Depuis l’éclatement de la crise financière à la mi-2008 et le creusement des déficits publics de nombreux États européens, la zone euro est devenue une cible de choix pour les spéculateurs qui opèrent sur les marchés financiers. En moins de deux ans, la Grèce et l’Irlande d’abord, le Portugal et l’Espagne ensuite, ont été attaqués de toutes parts par ces derniers.
Si bien que ces pays éprouvent, désormais, les pires difficultés pour emprunter les capitaux dont ils ont grandement besoin afin de financer leurs politiques publiques. Et tenter de réduire, petit à petit, le niveau particulièrement élevé de leur endettement. Une exigence formulée inlassablement tant par les institutions européennes (Commission, Banque centrale européenne-BCE) - au nom de l’orthodoxie budgétaire prescrite par le Pacte de stabilité et de croissance [1] -, que par les grands pays de la zone euro.
Les taux d’intérêt qui sont imposés, aujourd’hui, à ces quatre pays, par les bailleurs de fonds internationaux [2], ont atteint des niveaux inouïs : près de 6 % pour l’Espagne, 8 % pour l’État portugais, 9 % pour l’Irlande, et…12 % pour la Grèce. Alors que les taux qui s’appliquent aujourd’hui à de grands pays comme l’Allemagne et la France - lorsqu’ils souhaitent emprunter des capitaux sur les marchés financiers - ne dépassent guerre 3,5 % ! Ce déséquilibre majeur doit cesser au plus vite. Sans quoi, la concurrence intra-européenne (dumping) s’accentuera, les inégalités se creuseront, et donc les tensions sociales s’amplifieront dangereusement. Avec le risque de voir la zone euro, puis l’Union européenne (UE), se désagréger, imploser.
Risques pour le monde du travail en Belgique.
Sera-ce le sort réservé, demain, à la Belgique ? Le risque existe bel et bien, et ne doit surtout pas être minimisé. Car, faut-il le rappeler, depuis presque 300 jours, le pays du surréalisme qui est le nôtre n’a toujours pas de gouvernement. Or, en 2011, le déficit budgétaire sera supérieur à 4 %, le niveau de la dette publique est remonté au-delà de la barre des…100 % du Produit intérieur brut, et il appartient toujours à Yves Leterme et consorts (donc au gouvernement fédéral…en affaires courantes) de trouver la bagatelle de 2 milliards d’euros pour boucler le budget 2011.
Mais c’est sans compter sur l’inflation moyenne qui devrait être supérieure, en Belgique, à 3,3 % jusqu’au début de 2012. Un niveau d’inflation bien plus élevé que dans les pays voisins et qui est dû pour moitié aux tarifs prohibitifs pratiqués par de puissants groupes énergétiques (dont Electrabel GDF Suez) qui abusent de leur position dominante, sur le marché belge, depuis plusieurs années. Cela, avec la complicité du monde politique qui ne daigne pas intervenir afin de limiter cette poussée inflationniste déraisonnable et injustifiée. Pour le malheur du portefeuille des travailleurs et de la majorité des familles.
En outre, en Belgique, tel que démontré notamment par le baromètre socio-économique 2010 de la FGTB [3] (un outil commandé au DULBEA, de l’Université libre de Bruxelles), plusieurs autres indicateurs fondamentaux sont passés à l’orange - voire au rouge -, ou y restent, et témoignent de l’urgence de réagir face à des signes évidents de régression sociale : le chômage ne recule pas ; la qualité des emplois et des contrats de travail proposés ne cesse de diminuer, en moyenne ; les inégalités et la pauvreté (ou le risque de pauvreté, y compris pour les travailleurs) s’accentuent ; la part des salaires dans le montant total des richesses créées ne cesse de diminuer au fil des ans ; la fiscalité pratiquée s’avère de moins en moins progressive, donc de plus en plus inéquitable (car toujours plus favorable aux nantis) ; etc.
Et comme si ces indicateurs ne suffisaient pas à laisser craindre le pire pour une frange croissante de travailleurs et de familles, le gouvernement Leterme a fait savoir dernièrement qu’il appliquerait tout de même les mesures principales du projet d’accord interprofessionnel 2011-2012 convenu par les interlocuteurs sociaux en janvier 2011. Entre autres, celles visant à limiter les hausses salariales à l’indexation automatique (+ 4 % au total pour les années 2011 et 2012). Cela, malgré le rejet catégorique du projet par la majorité des représentants des travailleurs du pays [4].
Inutile de rappeler que ce mécanisme est prépondérant car il contribue à maintenir, voire améliorer, le niveau de vie des 3,8 millions de travailleurs (des secteurs privés et publics confondus), et de leur famille, de ce pays. Pour autant, le système belge d’indexation automatique des salaires doit essuyer de plus en plus de tirs de la part d’un nombre croissant de détracteurs. Ceux émanant des opposants de la première heure : les représentants des employeurs de Belgique (surtout la FEB et l’UCM) dont le souhait de supprimer purement et simplement ce système ne date pas d’hier. Mais également ceux lancés, depuis peu, par une catégorie nouvelle d’opposants. Un phénomène inquiétant car il s’agit tantôt de la Banque nationale de Belgique qui plaide au moins pour sa révision en profondeur, tantôt d’acteurs extérieurs qui, au nom de la compétitivité et de la convergence des politiques économiques et monétaires en Europe, veulent supprimer cette spécificité propre à la Belgique et au Luxembourg. Car l’indexation automatique des salaires contribuerait, selon eux (BCE, Commission, dirigeants de grands pays comme l’Allemagne, la France ou le Royaume-Uni qui considèrent la modération salariale comme vertueuse), à compromettre la compétitivité des entreprises européennes (d’Europe) et leur capacité à préserver - voire reconquérir - des parts de marché sur l’échiquier industriel et commercial mondial.
Une situation tout simplement inacceptable quand on sait que l’inflation frôle les 3,5 % en Belgique, que les rémunérations des hauts managers y crèvent à nouveau les plafonds, et que les dividendes (moyens redistribués aux actionnaires) y ont augmenté de 15 % en un an. Aussi, dans cette sombre histoire, notre chance repose actuellement sur le fait même que les dispositions du projet d’accord interprofessionnel (que le gouvernement sortant entend faire appliquer malgré tout) doivent passer, au préalable, devant les parlementaires (au fédéral) pour approbation. Ce qui n’est pas encore chose acquise à ce jour.
En attendant, le vendredi 10 mars 2011, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro ont adopté un « pacte pour l’euro (pour améliorer la compétitivité et parvenir à un plus haut niveau de convergence) » dont l’objectif premier serait de « renforcer la coordination des politiques économiques dans la zone pour aider l’Union européenne à connaître une croissance plus rapide et plus durable à moyen et long terme, pour assurer aux citoyens des niveaux de revenus plus élevés et pour préserver nos modèles sociaux ». Ce pacte sera soumis au Conseil européen (Bruxelles) de ces jeudi 24 et vendredi 25 mars 2011.
Le « pacte pour l’euro ». A qui profite le crime ?
Sous la pression, et à la demande de grands pays comme l’Allemagne (surtout), mais aussi la France, les décideurs européens ont pris l’option de réformer dans l’urgence le pacte de stabilité et de croissance (mars 2005) ainsi que le traité de Lisbonne (décembre 2009), et se préparent à resserrer l’étau. Et ce, pour tenter de faire face à la crise de l’euro et de la dette publique née récemment dans la plupart des États membres de l’Union européenne.
Avec ce « pacte pour l’euro », les chefs d’État et de gouvernement [5], en collaboration étroite avec la Banque centrale européenne, affirment vouloir renforcer la solidarité entre les pays de la zone euro, en consolidant le dispositif européen de stabilité financière, et en rendant plus strictes encore les règles du pacte de stabilité et de croissance.
Mais ne soyons pas dupe et ne tournons pas autour du pot. Dans l’immédiat, l’objectif premier de ce « pacte » consiste à tenter de rassurer, le plus rapidement possible, à n’importe quel prix, les grands acteurs opérant sur les marchés financiers internationaux quant à la viabilité de l’euro. Mais aussi eu égard à la soutenabilité des finances publiques de la plupart des pays de la zone euro. Car certains sont des petits pays (Grèce, Irlande, Portugal) qui ont été particulièrement fragilisés par la crise économique et financière internationale survenue en 2008. Et d’aucuns les considèrent à présent comme étant en quasi faillite du point de vue de leurs finances publiques. Les grands opérateurs financiers profitent, dès lors, de cette situation pour contraindre ces pays, depuis l’extérieur, à mettre en œuvre des plans d’austérité drastiques. Des mesures qui ont pour effets immédiats d’y menacer la continuité des services publics, la qualité de vie de la majorité des salariés et des populations, et donc la collectivité dans son ensemble.
Les projets de réformes proposés par le pacte pour l’euro.
Le texte adopté le 10 mars 2011 par les chefs d’État et de gouvernement européens s’articule sur trois grandes propositions de réforme du cadre budgétaire et monétaire existant pour la zone euro : I. La réforme du Fonds européen de stabilité financière ; II. La mise en œuvre du « Semestre européen » ; et III. L’établissement d’une nouvelle « gouvernance économique » européenne.
Autant de « remèdes » qui risquent bien, une fois n’est pas coutume, de stigmatiser et fragiliser davantage les petits États membres qui sont les pays les plus exposés face aux attaques répétées des puissants spéculateurs actifs sur les marchés financiers.
I. La réforme du Fonds européen de stabilité financière.
Créé en mai 2010, et rebaptisé le 10 mars dernier Mécanisme européen de stabilité, cet instrument a été autorisé à lever quelque 750 milliards d’euros sur les marchés financiers. Cela, pour venir en aide aux petits pays attaqués directement par…ces mêmes marchés ! A priori, ce fonds a été constitué pour une durée limitée dans le temps (trois ans). Les aides financières qu’il a apportées, notamment à la Grèce et à l’Irlande, ont été largement conditionnées à la mise en œuvre de plans d’austérité budgétaires sans précédent et ont été assorties, paradoxalement, de taux d’intérêt plutôt élevés (5 à 6 %).
Pourtant, le Fonds a emprunté ces capitaux à un taux à peine supérieur à…3 %...sur les marchés financiers internationaux. Le différentiel entre les taux allant directement dans les caisses des grands pays de la zone euro (Pays-Bas, Allemagne, France, etc.) qui ont accepté de soutenir la création et l’alimentation du fonds en question. Ce qui leurs a permis, en acceptant de voir cet instrument d’intervention financière d’urgence venir en aide massivement aux petits pays fragilisés, d’engranger des rentes (intérêts) non négligeables. Jouer le jeu de la « solidarité » au sein de la zone euro peut donc s’avérer parfois très lucratif pour certains États membres.
Pour pérenniser ce mécanisme - au-delà de 2012 -, le Conseil européen devra réformer (compléter) le traité de Lisbonne, en précisant le fait que « les États membres de la zone euro peuvent instituer désormais, si besoin est, un mécanisme commun dont l’objectif premier est de préserver la stabilité de la zone dans son ensemble…mais l’octroi, via ce mécanisme, de toute assistance financière nécessaire, sera strictement conditionné ». [6] Il y a fort à parier que, par les termes « strictement conditionné », il faille entendre « soit assorti de mesures de rigueur, voire d’austérité, budgétaires conséquentes…à la hauteur de l’aide financière apportée à un pays membre qui est en difficulté ». Le ton est donné.
II. La mise en œuvre du « Semestre européen » : la rigueur budgétaire à tous crins.
A la demande de la Commission européenne, qui est la « gardienne » des traités…et du néolibéralisme en Europe, une procédure de surveillance mutuelle dénommée « semestre européen » vient d’être introduite. Celle-ci repose sur le principe suivant : chaque année, au cours du premier semestre, les pays membres devront présenter leurs programmes budgétaires respectifs de court et moyen terme. Des éléments qui seront soumis à l’avis liant tant de la Commission que du Conseil. Après quoi, seulement, ils pourront être transmis aux parlements nationaux pour y être analysés, et ensuite votés. Mais ce vote national devra tenir compte significativement de leurs avis.
Un tel changement érode donc encore un peu plus le principe de souveraineté nationale, des pays de l’UE, sur le plan budgétaire. Au profit de l’échelon décisionnel européen dont le pouvoir discrétionnaire en sort renforcé. Au travers de ce « semestre européen », il apparaît très clairement que la priorité de la Commission repose sur l’obtention rapide, dans le chef des États membres, de résultats probants en matière d’assainissement budgétaire. Elle réclame également d’eux qu’ils s’engagent à faire tout ce qui est en leur pouvoir afin de « corriger les déséquilibres macroéconomiques » [7] épinglés (coût salarial, déficit commercial, déficit et endettement publics,…, que la Commission juge trop élevés) observés dans la plupart des pays de l’Union européenne.
Pour ce faire, à travers le « pacte pour l’euro », la Commission suggère explicitement, aux pays européens qui connaissent des déficits budgétaires conséquents, de pratiquer la modération salariale, de libéraliser tant les services (et réduire la voilure des services publics) que les activités de commerce, de réformer les systèmes de retraite (en élevant l’âge d’accès à la pension légale, mais aussi en privilégiant les institutions financières privées proposant des assurances complémentaires plutôt que la pension organisée via les organismes publics de sécurité sociale), ou de « rendre le travail plus attractif » en appliquant entre autres la flexicurité, etc.
Mais nulle part, dans ce texte, dans ce « pacte », pour améliorer la compétitivité et la qualité de vie en Europe (sinon, au moins la maintenir), il n’est proposé la mise en place d’une stratégie économique commune articulée autour de mesures garantissant une convergence « vers le haut ». Rien n’a été prévu sur le terrain de l’emploi - ni celui des hausses salariales pour préserver le niveau de vie des citoyens européens et soutenir la demande intérieure des pays (donc la croissance économique) -, en matière de fiscalité (et de son indispensable harmonisation à l’échelle européenne afin de mettre fin aux pratiques de dumping en tous genres), ou dans le domaine des investissements productifs et durables connectés à l’économie réelle.
En bref, la nécessité impérieuse de mettre en place enfin des politiques de convergence sociale vers le haut a été éclipsée ! Ce qui nous fait dire (redire) qu’une fois de plus, les décideurs du continent continuent de faire fausse route en matière de développement socioéconomique, tant ils s’obstinent à nier les préoccupations de la majorité des travailleurs et familles d’Europe.
III. Les bases d’une « nouvelle gouvernance économique européenne ».
Comme énoncé ci-avant, par le « pacte pour l’euro », la Commission européenne vient d’amorcer la refonte (le durcissement) des dispositions du pacte de stabilité et de croissance (2005). Un dispositif de rigueur budgétaire qui, sous la pression considérable des marchés financiers, a fini par s’avérer totalement inadapté pour prévenir les dérapages budgétaires dans la plupart des pays européens. Cela, en raison de la rigidité excessive du PSC dont les règles ne tiennent pas suffisamment compte des spécificités propres à chaque État membre.
Aussi, pour éviter de nouveaux dérapages déraisonnables des finances publiques en Europe, et pour pouvoir mieux contrôler les États réputés « gaspilleurs et indociles » - et leurs infliger plus rapidement des sanctions, si besoin est -, la Commission envisage de créer une « Haute autorité budgétaire européenne indépendante ». A l’instar de la Banque centrale européenne, dont la mission première est de veiller à la stabilité monétaire en Europe (stabilité de l’euro et maintien de l’inflation sous le seuil des 2 %), cette institution (à créer) veillerait à l’application stricte des règles budgétaires européennes.
Pour ce faire, le projet présenté en mars 2011 maintient la limite de déficit budgétaire d’équilibre de moyen terme de 3 % (du PIB) [8] ; avec la contrainte de diminuer les déficits structurels (de plus long terme) d’au moins 0,5 % du PIB chaque année. En outre, indépendamment de la conjoncture, les États membres dont le niveau d’endettement cumulé dépassera 60 % du PIB, pourront se voir infliger une amende à concurrence de 0,2 % de leur Produit intérieur brut, s’ils ne réduisent pas leur dette publique à un rythme prédéterminé.
S’il nous fallait conclure. A tout le moins, à titre provisoire.
La raison principale pour laquelle il est procédé, aujourd’hui, à une réforme dans l’urgence, tant du traité de Lisbonne que du pacte de stabilité et de croissance, est qu’ils interdisent aux pays de la zone euro de venir en aide à n’importe quel autre pays membre de la zone qui est confronté à des difficultés financières. Or, au printemps 2010, il a bien fallu se résoudre à improviser, à la hâte, un « Fonds européen de stabilité financière » pour éviter que la Grèce puis l’Irlande ne soient en faillite virtuelle.
Nous sommes en droit, ainsi, de nous poser la question majeure suivante : Pourquoi interdire en effet à des États qui renoncent à leur monnaie nationale, pour utiliser dorénavant une monnaie unique commune à plusieurs États (en l’occurrence l’euro), de s’entraider lorsque un ou plusieurs d’entre eux connaissent des difficultés économiques (budgétaires) ? Car, dans ce genre de circonstances, ne pas permettre à ces États de se venir en aide mutuellement - le cas échéant -, c’est obliger chacun à se présenter seul devant le tribunal des marchés financiers. Ce qui est tout sauf…solidaire !
Avec la crise financière qu’ils sont les seuls à avoir engendrée, ces derniers ont démontré pourtant leur incapacité la plus complète à s’autoréguler, et donc leur inefficacité. Et ils ne se privent pas pour sanctionner, aujourd’hui, à la vitesse éclair, les pays qu’ils jugent trop « laxistes » du point de vue de la gestion de leurs finances publiques. Il est donc irrationnel - et totalement irresponsable - de leur confier plus longtemps la tutelle des politiques économiques et financières des pays de l’Union européenne. Allez donc comprendre pourquoi les dirigeants européens continuent de faire le choix de demander au secteur financier de fixer les conditions auxquelles les États peuvent se financer sur ces marchés. D’autant qu’avant 2008, même si les réformes fiscales successives favorisant les hauts revenus avaient déjà commencé d’entamer sérieusement les recettes de nombreux États membres, leurs déficits budgétaires étaient restés raisonnables et sous contrôle partout en Europe. Inutile de rappeler, dès lors, que c’est principalement la crise financière, et la nécessité pour les États de sauver le secteur financier de la banqueroute, qui ont creusé les déficits et l’endettement public.
Sans grand succès, les traités européens successifs et le pacte de stabilité et de croissance se sont donné pour but d’imposer aux États la discipline des marchés. Ce 10 mars 2011, dans la lignée de ces textes, un « pacte pour l’euro » a été adopté à la quasi-unanimité des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro. Au nom de la compétitivité, et pour espérer contenir l’appétit décidément sans limite des spéculateurs, ce pacte préconise le recours à la modération salariale [9] et aux coupes drastiques dans les dépenses publiques. Berlin et Paris y voient un gage de discipline commune, et en ont fait une condition stricte pour accepter de venir en aide financièrement aux États en difficulté budgétaire. Bel exemple de solidarité !
Les solutions que le « pacte pour l’euro » suggère sont d’autant moins acceptables qu’il autorisera davantage que jusqu’à présent les institutions européennes (Commission, BCE), mais aussi les grands pays du continent, à dicter aux autres pays leurs prescrits. Le tout, sans aucune considération des spécificités nationales, des caractéristiques inhérentes à chaque pays. Pour preuve, figurent dans leur viseur notre dispositif d’indexation automatique des salaires, mais aussi l’âge de départ à la retraite que certains veulent fixer à…67 ans partout en Europe de même que tous les mécanismes de préretraite existants [10].
Pour prévenir de nouvelles crises économiques, financières, mais surtout sociales, les pays de la zone euro, l’Europe en général, ont probablement besoin d’un peu plus de convergence économique. Sur les terrains commerciaux, budgétaires et monétaires. Pour éviter notamment que certains pays connaissant des difficultés conjoncturelles, ou structurelles graves (comme l’Irlande, la Grèce et le Portugal aujourd’hui, la Belgique ou l’Italie demain), fassent encourir des risques socioéconomiques à un ou plusieurs autres États européens. Voire un risque systémique pour l’ensemble de la zone euro, ou de l’Union européenne. Pas grand monde n’en sortirait gagnant. Mais le débat sur la gouvernance économique en Europe peut-il faire encore longtemps l’impasse sur les leçons de la crise ?
De toute évidence. Non. Car l’heure n’est plus aux tergiversations. Il devient urgentissime de trouver (restaurer) enfin des moyens collectifs conséquents afin de mettre hors d’état de nuire certaines catégories d’acteurs opérant sur les marchés financiers. Et ce, pour éviter qu’ils ne frappent à nouveau des États déjà très affaiblis. Aussi, pour les affranchir de la tutelle des marchés, il convient de réformer en profondeur les textes (traités, accords-cadres), mais dans une optique fondamentalement différente de celle retenue dans le « pacte pour l’euro ». Les Grecs et les Irlandais ont pourtant exprimé haut et fort leur refus de continuer dans cette voie. Il est indispensable de mettre en place simultanément, sous peu, plusieurs mesures correctrices plus coopératives dans la zone euro. Parmi ces mesures figurent notamment les pistes suivantes : l’instauration d’une taxe sur les transactions financières (qui serait inspirée de la taxe Tobin), pour contenir la spéculation ; le démembrement d’institutions financières (banques d’affaires, fonds d’investissement, etc.) dont la taille est démesurée parce qu’elles ont grandi trop vite et qu’elles présentent un trop grand profil de risques ; le report des coûts de la récession économique (crise des finances publiques) sur les actionnaires et les familles les plus aisées, au travers, entre autres, du rétablissement d’une fiscalité plus progressive qu’elle ne l’est aujourd’hui ; etc.
Outre la remise à plat du secteur financier, et de ses pratiques spéculatives indéfendables, il nous semble que c’est surtout de programmes de convergence, donc d’harmonisation sociale, salariale et fiscale « à la hausse » (bien entendu, pas à la baisse, pas au « rabais ») dont auraient grandement besoin les États membres de l’UE, et leurs citoyens. Car ces mesures éviteraient à bien des travailleurs, et à leur famille, de souffrir du dumping généralisé qui caractérise désormais le grand marché du travail européen. Un ensemble de pratiques détestables, inacceptables, qui tendent à les mettre toujours plus en comparaison, en compétition…bref, sous pression. La faute à quoi ? La faute à qui ? A la compétitivité, au dumping et à la flexibilité, pardi. Et bien entendu, la faute à celles et ceux qui font la pluie et le beau temps dans une économie désormais mondialisée et qui, pour mieux en tirer parti, en réclament une application tous azimuts.
En Europe, d’aucuns chérissent la compétitivité et la flexibilité, et tentent de nous les présenter comme représentant la solution exclusive à tous les défis auxquels le vieux continent se doit de faire face : lutter contre le chômage élevé ; la pauvreté croissante et l’inflation en hausse ; trouver les ressources suffisantes afin de couvrir durablement les coûts élevés - et croissants - liés au vieillissement des populations ; remettre à flot des finances publiques moribondes cela, en luttant contre toutes les formes d’évasion et de fraude fiscale (et sociale), en restaurant plus de justice fiscale, en levant le secret bancaire pour taxer davantage les capitaux - revenus financiers -, mais aussi en supprimant les paradis fiscaux qui se trouvent à nos frontières ; etc.
Depuis le lancement de la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne en mars 2000 - dont l’objectif central était de faire de l’Union européenne la zone économique la plus compétitive du monde d’ici 2010 -, les deux mots que sont la compétitivité et la flexibilité (flexicurité) sont omniprésents dans la plupart des textes européens. Comme si l’Europe n’avait que cela à nous proposer. Or, de ce « projet » européen-là, donc celui d’une Europe à deux vitesses où on laisse les inégalités se creuser, c’est très clair, du côté du monde du travail (surtout à la FGTB), nous n’en voulons pas.