Lorsque l’on parle de « pauvreté », généralement on parle en fait de pauvreté financière définie par un seuil en-dessous duquel les personnes sont « officiellement » considérées comme pauvres. En Belgique, ce seuil est situé à 60 % du revenu médian (en 2009, il est de 878 euros net par mois pour une personne isolée). Le calcul est simple : si vous êtes isolé et que vous avez moins de 878 euros, vous êtes considéré comme étant en « risque de pauvreté », et de manière plus rapide on dira souvent que vous êtes pauvre. Sinon, vous n’êtes pas pauvre.

Bien entendu, on s’en rend très vite compte ce seuil ne définit pas à lui seul toute la complexité sociale comprise dans la notion de « pauvreté ». Et à côté de la pauvreté financière, il faut comprendre qu’il existe beaucoup d’autres types de pauvreté qui méritent d’être pris en considération. En fonction de ces différents critères, la définition change et la réalité sociale appréhendée également.

Prenons un exemple : G. Simmel définit le pauvre comme suit [1] : « Est pauvre celui dont les moyens ne suffisent pas aux fins qu’il poursuit ». Cette définition est relativement proche de la notion de « capabilité » d’A. Sen qui a servi de base aux travaux du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) sur la création d’indices de développement humain.

La pauvreté ainsi définie par G. Simmel ne représente certainement pas uniquement un facteur financier (même si l’aspect financier doit bien entendu être pris en considération), mais différents aspects. La pauvreté est « multidimensionnelle » et les différentes facettes de la pauvreté sont à l’origine des différentes images et représentations que nous avons chacun de la pauvreté.

Ainsi, certains mettront probablement l’accent sur l’aspect financier pour donner une image de la pauvreté, d’autres seront davantage attentifs à la présentation de la personne (présentation physique, état de santé, etc.), d’autres encore au type de logement qu’ont les personnes, comment se soignent les personnes, ce que les personnes peuvent manger, etc.

Pour G. Simmel en tout cas, la pauvreté se jauge dans la relation que l’on a aux autres, dans l’interrelation. C’est pourquoi la pauvreté est un problème qui concerne toute la société et c’est pourquoi la pauvreté est aussi une dimension subjective et plurielle.

Inévitablement, l’image que l’on se fait dépendra également de la situation sociale à partir de laquelle on observe le monde. Donnons un exemple : il y a quelques années de cela, M. Vanesse et M. Vandemeulebroucke ont sorti un livre [2] dans lequel ils s’entretenaient avec différentes personnalités issues de mondes différents. On pouvait facilement se rendre compte que l’image que chacun avait de la « richesse » ou, à l’inverse, de la « pauvreté » variait très fort en fonction de leur situation sociale présente ou passée. Ainsi, on pouvait voir à l’époque (1996) un fils de banquier estimer que le seuil de pauvreté se situait à 1 500 euros [3].

Donnons un autre exemple : lorsque l’on demande aux bénéficiaires d’un revenu d’intégration ou d’une aide sociale comment ils se voient eux-mêmes [4] et quel regard ils portent sur leur situation ; à une exception près, assez étrangement, ils ne se considèrent jamais comme pauvres, bien qu’ils soient bien en-deçà du seuil de pauvreté. L’exception qu’ils évoquent étant saisonnière. En hiver, ils se sentent pauvres, dans les autres cas, ils estiment qu’il y a « pire » qu’eux (et « pire » c’est p. ex. les SDF).

Nous avons tous notre propre représentation de ce qu’est la pauvreté ou de ce qu’est un pauvre. C’est une image construite à partir de notre subjectivité.

Il nous a semblé intéressant, dans le cadre de cette étude, de rejeter ces différentes images pour tenter, par les statistiques officielles [5], d’en construire une qui s’approcherait d’une « moyenne » de l’Homme pauvre. Non pas tant pour le définir mais plutôt pour le visualiser et se rendre compte que, très souvent, l’image que l’on se fabrique ne correspond pas du tout à la réalité prise dans son ensemble.

L’objectif étant finalement de tenter d’obtenir une meilleure connaissance du phénomène de pauvreté par ses différentes facettes en cherchant à éviter la stigmatisation qu’apporte trop souvent la focalisation sur une seule de ces facettes et trop souvent analysée sous son aspect le plus extrême.
Cette visualisation doit nous faire prendre conscience des difficultés qu’endurent les plus pauvres dans notre société, et ainsi nous amener à relativiser les images rapides que nous avons tous inévitablement.

En outre, comprendre la pauvreté est un moyen d’actions pour lutter efficacement contre. Et c’est également un de nos objectifs. Nous nous inscrivons ainsi parfaitement dans « 2010, année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion ».

De facto, les CPAS sont partie prenante de cette politique européenne car ils représentent les derniers remparts contre l’exclusion. La politique des CPAS est essentielle. Elle doit être pertinente, adaptée aux besoins de la population. Pour cela, il faut connaitre le public. Ces statistiques vont nous permettre de dresser un « nouveau » profil de la pauvreté. Une autre image et peut-être une autre approche pour chercher à la combattre.

P.-S.

R. Cherenti, Mesure anthropométrique de l’Homme le plus pauvre de Wallonie, Fédération des CPAS, UVCW, janvier 2010.

Cette étude est également disponible à l’adresse : www.uvcw.be/cpas

Notes

[1G. Simmel, Le pauvre, Allia, 2009.

[2M. Vandemeulebroucke, M. Vanesse, Parole d’argent. Les riches en Belgique, enquêtes & témoignages, Luc Pire, 1996.

[3Au prix de 2009, ce montant estimé par le fils de banquier serait de ± 1 950 €, alors que le seuil de pauvreté est en réalité de 878 €.

[4R. Cherenti, Le panier de la ménagère … pauvre, 2008.

[5Ce qui est une limite considérable car la Belgique est relativement pauvre en statistiques.