En droit social belge, les régimes qui s’appliquent aux ouvriers et employés recèlent plusieurs différences qui constituent souvent des discriminations ; surtout au détriment des ouvriers. Il s’agit toutefois d’une exception en Europe qui est d’ailleurs probablement contraire aux directives européennes.
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Au début des années 1990, la Cour d’Arbitrage (rebaptisée depuis Cour constitutionnelle) avait admis pourtant que le critère « manuel » et « intellectuel » (types de prestations de travail) était justifiable de manière objective et raisonnable, autorisant des traitements différenciés [1].
Conscients de l’importance du débat, et des enjeux idéologiques sous-jacents - revendications patronales en faveur de plus de flexibilité au travail ou de l’extension des motifs de recours à l’intérim…bref d’une « harmonisation des statuts vers le bas », et donc d’une déréglementation de la législation du travail en Belgique -, les interlocuteurs sociaux ont abordé cette problématique socioprofessionnelle épineuse dans tous les AIP de la décennie écoulée. La volonté de travailler au rapprochement des statuts n’a cessé d’être réaffirmée effectivement au sein du Groupe des Dix depuis 2001.
Mais en dix ans, la situation n’a pas changé fondamentalement, à l’exception de quelques « mesurettes » : la suppression partielle des jours de carence ; l’augmentation des délais de préavis des ouvriers via l’adoption, au Conseil National du Travail (CNT), de la CCT n°75 ; ou encore l’amélioration du mode de calcul des vacances annuelles des ouvriers. Au départ de l’Accord interprofessionnel (AIP) 2007-2008, un groupe de travail spécial a même été institué au sein du CNT, pour tenter de réaliser des avancées sur ce terrain sensible.
Or, dès que la crise économique et financière internationale a frappé le marché du travail en Belgique, la problématique a été reléguée au second rang. Sous la pression du monde patronal, à la mi-2009, pour aider les entreprises à mieux en juguler les conséquences, le gouvernement fédéral a fait adopter une « loi sur l’emploi en temps de crise » [2]. Laquelle a permis aux employeurs, sous certaines conditions [3], de suspendre temporairement le temps de travail des employés, voire d’accorder des crédits-temps à titre exceptionnel, c’est-à-dire « hors quota ».
Bien que présentées comme un moyen de soutenir temporairement l’activité économique en Belgique, ces mesures dites « d’exception » viennent d’être prolongées, une nouvelle fois jusqu’au 31 décembre 2010, par le gouvernement Leterme qui est en affaires courantes.
Ces dispositifs permettent aux entreprises de bénéficier depuis leur adoption d’une réduction parfois non négligeable de la masse salariale de leurs effectifs de personnel (ouvrier et employé). Une charge qui est supportée de facto par la collectivité (Sécurité sociale).
Les différences de traitement entre ouvriers et employés : les exigences syndicales
Durée de la période d’essai
Employés : comprise entre 1 à 12 mois (en général 6 mois)
Ouvriers : comprise entre 7 et 14 jours
Pour les deux types de contrats, du côté syndical, depuis plusieurs années, on revendique l’institution d’une période d’essai comprise entre une semaine et six mois (maximum) pour tous les travailleurs. En outre, à ce titre, il est réclamé de :
Pouvoir comptabiliser dorénavant toutes les prestations effectuées ex ante pour le compte d’un même employeur ;
Ne pas permettre ni à l’employeur ni au travailleur de rompre unilatéralement le contrat de travail pendant les 7 premiers jours de travail (sauf cas de force majeure) ;
Ne pas autoriser la prolongation du contrat de travail de plus de 7 jours en cas de suspension de la clause d’essai.
Paiement du salaire & Comptabilisation intégrale et systématique des heures prestées
Actuellement, les employés se voient payer leur salaire une fois par mois.
Les ouvriers perçoivent, quant à eux, leur revenu du travail généralement tous les 15 jours.
Aussi, il serait bon de mettre fin à ce traitement différencié, mais en permettant aux employés qui le souhaitent de bénéficier également, à l’avenir, à l’instar des ouvriers, du mécanisme de l’avance sur salaire (autrement dit de l’acompte).
Pour mieux lutter contre les abus en matière d’heures supplémentaires, par ailleurs, il faudrait pouvoir appliquer à toutes les catégories de travailleurs (sauf le personnel de direction, mais bien les cadres) des modes d’enregistrement fiables des heures prestées pour chaque travailleur.
Salaire mensuel garanti (en cas d’incapacité de travail) & Jours de carence
En outre, le banc syndical ne cesse de réclamer (à juste titre) l’application du régime des employés, au profit des ouvriers, en matière de paiement du salaire mensuel garanti lorsque le travailleur est en incapacité de travail.
Dans ce cas, pour les employés, le premier mois de salaire est pris en charge intégralement par l’employeur. Ce dernier ne couvre cependant intégralement que les 7 premiers jours d’incapacité de l’ouvrier. Au-delà, l’intervention de l’employeur est dégressive. C’est donc l’Inami (soit la Sécurité sociale) qui procurera alors l’essentiel du revenu de remplacement à l’ouvrier ; l’employeur n’apportant alors qu’un complément de revenus au travailleur en question [4].
Et comble de la discrimination, toujours en matière de maladie, les ouvriers se voient appliquer dans bien des cas un jour de carence, en cas de congé de maladie inférieur à 14 jours. C’est-à-dire que le premier jour d’incapacité ne fait l’objet d’aucune indemnisation (ni par l’employeur, ni par la sécurité sociale). Cette mesure vexatoire à leur égard doit donc pouvoir être supprimée pour laisser la place à un système unique de salaire garanti à charge intégrale de l’employeur. Donc un régime commun à tous les travailleurs ; soit celui qui s’applique actuellement aux employés [5].
Chômage temporaire [6]
Il existe en Belgique des possibilités pour l’employeur de suspendre temporairement les contrats de travail pour cause économique, d’accident technique ou d’intempéries en cas de force majeure.
Ce dispositif a pour effet de faire encourir aux travailleurs - les ouvriers mais aussi les employés (depuis l’adoption, en 2009, de la loi sur l’emploi en temps de crise, et moyennant l’autorisation préalable de l’Onem) -, une perte financière. Cette possibilité offerte aux employeurs leurs permet, sous certaines conditions, de reporter le coût de mise en chômage temporaire sur la collectivité, via l’intervention de la Sécurité sociale.
Cet avantage dont bénéficie les entreprises (qui en abusent parfois) doit disparaître à l’avenir, et exige d’être corrigé dès à présent sur plusieurs aspects :
- La charge de la mise en chômage temporaire (donc les indemnités compensatoires versées aux travailleurs affectés par ce genre de mesures) doit pouvoir être assumée dorénavant davantage par l’employeur qui y recourt que par la collectivité.
- La législation actuelle (en cas d’accident technique ou d’intempérie dans le cadre de la force majeure) doit être appliquée, certes, mais moyennant des conditions supplémentaires : la garantie du versement, au travailleur, d’un salaire net au travers des allocations de chômage complétées par une intervention tant du fonds de sécurité d’existence que de l’employeur via le versement d’une cotisation patronale complémentaire de type « assurance chômage et d’alimentation des fonds de sécurité ».
- L’application d’un régime unique, commun, à tous les travailleurs occupés dans des conditions de travail similaires.
- L’instauration d’un régime garantissant l’assimilation de toutes les périodes de chômage temporaire dans le calcul du double pécule de vacances.
Pécule de vacances
Le pécule de vacances d’un employé est calculé sur le salaire du mois où les vacances sont prises par celui-ci ; il est payé directement par l’employeur. Pour les ouvriers, il est calculé sur l’ensemble du salaire perçu au cours de l’année précédente (y compris les primes).
Il apparaît donc logique de vouloir mettre fin à ce régime dédoublé, et de prôner ainsi l’application du régime des employés à tous les travailleurs. L’idéal serait de faire payer le pécule de vacances par une caisse indépendante et de pouvoir en garantir le paiement en toutes circonstances (même en cas de faillite d’une entreprise).
Délais de préavis [7]
Une des injustices les plus intolérables qui subsiste au détriment des ouvriers a trait aux règles en matière de délais de préavis, et exigent dès lors d’être modifiées…pour s’aligner sur les mesures dont bénéficient les employés et les cadres. Ou celle qui prévoit que le préavis débute le 1er jour du mois qui suit celui au cours duquel la décision a été notifiée au travailleur licencié (par l’employeur).
Bien que les délais de préavis des ouvriers ont été augmentés dans de nombreux secteurs - au regard du minimum légal -, ils restent largement inférieurs aux minima prévus par le régime Employés. Selon son ancienneté dans l’entreprise, en principe, un ouvrier disposera d’un préavis légal minimum compris entre 35 jours (s’il dispose d’une ancienneté comprise entre 6 mois et 5 ans) et 84 jours (s’il a au moins 15 ans d’ancienneté). Contre un minimum de 3 mois par tranche de 5 ans d’ancienneté pour les employés [8] !
Au-delà de ces différences de traitement injustifiées qu’il convient de supprimer, il serait utile de se pencher également sur les possibilités de réduire le délai de préavis en cas de prépension (singulièrement lorsqu’elle résulte d’une restructuration) et de pouvoir le convertir en indemnité de rupture - sous certaines conditions -, en particulier pour les longs préavis prestés qui finissent par rendre le climat au travail très tendu (sinon détestable) pour toutes les parties (l’employeur comme le travailleur licencié).
Face à l’adoption d’un nombre croissant de mesures visant à réduire les droits fondamentaux des travailleurs (ouvriers et employés), sous le prétexte de l’ampleur de la crise économique frappant le marché du travail, par crainte de voir ces mesures dites d’exception devenir la norme et contribuer à nous faire régresser socialement, il devient urgent de maintenir (restaurer) la solidarité entre tous les travailleurs. Et cela, quelque soit la catégorie professionnelle à laquelle ils appartiennent. Il s’agit de leur permettre de bénéficier dès lors, enfin, des mêmes droits au travail (droit social, conventions collectives, etc.).
Mais ne nous voilons pas la face, un tel rattrapage nécessitera encore du temps et son lot de patience, car elle exige d’abord de dégager une position unanime au sein même des organisations syndicales (et de l’ensemble de leurs centrales professionnelles), et de réformer, par ailleurs, en profondeur plusieurs dispositifs clés du droit du travail en Belgique…ce qui ne se fera pas en deux coups de cuillère à pot : la composition et les modes de fonctionnement des commissions paritaires ; le mode d’organisation des élections sociales, et donc les dispositifs garantissant la mise en place et le bon fonctionnement des délégations syndicales ; ou encore la composition des tribunaux du travail.
Gageons que les négociations entre interlocuteurs sociaux qui vont s’ouvrir prochainement pour tenter de parvenir à un accord interprofessionnel, pour les années 2011 et 2012, permettront d’engranger enfin des avancées significatives sur cette problématique sensible.