jamais pas existé.
Ont-ils oublié que leurs partis respectifs ont alors contribué à sauver, avec de l’argent public, des banques privées de la faillite ?
Ont-ils oublié qu’ils ont eux-mêmes, à l’époque, mis de côté leur cher adage Chacun doit toujours rembourser ses dettes ?
Ont-ils oublié comment ils ont nettoyé les errements du monde bancaire à nos frais ?
Ont-ils oublié que l’économie est une chose politique, une convention sociale qui évolue avec le temps ? Et qu’on peut choisir de tendre (ou non) la main à celles et ceux qui en ont besoin ?
Ces remarques, visant nos personnalités politiques, s’étendent bien sûr à l’ensemble des dirigeants de la zone euro. À l’heure de boucler ces lignes, en ce petit matin du 13 juillet 2015, les Ministres des Finances de la zone euro s’apprêtent à tuer la Grèce d’une manière (l’exclure d’autorité de la zone euro, sans lui laisser le temps de se retourner [8]) ou d’une autre (imposer de nouvelles couches de cynisme financier, d’austérité, de privatisations et de démantèlement des droits sociaux à un peuple qui vit déjà cet enfer depuis cinq années).
Au fond, derrière le débat de la dette grecque et du sort de ses millions d’habitants, la vraie question qui se joue aujourd’hui est celle de la démocratie. Et de son poids, bien mince, face aux diktats de l’économie.
Présentées aujourd’hui comme des lois d’airain que nul ne peut enfreindre, les logiques financières se sont pourtant évaporées - par consensus entre le monde politique et le monde des affaires - à l’époque de la crise financière. Pourquoi sauve-t-on des banques privées spéculatrices de la faillite ? Et pourquoi flingue-t-on un peuple entier au nom de l’intégrisme économique ? Tout simplement parce qu’il y a consensus entre le mondes des affaires et le monde politique pour nourrir d’argent frais des actionnaires et des marchés financiers de plus en plus cupides, de plus en plus sourds aux besoins citoyens…
En votant massivement pour Syriza, puis en se prononçant contre les diktats européens lors du référendum de juillet 2015, la population grecque a montré qu’elle voulait autre chose. Autre chose que cette litanie sans fins d’arguments financiers servant à la sacrifier sur l’autel de l’austérité.
Les élites qui nous gouvernent acceptent-elles de débattre avec des dirigeants élus ayant un point de vue radicalement différent du leur ?
Ou bien considèrent-ils - à l’instar de Guy Verhofstadt - que le choix des populations importe peu et que la même politique (imbécile, rigide et meurtrière) doit s’appliquer ici, là-bas, partout et toujours ?
Pour l’heure, l’Union européenne et les gouvernements qui la composent (à l’exception de la Grèce) ne veulent qu’une chose : imposer partout, quel que soit le gouvernement élu, les mêmes politiques de rigueur, de reculs sociaux et d’austérité aux populations.
Pour ma part, je pense qu’il est vital d’aimer la démocratie et de soutenir le peuple grec. Ce qui suppose d’arrêter de prendre l’économie pour un Dieu infaillible, dont on devrait respecter les diktats à la lettre. Inventée il y a moins de deux siècles, cette pseudoscience n’est rien d’autre que le reflet des rapports de force et des consensus sociaux du moment. Et notre époque est une bien triste époque, en vérité…