La désindustrialisation n’est pas un mythe, du moins pas pour les anciens bastions du développement capitaliste, l’Europe occidentale, les États-Unis et le Japon. Mais elle provient avant tout de la hausse de la productivité. Voilà qui aurait dû être une aubaine pour l’humanité : de plus en plus, ce sont des machines qui effectuent des tâches pénibles et harassantes. Las ! Dans la société occidentale, elle s’est traduite par une catastrophe pour les travailleurs, en chômage de masse et en baisse de revenus. Une fatalité ?
Après la fin d’Opel Anvers, c’est l’arrêt des installations de Ford à Genk et à Southampton, de Peugeot-Citroën à Aulnay, la liquidation des hauts fourneaux à Gandrange, à Florange en Moselle et à Liège, la mise en veilleuse provisoirement définitive du train à fil de Schifflange au Luxembourg, l’abandon de l’usine de vitrage de Saint-Gobain à Auvelais, celle des pneus Goodyear à Amiens, de la raffinerie Petroplus près de Rouen, de l’unité Duferco à La Louvière, celle prévue d’Opel à Bochum, la réduction des effectifs chez Renault, Peugeot, Caterpillar, Sanofi, Philips…
Des pans entiers de l’industrie disparaissent dans ce qui a été la première région du monde à s’industrialiser (Grande-Bretagne) et dans la seconde (Belgique, nord de la France, Allemagne rhénane). Certains parlent d’une mutation de société vers la prédominance absolue des services à l’ère de l’information et de la communication. Mais, pour les salariés qui perdent leur travail et donc leur principale source de revenus, ce sont des questions inlassablement reposées : que vais-je devenir ? comment vais-je pouvoir retrouver un emploi ? quel avenir pour nos enfants ?
La réalité de la désindustrialisation
En France, la société de collecte d’informations Trendeo récolte, depuis 2009, les données des firmes de dix employés au moins qui créent ou qui suppriment des postes de travail. Ses résultats, présentés synthétiquement sur le tableau 1, sont sans appel.
Source : Trendeo, « L’emploi et l’investissement en France en 2012, premier bilan et première tendance 2013 », février 2013 : http://www.lefigaro.fr/assets/pdf/L%27emploi%20et%20l%27investissement%20en%20France%20en%202012%20par%20Trendeo.pdf.
Chaque année compilée montre une destruction nette de sociétés, majoritairement dans l’industrie manufacturière qui, sur quatre ans, se sépare de 123 000 salariés.
On peut retrouver des statistiques similaires pour l’Union européenne grâce à l’European Restructuring Monitoring (ERM) [1]. Celui-ci compulse à travers la presse les opérations d’investissement (ou de désinvestissement) des firmes si elles concernent plus de 100 emplois ou au moins 10 % d’un site occupant 250 salariés. On obtient ainsi le tableau 2 qui concerne l’Allemagne, la France et le Benelux.
Source : ERM, Calculs sur base de Statistics : http://www.eurofound.europa.eu/emcc/erm/index.php?template=stats.
Note : Les données pour 2013 portent sur les quatre premiers mois.
214 000 postes ont ainsi disparu depuis le début de la crise. On constate aussi une recrudescence nette à partir de 2012, due manifestement aux conséquences de la crise de la zone euro [2]. Au cours du premier trimestre 2013, l’ERM note une suppression de 100 547 emplois pour 34 113 créations de postes [3]. Les pays les plus concernés sont la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas. Mais, d’après nos estimations, proportionnellement la Belgique est également affectée.
La récession est un facteur majeur de chômage. Elle touche, néanmoins, les secteurs de façon très différente. L’industrie manufacturière [4] paie le prix fort. C’est une tendance sur une cinquantaine d’années. C’est ce que le graphique 1 permet d’établir, en présentant la part de l’emploi manufacturier dans le total pour différents pays ou régions.
Graphique 1. Part des emplois manufacturiers chez les salariés en Europe, aux États-Unis et au Japon 1960-2011 (en %)
Source : Calculs sur base d’AMECO, National Accounts by Branch of Activity, Wage and Salary Earners, Persons : http://ec.europa.eu/economy_finance/ameco/user/serie/SelectSerie.cfm?CFID=1693359&CFTOKEN=6fcc0067b30521b7-80FBBD00-BC80-3030-39CC1124EEBD668B&jsessionid=24065e99f26533524e7f.
Note : Les 5 représentent l’Allemagne, la France et le Benelux. Les données pour le Luxembourg et les Pays-Bas ne commencent qu’en 1970. Celles de l’Union européenne à quinze (UE 15) en 1977, car on ne dispose pas de statistiques pour le Portugal auparavant.
Si les courbes sont encore relativement stables dans les années 60, elles chutent toutes à partir de la décennie suivante. La dégringolade est particulièrement importante pour la Belgique : on passe d’un pourcentage de 37 % vers 1965 à 13,5 % en 2011.
Cette baisse relative se traduit aussi par une diminution de postes en chiffres absolus. Le tableau 3 dresse l’évolution de l’emploi manufacturier pour les principaux pays européens en comparaison avec ce qui se passe au Japon et aux États-Unis.
Source : Voir graphique 1.
Note : Les données pour le Japon s’arrêtent à 2010, et à 2009 pour la Grande-Bretagne et donc l’UE (15) (c’est ce dernier chiffre qui est indiqué dans la colonne 2011). Le différentiel est la différence maximale entre le niveau d’emploi le plus élevé sur la période 1960-2011 et son niveau le plus bas (en général en 2009, 2010 ou 2011).
Dans tous les États, on remarque une réduction des postes. Le niveau de 2011 est le plus bas pour tous. Mais ce qui est intéressant est d’en calculer la proportion, ce que montre la dernière colonne qui calcule la différence entre l’année où les effectifs sont les plus élevés et celle où ils sont les plus bas. À partir de celle-ci, on constate que la contraction s’élève généralement à un tiers ou un quart des emplois. En revanche, la chute se monte à près de 70 % pour la Grande-Bretagne, 52 % pour la Belgique et 47 % pour la France. Sur le long terme, ces trois pays sont ceux qui sont les plus pénalisés par la mutation industrielle.
Trois facteurs expliquent ce changement structurel : l’augmentation de la productivité, qui permet de produire avec moins de personnel ; l’externalisation [5] de certains services, autrefois comptabilisés dans l’industrie, car appartenant à une firme industrielle ; la délocalisation ou la concurrence de firmes venant de l’étranger, en particulier dans les pays du tiers monde ou dits émergents [6]http://www.marx.be/fr/content/contr....
En France, où on dispose incontestablement de ressources statistiques plus sophistiquées, on a tenté d’estimer la part de ces trois facteurs dans la baisse de l’emploi manufacturier durant la période entre 1980 et 2007. Cela conduit au tableau 4.
Source : Lilas Demmou, La désindustrialisation en France, Documents de travail de la DG Trésor, juin 2010, p. 5 : http://www.google.be/url?sa=t&rct=j&q=Lilas+Demmou+d%C3%A9sindustrialisation+France&source=web&cd=1&ved=0CDAQFjAA&url=http%3A%2F%2Fwww.tresor.economie.gouv.fr%2Ffile%2F326045&ei=VcJ6UZfaHIbhPL_tgLAK&usg=AFQjCNFb6QCwQYST5yqv-kRmdzeUQqKF-g&bvm=bv.45645796,d.d2k&cad=rja.
Note : Le total des trois facteurs ne correspond pas à 100 %, car la méthodologie est différente dans chaque cas.
Dans cette évaluation, on observe que la productivité est l’élément le plus décisif et il augmente avec le temps, puisqu’il est nettement plus élevé dans la dernière période entre 2000 et 2007. L’externalisation se réduit avec le temps. Cela montre que les principales opérations de vente de filiales ou de départements effectuant des services (et donc n’entrant plus dans les statistiques d’emploi manufacturier) se sont déroulées surtout dans les années 80 ou 90. La délocalisation est très difficile à estimer, car elle repose sur des hypothèses de destruction d’emploi assez fortes [7]. Ainsi, l’étude économétrique liée à cet aspect donne un effet sur l’emploi de 9 à 70 % [8]. Autant dire que c’est très imprécis. Mais cet aspect tend à s’accroître.
Ainsi, la désindustrialisation n’est pas un mythe pour les anciens bastions du développement capitaliste, l’Europe occidentale, les États-Unis et le Japon. Mais elle provient avant tout de la hausse de la productivité. Ce qui devrait être une aubaine pour l’humanité, puisque ce sont de plus en plus des machines qui effectuent des tâches harassantes, est, par contre, dans la société occidentale, une catastrophe pour les travailleurs, car cela signifie pour eux chômage et baisse de revenus.
Un monde de services ?
Serge Tchuruk est l’ancien patron d’Alcatel, le fleuron français des équipements de télécommunication. En juin 2001, il annonce fièrement devant la presse à Londres que son entreprise va entrer dans le monde du futur en continuant ses activités sans usine. Cela signifiait concrètement passer de 120 sites de production à 12 en dix-huit mois.
Malheureusement pour lui, c’est plutôt la planète sans Alcatel qu’il a inaugurée, car depuis lors la firme connaît déboires sur catastrophes. Depuis sa déclaration, elle a, en effet, accumulé plus de 20 milliards d’euros de pertes, dont 5 milliards en 2001 et en 2008. Elle ne distribue plus de dividendes depuis 2007. Elle a fusionné en 2006 avec Lucent, l’ancien géant américain issu du démantèlement d’AT&T. Sa capitalisation boursière [9] poussée alors à 25 milliards d’euros a été, fin 2012, divisée par dix. Devant tant de réussites, Serge Tchuruk a été invité à démissionner le 1er octobre 2008, moyennant une indemnité de 5,7 millions d’euros (ce qu’on appelle un parachute doré).
L’astuce de cette compagnie sans usine est évidemment de vendre ses unités de production à d’autres sociétés spécialisées dans la sous-traitance comme Flextronics, le groupe central conservant les activités « nobles » comme la recherche et les autres services (administration, commercialisation, etc.). Mais les conditions de travail sont évidemment à la mesure de ce changement : salaires diminués, délocalisation, souvent en Asie ou en Europe de l’Est, flexibilité totale, horaires à rallonges…
À partir du phénomène décrit, certains prédisent une évolution naturelle des pays d’un stade agricole vers un développement industriel pour passer enfin à une ère post-industrielle, celle de l’avènement des services. Un des premiers à avoir émis ce genre de thèse était Walt Whitman Rostow.
À sa suite, en 1973, le sociologue américain Daniel Bell (« de gauche », mais non marxiste) annoncera l’arrivée de la société post-industrielle. Peter Drucker, l’un des plus prestigieux gourous du management américain, ira même jusqu’à la définition d’une civilisation postcapitaliste, encore plus entrepreneuriale que la précédente (en 1993).
Toutes ces présentations partagent l’idée d’une évolution uniforme, basée uniquement sur les transformations techniques de l’humanité, sans tenir compte des rapports de forces sociaux, pour ne pas parler des relations de classes. En réalité, on ignore en tout point ce que sera la civilisation du futur, même proche, parce que cela dépend du rapport entre nations et de la compétition entre modèles économiques. En tant que marxistes, nous pensons que le socialisme finira par s’imposer, mais nous n’en connaissons pas l’échéance.
Ces théories ont toutes pour but de faire accepter la réalité présente et les mutations décidées par les dirigeants des grandes multinationales et de leurs alliés politiques. En l’occurrence, dans le débat sur la mutation sociétale, il s’agit de justifier la désindustrialisation et ses conséquences sur l’emploi. Mais rien n’oblige à les suivre.
Une économie sans industrie est aujourd’hui très fragile. On le voit en Europe dans les exemples grec et portugais, ainsi que dans le sud de l’Espagne et de l’Italie ou même à Chypre. Le manque de progrès manufacturier mène ces pays à une grande dépendance vis-à-vis de l’étranger. Ils doivent compenser par des emprunts et deviennent des jouets aux mains des marchés financiers (c’est-à-dire des grandes sociétés financières qui y agissent, comme Goldman Sachs et bien d’autres).
Il y a trois raisons essentielles pour accorder à l’industrie une importance particulière. D’abord, c’est ce qui permet de produire les objets courants de notre vie quotidienne, c’est-à-dire qui demeurent essentiels parce que sans cela le reste ne peut pas se développer : logement, nourriture, vêtements... En effet, nombre de services s’élaborent dans et pour des bases industrielles. Dans une société capitaliste, ce sont des produits financiers, des conseils aux entreprises, des firmes publicitaires, etc. Mais, plus généralement, même dans cette civilisation de l’information et de la communication, il faut du papier pour publier un livre, des câbles pour former un réseau, des écrans pour visionner des films, des vidéos, etc. Enfin, comme ce sont des biens indispensables, si on ne les fabrique pas, il faut les importer. Et qu’est-ce qu’un pays avec peu d’industries offrira en échange ? C’est le malheur notamment des pays du sud de l’Europe.
Sur le plan social, la perte des activités industrielles est également une catastrophe. Cela concerne : 1o la perte immédiate des emplois et donc des revenus de base pour une partie des salariés (y compris dans les affaires annexes dépendant de l’usine fermée : sous-traitance, commerce, etc.) ; 2o la déstructuration d’un tissu industriel et économique, car souvent l’usine fait vivre de nombreux secteurs d’activité, soit directement, car ils sont fournisseurs ou clients de la firme, soit indirectement, car ils vivent des revenus générés par l’usine ; 3o la perte d’un savoir-faire qui pourrait être préjudiciable à terme.
En Belgique, la reconversion a déjà été utilisée pour justifier la fermeture du textile, de la construction navale, des charbonnages et de nombre de hauts fourneaux. Dans le Hainaut, la population locale attend toujours les investissements suffisants dans ce sens. Au Limbourg, le grand projet alternatif, à savoir l’usine de Ford Genk, est lui-même en passe d’être abandonné.
Il n’est pas question d’affirmer qu’aucune reconversion n’est possible. Mais cela soulève plusieurs problèmes qui ont été rarement bien résolus, que ce soit en Wallonie ou en Flandre. D’abord, un changement d’activité nécessite des investissements nouveaux et cela prend du temps. Entre la fin de l’usine dite dépassée et ce qui devrait suivre, il y a généralement une période qui peut durer longtemps. Que fait-on entre-temps ? Souvent, cela permet de supprimer les postes, de ne pas engendrer une colère sociale trop forte, chez des gens qui ont l’espoir de décrocher un nouveau travail. Et puis… deux ou trois ans plus tard, on abandonne aussi le projet initial de reconversion ou on le limite à la portion congrue.
Seconde difficulté : les emplois sacrifiés sont habituellement peu qualifiés et l’alternative concerne une production relativement sophistiquée demandant une main-d’œuvre compétente, par exemple dans le domaine des services informatiques. Il y a un hiatus que même une formation intensive ne pourra compenser.
La promesse d’une reconversion n’est plus acceptable en tant que telle. Il faut des réalisations concrètes et rapides, si les projets sont viables. En attendant, les emplois menacés doivent être soit maintenus, soit rétribués [10], et cela, aux frais du groupe qui veut licencier et qui a souvent les moyens de payer. Ensuite, il faut une solution concrète pour les personnes victimes de la perte d’emploi, surtout s’ils se trouvent dans les créneaux considérés comme difficiles comme les ouvriers peu qualifiés ou les travailleurs âgés. Ceci devrait concerner également les salariés de la sous-traitance qui perdent leur poste dans l’affaire.
La Belgique et l’Europe occidentale ont un passé industriel. Elles doivent avoir un futur du même type, avec les emplois correspondants.
Deux secteurs sont traditionnellement importants dans un développement économique : la construction et l’automobile. Non seulement ils représentent par eux-mêmes un poids non négligeable dans l’industrie, mais en outre ils génèrent des activités en amont et en aval, que ce soit en fournitures de pièces détachées ou en matériaux divers — une voiture par exemple est composée de plus de 10 000 éléments différents. On le constate dans la crise actuelle. Ce sont les deux branches les plus touchées et ce sont elles qui mettent l’économie européenne à terre, en particulier la sidérurgie qui les approvisionne massivement.
Attirer les multinationales
La politique industrielle de la Commission européenne — car il y en a bien une, même si elle est souvent peu visible — est de favoriser l’initiative privée et de lui laisser librement tous les ressorts des décisions finales. L’avocat le plus virulent de cette orientation est l’ancien commissaire aux Entreprises et à l’Industrie et vice-président de la Commission (2004-2010), le social-démocrate allemand Günter Verheugen, actuellement à la tête d’une société de conseils aux firmes pour leur permettre de mieux profiter des institutions européennes.
Devant le parlement européen, il avait notamment déclaré : « Les décisions de fermeture ou de délocalisation des entreprises leur appartiennent et aucun État ni l’Union européenne ne peuvent ni ne doivent intervenir dans l’affaire. » Il ajoutait : « Nous aurons encore besoin dans l’avenir d’une industrie forte en Europe, avec des entreprises leaders dans le monde — nous avons besoin non pas de champions d’Europe, mais de leaders du marché mondial, car il s’agit du championnat du monde. Aucun État ne peut remplir cette mission, c’est aux entreprises elles-mêmes qu’elle incombe. Nous pouvons cependant les épauler [11]. » Un tel discours demeure le fil rouge de la stratégie communautaire.
Il se traduit en Belgique, peu importe la région d’ailleurs, par la volonté d’attirer à tout prix les investissements étrangers, ceux des multinationales en particulier.
Mais une telle approche, déjà discutable en soi, atteint ses limites aujourd’hui. Les grandes implantations industrielles de firmes américaines, françaises, allemandes ou même coréennes, brésiliennes, chinoises, sont peu probables, surtout dans les domaines traditionnels qui créent le plus d’emplois. Dans un marché européen intégré, il vaut mieux investir dans les nouveaux pays membres, qui bénéficient d’une main-d’œuvre relativement bien formée et d’un coût bien moindre qu’en Belgique.
Reprendre une unité de production en bon état de marche avec des effectifs qualifiés et généralement flexibles n’est souvent pas intéressant pour un groupe étranger. Certes, on est au cœur de l’Europe, avec des infrastructures très développées pour communiquer avec le reste du continent. Mais ce n’est pas suffisant, car il faut pouvoir vendre et de préférence au moindre coût. Sur ce plan, acquérir une usine signifie prendre possession de quatre murs et quelques outils, mais pas nécessairement de ce qui devient plus important : le réseau commercial, l’image de marque, les contacts industriels et politiques… Ce n’est que si l’équipement coûte énormément, comme en sidérurgie ou dans le raffinage pétrolier, que cela peut se justifier.
Attirer les investissements à tout prix, politique suivie consciemment par les trois régions du pays, a un inconvénient face à un patron qui n’a aucun scrupule à venir et à partir comme bon lui semble. Les pouvoirs publics sont quelque peu coincés pour prendre des mesures de représailles, car c’est un mauvais signal pour les autres investisseurs étrangers. Alors qu’il faudrait confisquer les biens de celui qui détruit autant d’emplois, l’État doit jongler entre des paroles suffisamment dures pour convaincre les travailleurs que « le politique » est de leur côté, et des actes très mous pour assurer les entrepreneurs qu’il n’y aura pas de dispositions véritablement hostiles à leur égard. À ce petit jeu, dans des cas aussi divers que Ford, Arcelor Mittal, les autorités belges se montrent très expertes. Mais ce n’est pas en faveur des salariés qui perdent leur emploi.
De toute façon, dans ce domaine, il faut faire mieux que des pays qui ont des coûts salariaux de quatre, cinq fois inférieurs (voire davantage) à ceux de la Belgique ou de l’Irlande, qui a un taux d’impôt des sociétés de 12,5 % (contre 33,5 % en Belgique). L’Eire a également un gros avantage par rapport à d’autres contrées. Elle dispose de zones franches depuis 1958 et d’institutions destinées à capter les investissements des multinationales depuis 1985.
En même temps, l’île montre tous les travers de cette stratégie. Certes, elle a pu être donnée en exemple pendant des années, passant du statut de nation agricole en centre de production préféré des firmes américaines d’électronique, d’informatique et de médicaments. Mais, quand cela s’effondre, tout s’envole en même temps.
Le graphique 2 présente l’évolution de l’emploi manufacturier en Irlande depuis 1960, en comparant son effet relatif (par rapport aux données de l’axe de droite) et absolu (par rapport aux données de l’axe de gauche).
Graphique 2. Évolution de l’emploi manufacturier irlandais 1960-2011 (en milliers de personnes, axe de gauche ; en % de l’emploi total, axe de droite)
Source : Voir graphique 1.
Dans les années 60 et 70, les postes se créent et l’industrie manufacturière gagne même des parts dans l’emploi total. En 1973, elle assure 31 % des effectifs salariés du pays.
Une première fois, durant la décennie 80, la main-d’œuvre décroît brusquement de 258 000 en 1980 à 207 000 en 1987, une chute de 20 % en six ou sept ans. Mais, avec l’arrivée des multinationales américaines, les chiffres se redressent. L’emploi manufacturier atteint un pic en 2000-2001 avec plus de 274 000 personnes occupées. En revanche, en termes relatifs, cela ne représente plus que 20 % du personnel total. Cette part était demeurée stable à 24 % environ entre 1986 et 1996. Ensuite, elle dégringole, entraînant bientôt à sa suite le nombre total d’emplois : à peine plus de 190 000 en 2011.
Ainsi, d’un côté, de façon relative, l’industrie n’est pas mieux protégée en Irlande qu’ailleurs. Sa proportion dans l’emploi global diminue et elle se contracte d’autant plus rapidement qu’elle a été stable durant une dizaine d’années. Avec 12,7 %, Dublin se trouve en dessous des chiffres de la Belgique (13,5 %), du Japon (17,4 %) et de l’Allemagne (18,9 %). De l’autre côté, le nombre de postes en données absolues varie de manière abrupte en peu de temps, présentant une courbe en forme de montagne russe (graphique 2). Une nouvelle fois, entre 2007 et 2010, soit en seulement trois ans, l’emploi manufacturier perd 20 %. Seule l’Espagne a connu une détérioration aussi rapide.
En conséquence, l’Eire a un taux de chômage officiel de 14,2 % à fin 2012 contre 8,2 % en Belgique ou 10,6 % en France. Certes, ce sont des statistiques contestables, puisqu’elles éliminent par exemple les travailleurs âgés toujours inactifs. Si on les comptabilisait, la Belgique aurait un niveau approchant les 14 %. Néanmoins, elle garde jusqu’à présent un taux assez stable. En revanche, l’Irlande part d’un seuil de 5 % fin 2007.
La protection
Il y a quelques voix discordantes pour demander une politique industrielle plus active. C’est le cas, par exemple, du ministre français du Redressement productif, Arnaud Montebourg, par ailleurs partisan de la démondialisation [12]. Il demande la mise en place de barrières douanières aux frontières de l’Union pour les produits qui menacent les emplois manufacturiers.
Derrière cette proposition réside l’illusion qu’on pourra adoucir les effets du capitalisme et défendre les acquis sociaux occidentaux. En fait, il n’en est rien.
Si une zone économique comme l’Europe, qui exporte énormément, installe de nouveau des politiques tarifaires elle peut s’attendre à des mesures de représailles de la part de ses nations clientes. Comme ni le marché ni la concurrence n’ont été abolis, ils produiront leurs conséquences à partir d’un territoire plus limité. Autrement dit, la compétition pour y être le leader sera beaucoup plus intense. On peut s’attendre, dans ce cas, à davantage de catastrophes industrielles et sociales.
Il y a au sein de l’Union et même de la zone euro des situations en matière de coûts salariaux comparables à ce qui existe à l’échelle mondiale. Entre les revenus moyens des Slovaques — et que dire des Roumains et des Bulgares — et des Belges, des Français, des Allemands, des Luxembourgeois ou des Néerlandais, il peut y avoir une différence d’un rapport de 1 à 5. De quoi faire exploser tout système de sécurité sociale garantissant des rémunérations minimales à ceux qui se retrouvent dépourvus momentanément de travail.
On observe déjà maintenant la dégradation des conditions sociales au sud de l’Europe, sous l’impact des politiques d’austérité. Ce sont les autorités européennes et le patronat qui sont à l’offensive pour les démanteler, en l’absence même d’une réelle pression concurrentielle extérieure.
En même temps, cette stratégie affaiblit les capacités de résistance des organisations syndicales et de leurs membres, jetés les uns contre les autres pour se sauver individuellement. À l’inverse, on met à l’abri les véritables responsables de ces stratégies et ceux qui en profitent, à savoir les grands actionnaires des multinationales et leurs alliés politiques. On brise la solidarité entre salariés.
Les options économiques doivent rester l’apanage des États et surtout de leurs populations. Et ceux-ci ont le droit de se développer, de s’industrialiser. Il n’appartient en aucun cas aux régions déjà industrialisées, qui généralement ont d’ailleurs inondé le tiers monde de leurs produits à bas coûts, de le définir. S’il y a des responsables de la concurrence entre travailleurs, ce sont les firmes multinationales. Exigeons d’elles — et non des États — qu’elles respectent les droits élémentaires des travailleurs dans toutes les nations où elles œuvrent et s’approvisionnent. Le Nord peut également aider les pouvoirs publics du Sud à faire respecter leur propre législation qui interdit déjà aux salariés de travailler trop longtemps, dans des conditions insalubres, pour un salaire en dessous du minimum local. Mais on ne peut pas interdire à ces pays d’utiliser souvent leur seul atout concurrentiel dans un monde capitaliste de libre-échange : leur main-d’œuvre bon marché. Si les travailleurs de ces nations estiment que ces rémunérations sont trop basses, ils doivent eux-mêmes lutter pour exiger de meilleures conditions et s’organiser en syndicats. Nous pouvons les soutenir dans ce cadre, mais pas remplacer leur mobilisation.
Changer de logique
La crise économique met les populations devant un choix de société. Le système capitaliste montre ses limites à la fois pour créer des richesses de façon durable et pour trouver des solutions aux besoins réels des gens. Il privilégie la rentabilité, l’absurdité de la concurrence tous azimuts, les gains financiers, le court terme… et les salariés se retrouvent au chômage ou avec un emploi qui ne les nourrit plus, les familles sont endettées jusqu’au cou, des régions entières sont détruites. Ou bien on continue sur cette voie avec davantage d’austérité, ou bien on change de logique.
Or, le capitalisme fournit essentiellement la demande solvable et non les besoins réels des travailleurs. Toute la discussion sur la société post-industrielle, l’avènement des services masque cette réalité qu’il s’agit de satisfaire avant tout un public relativement riche qui peut s’offrir ces produits. On construit des piscines, des villas somptueuses avec les accompagnements adéquats. On négligera de bâtir des toits pour les sans-abri, de remplacer les conduites permettant à une contrée pauvre de disposer d’eau potable, de multiplier les écoles et les centres de santé capables de sauver des vies humaines. C’est cela qu’il faut remettre en cause.
En effet, les besoins sont multiples et insuffisamment satisfaits. On peut en dresser une longue liste, même en Belgique :
- des logements sociaux en nombre suffisant pour fournir un toit pour tous à un prix raisonnable ;
- des maisons de retraite pour faire face au vieillissement de la population ;
- des transports publics plus fréquents et moins chers ;
- une amélioration des soins de santé, basés davantage sur la prévention ;
- un progrès de l’éducation et de l’enseignement, mais centré sur l’école et non sur les formations complémentaires privées ;
- l’aide à l’utilisation informatique, notamment pour les plus âgés ; la sécurisation dans l’emploi d’Internet, que ce soit pour les paiements ou contre les virus ;
- la prévention de la délinquance juvénile par la multiplication des activités de quartier, que ce soit à l’initiative des communes ou des écoles ;
- les économies d’énergie par une amélioration de l’isolation des maisons ;
- la rénovation immobilière et urbaine, au moyen, d’une part, de la mise en conformité de toutes les maisons aux normes de sécurité et, d’autre part, de l’aménagement des villes avec priorité absolue pour les piétons.
Ces domaines demandent des fabrications industrielles, en matière de bâtiment, de matériel de transport, d’ordinateurs, de médicaments, de livres… Ce que peut fournir une industrie manufacturière au service des populations et non du profit et de la compétitivité.
Que ferait un parti marxiste au pouvoir ? Il commencerait par nationaliser l’essentiel de la production des biens et services, à commencer par les firmes qui sont aux mains des grandes multinationales et les secteurs stratégiques comme l’énergie, les transports et la finance. Ensuite, il faudrait organiser une planification démocratique et participative pour définir les besoins élémentaires qui ne sont pas satisfaits. Il s’agirait d’un ordre de priorité des problèmes à résoudre. Ainsi, il serait possible de tenir compte des demandes sociales et des exigences environnementales. C’est ce qui permettrait de préciser le développement industriel nécessaire et donc les emplois qui lui seraient consacrés. Les préoccupations populaires seraient au centre du processus.
Ceci exigerait aussi une intégration plus importante des différents secteurs, qui devraient réellement coopérer les uns avec les autres. D’où la nécessité d’avoir un contrôle relatif sur la totalité d’une filière. Or, ceci n’est plus possible à l’échelle d’un seul pays au sein de l’Union européenne. De plus en plus, les productions sont liées entre elles. Si on reprenait une usine d’assemblage automobile en Belgique, on obtiendrait quatre murs, quelques machines, certaines compétences ouvrières, mais pas davantage. Pour concevoir et construire une voiture, il faut l’expertise de conception automobile, la recherche dans le domaine, le contrôle sur les composants fondamentaux comme les moteurs. Cela n’existe qu’en France et en Allemagne par rapport aux nations voisines. Et pour d’autres produits, ce sont d’autres pays qui ont les connaissances nécessaires.
En considérant l’ensemble Allemagne, France et Benelux, on obtient un PIB [13] de 5 000 milliards d’euros (chiffres de 2011). Son commerce extérieur (sur la base des exportations) s’élève à 2 200 milliards, dont plus d’un tiers est formé par des échanges entre ces pays. En fait, 15 % de la production consiste en exportations d’un de ces cinq États vers un autre. Cette part est en constante augmentation. Elle ne s’élevait qu’à 9,5 % en 1995. Il s’agit là d’une manifestation de l’intégration croissante de ces territoires.
Cette zone est cohérente. Elle peut assurer la plupart des productions et services actuels. Les niveaux sociaux et les législations en la matière sont assez semblables. Il serait tout à fait possible d’imaginer et d’organiser une planification à cette échelle, voire en l’élargissant à d’autres régions d’un même niveau de vie [14].
Il y aurait alors une bonne raison de protéger ce mode de développement, car il ne serait pas réalisé pour le profit ou des intérêts particuliers. Il doit assurer la satisfaction de besoins sociaux réels. Il n’est pas question de mettre cette initiative en péril par des multinationales qui pratiquent le dumping ou profitent d’un avantage salarial pour vendre à très bas prix et couler l’économie nationale socialisée.
Faire face à la désindustrialisation
En Belgique, les manquements premiers concernent le logement, la rénovation de bâtiments publics, l’installation de nouvelles infrastructures, le développement de transports en commun massifs.
On pourrait développer quatre secteurs industriels dans lesquels le pays a une tradition et une maîtrise technique : la construction, le bâtiment ; le transport en commun ; les services de santé et le médicament ; la sidérurgie.
La construction, la rénovation urbaine, l’assemblage de véhicules, tout cela demande de l’acier. La sidérurgie est peut-être un secteur dépassé pour fournir une industrie automobile qui s’en va aussi vers l’est. Elle ne l’est pas du tout s’il faut satisfaire les besoins locaux et cela rendrait du travail aux bassins liégeois et carolorégien. Certes, on n’y fait plus des produits longs (poutrelles, barres, fils…) qui forment l’élément central, l’armature d’un bâtiment. Il faut aller au Luxembourg pour cela. Mais une coopération est sans doute possible. En revanche, les tôles seront très utiles pour les véhicules à construire.
D’autre part, la production de trams, bus, trains serait une reconversion possible des sites automobiles. Cela demanderait des investissements, mais les qualifications des ouvriers de ce secteur seraient alors exploitées.
Enfin, le domaine de la santé est une dernière industrie qui pourrait être utilement encouragée. Le vieillissement de la population engendre de nouveaux problèmes médicaux et sans doute l’arrivée de produits, de préférence génériques, pour faire face à ceux-ci. Il y a environ 200 entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques en Belgique, dont 31 ont un site de fabrication [15]. En réalité, huit grands centres de production comptent véritablement, quatre en Flandre, quatre en Wallonie. Cette industrie occupe quelque 30 000 personnes [16]. Elle a des connexions avec la plupart des universités du pays. Même si les firmes appartiennent presque toutes aux grands groupes internationaux américains, britanniques, suisses…, c’est un secteur sur lequel les autorités publiques nationales pourraient s’imposer pour l’orienter vers les besoins du plus grand nombre.
Le choix des secteurs prend en considération trois éléments : les nécessités essentielles de la population belge, la tradition industrielle du pays et les possibilités de développement collectif. La Région wallonne [17] a déjà opéré une sélection des domaines qu’elle veut favoriser. Elle a abouti à une sélection différente, privilégiant les sciences du vivant, l’agro-industrie, le génie mécanique, le transport logistique [18], l’aéronautique spatiale et les technologies environnementales. C’est la conséquence des options du pouvoir exécutif. D’abord, ce sont les entreprises privées qui sont recherchées. Cela signifie une logique fondée sur la compétitivité et la rentabilité. Ensuite, il y a une volonté affichée de sortir de la sidérurgie et d’assurer la fin de l’acier wallon au profit de nouveaux domaines jugés « plus porteurs » [19].
Notre point de vue est diamétralement opposé. Nous voulons développer ce qui sert le mieux la population belge et environnante, à commencer par les salariés et allocataires sociaux, en nous centrant sur la demande et non la seule demande solvable. C’est pour cela que ce doit être une initiative publique. Mais, comme l’État et ses dirigeants ne sont sans doute pas enclins à s’engager spontanément dans cette orientation et que rien ne vaut la pression populaire constante, il faudra créer un comité de surveillance au sein des entreprises publiques. Son rôle sera d’assurer que la mission de service public est remplie et que les considérations budgétaires et la volonté d’avantager les intérêts de capitalistes privés ne l’emportent pas. Il devra être composé de syndicalistes, représentant le personnel, et de citoyens, pour le compte des « clients » ou des usagers. Il devrait avoir un droit de veto sur les décisions, si celles-ci paraissent contraires aux objectifs assignés ci-dessus.
Il est clair également que cette proposition va se heurter de front aux actuelles politiques européennes. Il s’agit d’accorder aux pouvoirs publics le droit à l’initiative, de ne pas accepter la concurrence dévastatrice, de pouvoir lancer de grands investissements et de ne pas répondre aux diktats sur l’équilibre budgétaire. Et la gestion de la firme publique doit être radicalement différente de celle d’une entreprise privée. Bien sûr, il faut privilégier des mesures fiscales sur les fortunes et les hauts revenus pour financer un tel projet. Mais on ne peut pas exclure un effort plus important au début et donc sans doute creuser un peu plus les déficits. Les règles européennes ne peuvent pas contrecarrer cet effort. Si c’est le cas, il faut refuser l’application de mesures et de sanctions qui conduisent, de toute façon, l’Union sur la pente de la spirale déflationniste [20].
Un tel programme serait facilité si une nationalisation identique était pratiquée dans les domaines de l’énergie et de la finance. Ce sont des secteurs stratégiques. Mettre la main sur ceux-ci permettrait de servir l’intérêt de la population et non ceux de quelques actionnaires et dirigeants. Ils pourraient offrir des produits et des crédits dans de bonnes conditions, ce qui favoriserait le développement général des activités.
Mais, dira-t-on, l’État n’a pas vocation à être entrepreneur ou gestionnaire de firmes. Il doit se contenter de fixer le cadre dans lequel le marché peut opérer. C’est une position purement idéologique qui ne se vérifie nullement empiriquement. Les exemples sont multiples d’entreprises publiques qui ont réussi, même sur base de critères purement capitalistes. Les succès et grandes innovations de Renault datent des années d’après-guerre, alors que la firme était une régie publique, ce qui n’a été changé qu’en 1990 (sous le gouvernement « socialiste » de Michel Rocard).
Des pistes pour le sauvetage de l’emploi industriel
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Le programme présenté ci-dessus n’est nullement une solution pour sortir de la crise économique. Pour cela, il faudrait abandonner complètement le système qui les provoque, à savoir le capitalisme. Il ne s’agit pas de cela, même si on relève des stratégies proches de ce que ferait un pouvoir socialiste sur le plan économique.
Cela n’empêche nullement de prendre d’autres mesures pour relancer l’économie ou pour améliorer la situation des salariés : réduire radicalement le temps de travail sans perte de revenus et sans extension de la flexibilité ; interdire des licenciements ou des restructurations à des firmes qui distribuent des dividendes ou rachètent leurs propres actions pour en faire monter le cours…
Conclusion
Le plus important à comprendre en économie c’est qu’il n’y a pas de fatalité. Les systèmes mis en place ne sont nullement naturels. Ils ont été construits, élaborés au fil des temps par des gens qui y avaient intérêt, par des classes sociales qui se trouvent à la tête des moyens pour produire, autrefois la terre, actuellement les entreprises et les usines.
Aujourd’hui, ce sont les capitalistes qui dominent et qui président aux destinées de l’humanité. Ils ont érigé l’enrichissement de leur capital en dogme inébranlable et inventé une théorie qui prouverait l’excellence de leur méthode, à savoir l’économie de marché. Mais la réalité montre les aspects jamais pris en compte de cette doctrine : la crise, le chômage, les pertes de revenu, l’endettement, la misère, la répartition incroyablement inégale des richesses…
Il faut en revenir aux fondements de toutes les sciences humaines. L’économie et ses conséquences sociales et politiques sont d’abord une affaire de choix et donc de choix de société. Une fois une option sélectionnée, il est clair que cela implique une orientation économique précise. Si on décide de changer de cap, cela peut prendre du temps. Mais, en aucun cas, ce n’est définitif. Le marché, la propriété privée des moyens de production ne s’imposent pas pour le reste de l’histoire.
Il est évident aussi que des solutions contraires aux intérêts des grands actionnaires et dirigeants de firmes seront combattues fermement par ceux-ci.
Agir contre eux signifie se battre. C’est même la leçon principale à retenir. En effet, en luttant les travailleurs et allocataires sociaux peuvent se rendre compte qu’ils ont leur mot à dire, jusqu’à comprendre qu’ils peuvent eux-mêmes établir les règles. C’est alors qu’on se dit qu’il ne suffit plus de satisfaire la demande solvable, mais les besoins réels, qu’il ne faut plus d’initiatives privées qui n’ont jamais d’autre but que le profit, mais des monopoles publics où les décisions sont prises après un débat participatif et démocratique, qu’il faut des institutions politiques qui servent les intérêts de cette cause et qui ne soient plus liées aux lobbies et aux think tanks…