Les politiques économiques néolibérales reposent sur un postulat théorique. Le maintien d’un taux de chômage « naturel » permet de lutter contre l’inflation et indirectement de protéger les patrimoines financiers et le taux de profit. En Europe, ce chômage nécessaire porte un nom : le NAIRU (Non Accelerating Inflation Rate of Unemployement). Ce texte de 2007 propose d’en discuter les contours.

Ce vendredi 11 mai, le Bureau du Plan présentait ses « perspectives économiques 2007-2012 ». Son édition précédente avait débouché sur la question parlementaire ci-dessous. Cette nouvelle édition comporte encore une fois tout un chapitre sur le NAIRU, entendu ici comme « réserve de main-d’œuvre et chômage ». C’est significatif.

D’après le Bureau du Plan le taux de chômage s’est légèrement tassé en 2005 à 14.3%. En 2006, le nombre de chômeurs aurait sensiblement baissé (de 15.000 personnes) de sorte que le taux de chômage serait tombé à 13.9%. Quid du NAIRU ?

 Trop peu de chômeurs « actifs »

En plein boom informatique, la Belgique aurait connu des tensions salariales (en réalité ciblées dans les secteurs informatiques et celui des transports). Pour le Bureau, il est clair que le lien est à trouver dans un « unemployment gap » négatif. En clair, un taux de chômage inférieur au NAIRU. Donc début 2000, le taux de chômage fut trop bas, causa des « tensions » sur le marché du travail, provoqua des hausses de salaires.

Solution prônée : réduire la différence entre le taux de chômage et le taux de chômage EFT (Enquête sur les Forces de Travail) qui représente le nombre de personnes réellement en recherche de travail. Car le danger est réel, comme le montre ce tableau extrait de ses « perspectives », de voir le taux de chômage bientôt descendre sous le NAIRU, et ainsi devoir subir de nou¬velles hausses de salaires... Brrrr, mauvais pour les actionnaires !

Source : « D. Réserve de main d’oeuvre et chômage » pp 78-82, in Perspectives économiques
2007-2012 », Mai 2007, Bureau fédéral du Plan. http://www.plan.be/admin/uploaded/
200705111357340.ef20072012_fr.pdf

Il faut donc prendre les devants. L’objectif est donc d’augmenter le taux de chômage EFT, soit le nombre de personnes qui cherchent activement un travail. L’activation des chômeurs et le pacte des générations ont ainsi permis de diminuer sensiblement le NAIRU, mais pas assez. Il faut aussi activer les plus de 50 ans. Voici comme le bureau du plan (page 80) pose le problème :
« La baisse projetée du taux de chômage BFP ne risque-t-elle pas de générer de fortes tenions à la hausse des salaires ? Cette question peut légitimement être posée, compte tenu notamment de l’écart très important entre le taux de chômage BFP et EFT (tel que mesuré par les enquêtes sur les forces de travail) ; alors que ce dernier est considéré comme un meilleur indicateur du nombre de chômeurs en recherche active d’emploi et immédiatement disponibles sur le marché du travail. En 2005, l’écart entre les deux taux de chômage était de 5.9% (14.3% contre 8.4%) ».

C’est dans la classe d’âge de 50 à 64 ans que l’écart est le plus élevé. La question se pose notamment de savoir dans quelle mesure l’accès plus strict au statut de chômeur âgé encourage effectivement la recherche active d’un emploi dans cette classe d’âge et pousse la composante structurelle du taux BFP à la baisse par le biais d’une résorption de l’écart entre les taux BFP et EFT. A ce jour, les efforts accrus sur le plan d’accompagnement des demandeurs d’emploi se sont principalement concentrés sur des classes d’âge plus jeunes. De plus, les chômeurs complets indemnisés continuent à avoir droit, à partir de 50 ans, à un supplément lié à l’âge en sus de leurs allocations, même s’ils ne sont pas considérés comme « chômeurs âgés ». De meilleurs résultats pourraient être obtenus si la politique d’intermédiation et l’accompagnement plus intensif des chômeurs étaient davantage axés sur les classes d’âge plus élevées. »

Pour ceux qui doutent de l’application très concrète du NAIRU en Belgique, voilà qui est maintenant très clair ! Comme l’énonce le Bureau du Plan, « le vieillissement et l’évolution régionale contrastée de l’offre de travail exercent toutefois des pressions à la hausse ».

La Flandre travaille et vieillit, voilà de quoi resserrer davantage encore l’activation des chômeurs. Pacte des générations, activation des chômeurs, débats sur la mobilité des chômeurs, sur les fonctions dites « critiques » sur la « nécessaire » immigration : même origine (crainte du nairu), mêmes effets (augmentation du taux d’emploi artificielle, par le biais de la précarité, sans effets réels sur le chômage, telle¬ment utile).

 Un travail précaire en perspective

Un dernier tableau pour conclure. Il est extrait de la « Revue économique » du 11 décembre 2006 de la Banque Nationale de Belgique et montre comment le relèvement du taux d’emploi peut être synonyme de rien du tout.

Evolution de l’emploi entre 2004 et 2005
Source : Revue économique III 2006, p. 59. http://www.nbb.be/doc/TS/Publications/EconomicReview/2006/revecoIII2006F.pdf

Voyez ses estimations annuelles de l’évolution de l’emploi tirées du chapitre consacré au bilan social de l’année 2005. Destructions d’emplois à temps plein, créations d’emplois à temps partiels. Si bien qu’au total le gouvernement peut fièrement annoncer la création nette d’emplois.

Problème : exprimer ces unités en équivalent temps plein permettrait au gouvernement d’annoncer la création de 0 emploi temps plein. Le NAIRU et sa politique de relèvement du taux d’emploi c’est précariser le travail en favorisant les petits boulots et surtout les temps partiels, c’est précariser le travail en exerçant une pression à la baisse sur les salaires par le biais de l’activation des sans-emploi, les plus âgés s’il le faut !

P.-S.

Ciccia, Luca, « Le NAIRU en Belgique : 13 % de chômage utile ! Le Bureau du plan veut activer les plus de 50 ans ! », Le journal du Collectif Solidarité Contre l’Exclusion, numéro 58, avril-juin 2007, http://www.asbl-csce.be/journal/JourColl58.pdf