Une banque, ce n’est pas une usine ni une ferme : en somme, dans notre imaginaire économique collectif, et prolétarien, on supposerait plutôt qu’elle ne produit rien. Qu’il s’agit de coffres-forts, où il y a, accumulé par l’histoire, de l’argent… Beaucoup, à entendre les chiffres de la récente valse mondiale de milliards. La crise « systémique » menaçait, a-t-on dit. Ci et là on a même nationalisé des banques. Partout des paquets de milliards ont été et sont encore injectés par les Etats : pour le coup, « Etat capitaliste », « de classe », « au service des possédants », quelques formules rayées du bon langage prenaient un coup de jeune.

Mais que se passe-t-il donc !? Candide vous emmène dans de merveilleux pays.

 La caisse d’épargne

Si l’on dépasse les images de l’Avare comptant ses pièces d’or, l’expérience aujourd’hui la plus commune, c’est que la banque reçoit des dépôts, notamment de l’épargne, d’une part, et qu’elle prête, d’autre part ; et que le taux d’intérêt donné sur l’épargne est inférieur à celui pris sur les emprunts. La différence, généralement de l’ordre de 2% au moins, c’est ce qui couvre son « service » et ses bénéfices. Le service comprend aussi les paiements et les encaissements, la tenue de comptes.

Dans un passé pas si lointain, la grande majorité de la population vivait à la journée, à la semaine, et tout juste : elle n’avait guère de quoi épargner et, au cas où, mettait ses sous dans des bas de laine, des oreillers ou des lessiveuses,… Elle épargnait avant d’acheter et ne mettait pas les pieds à la banque, au mieux détenait-elle des « livrets d’épargne ».

Aujourd’hui, dans nos pays, la précarité a sensiblement reculé et on utilise de moins en moins les pièces et les billets, beaucoup se passe en écritures bancaires. Presque tout le monde a un compte en banque, un peu d’avance et de réserve : si les banques faisaient faillite, en raison de leur fonction de caisses d’épargne ce serait une catastrophe sociale. Voilà un des motifs de l’intervention publique récente : après avoir privatisé les banques publiques, il y a quelques années, il fallait dare-dare restaurer et renforcer la garantie publique, pour les comptes jusqu’à 100000 euros comme on a vu.

Si ce métier de caisse d’épargne des consommateurs n’est pas historiquement premier dans les banques – qui opéraient surtout pour les entreprises et commerçants, et les Etats – ni dominant dans la plupart, sa présentation au bilan d’une entreprise financière permet en première instance de situer les enjeux selon le schéma suivant.

A telle date, du côté de l’actif, il y a les créances, les prêts divers faits par la caisse-banque avec des échéances de remboursement ultérieur diverses et à des taux divers.
Du côté du passif, il y a les capitaux propres (y compris les réserves, des bénéfices des années précédentes), et les dépôts divers – qui sont comme des dettes, à rendre, à rembourser – avec des délais et des taux divers, dépôts par exemple mis en « comptes courants », à terme, d’épargne.

Le passif, ce sont les fonds récoltés pour « en faire quelque chose », et l’actif, c’est ce qui en est fait. Ainsi le fonctionnement de base est-il simple : l’argent dont des déposants n’ont pas un besoin immédiat permet – via la banque – à des emprunteurs d’acheter au-dessus de leurs moyens immédiatement disponibles [1] , par exemple un bien cher et « durable » comme une cuisine équipée, ou des services exceptionnels et coûteux, comme une fête de mariage, un voyage... Et le risque, c’est que l’emprunteur brûle ou casse le mobilier, divorce où perde son revenu et ne sache plus rembourser : à cet égard, les capitaux propres constituent une garantie pour les déposants, et des règles ou recommandations de prudence en fixent les proportions pour divers risques (selon l’objet et/ou le client), à hauteur de 4 à 1.

10%, selon des formules compliquées. Il s’agit d’une garantie de solvabilité de la banque.

Un premier degré de complexité tient à la diversité des échéances et des taux : entre les entrées et les sorties se pose chaque jour un problème de liquidités, en trop ou en trop peu. La solution tient aux prêts interbancaires, et entre banques et banque centrale. Cela fait une couche en plus à l’actif et au passif – l’ondulé dans le schéma signale que les proportions sont variables – et un facteur de plus à considérer, celui des taux pour ces prêts.

Un deuxième degré de complexité tient à l’internationalisation dès lors que l’actif ou le passif comprennent plusieurs monnaies : les variations des taux de change posent un problème de prudence et de solvabilité. Si une banque prête 1000 euros en dollars à 1.30, il s’agit de 1300 dollars ; si elle les récupère à 1.50, cela ne fera plus que 866 euros ! A ce risque de base s’ajoute celui des différentiels variables de taux d’intérêts, selon les politiques de la Fed aux USA pour le dollar, et celles de la BCE pour l’Euro par exemple.

 Premières observations du voyageur

1. Les règles ou recommandations de prudence – notamment « de Bâle II », lieu où siège la Banque des règlements internationaux (BRI) qui en a édicté – ont été réduites et semblent avoir été peu respectées et/ou mal conçues : capitaux propres insuffisants et risques sous-évalués, notamment dans le prêt immobilier (américain, britannique, irlandais, espagnol,…), de sorte que depuis 2007-2008 les pertes ont siphonné rapidement les fonds propres, jusqu’à deux doigts de la faillite. Il a fallu, et il faut encore « recapitaliser » pour restaurer la solvabilité. Et il faudra réinstaurer des règles prudentielles fermes pour ne pas rechuter.

2. Les politiques des banques centrales en matière de taux (« directeurs »), motivées par des considérations macro-économiques diverses et variables, font partie du problème autant que de la solution. L’intervention publique récente a d’abord porté sur la liquidité, au moment où l’interbancaire était bloqué par la défiance générale. Et les taux directeurs ont été amenés à des minima historiques.

3. La politique de libéralisation des taux de change (« flottants » depuis un tournant de 1971-73, plutôt que « fixes », liés à l’or et au dollar selon les accords de Bretton Woods de 1944), a ouvert la porte aux spéculations mondialisées diverses, et constitue un facteur d’instabilité supplémentaire. En période de crises, quand des monnaies dégringolent, les prêteurs étrangers font des pertes considérables (par ex. actuellement, en Europe de l’Est). Il faut reconstruire un système monétaire mondial régulé.

4. ou 1 bis. Le mouvement économique d’ensemble affecte le fonctionnement financier : quand des emprunteurs, en masse, perdent de leur revenu, le risque qu’ils ne puissent rembourser augmente sensiblement, et leurs garanties peuvent s’étioler parallèlement – comme par exemple la valeur de l’immobilier en vente forcée.

 Affaires des banques

A côté du prêt aux particuliers, les banques prêtent aussi beaucoup aux entreprises, notamment commerciales, ce fut leur première fonction. Une forme élémentaire, c’est le « crédit de caisse », l’autorisation de dépenses et l’exécution de paiements, « en négatif », dans l’attente de recettes. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les banques ont non seulement fait des prêts mais aussi pris à leur actif des obligations (c’est presque la même chose), puis de plus en plus, pris des actions  : le saut qualitatif, c’est qu’alors le rendement devient variable, en forme de dividendes, et que la valeur même des actions peut s’apprécier… ou se déprécier (voire se perdre). Engagées sur ce terrain, on les appellera banques d’affaires (ou encore banques d’investissement), et dans cette fonction, elles se rapprochent des holdings.

Avec un souci, c’est que les fonds des déposants (au passif) sont utilisés pour des actifs aux risques sensiblement étendus. Tout alla bien, encore qu’avec des cycles, jusqu’à la crise de 1929. Le krach emporta les entreprises, les actions, les banques… et les épargnants, ruinés. Parmi les mesures de sauvegarde prises dans les années 30, la séparation entre banques d’affaires et banques de dépôt fut imposée par la loi : aux USA, il s’agissait du Banking Act de 1933 (mieux connu par le nom de ses deux auteurs, Glass-Steagall Act). La séparation fut contournée à partir des années 80 (administration Reagan), puis finalement abrogée en 1999 (administration Clinton). En Belgique, le mouvement fut parallèle. La séparation (plus stricte qu’ailleurs en Europe) fut instaurée le 22 août 1934 (et confirmée le 9 juillet 1935, avec la création de la Commission bancaire) ; le grignotage de la réglementation commença dès les années 60 et le démantèlement final intervint en 1993, sous impulsion européenne, avec l’adoption d’un modèle dit de la banque universelle, qui nous a ramenés aux années 20-30.

L’activité de banque d’affaires ne se limite évidemment pas à l’achat d’actions : courtage, gestion de fonds, introduction en Bourse, fusion et acquisition d’entreprises, produits titrisés et dérivés, en général ingéniérie financière sont au menu. Avec quelques problèmes d’opacité – au jeu, on ne montre pas ses cartes – et de « déontologie » comme on dit maintenant sans rire. Au moment où la conjoncture se retourne, où des bulles boursières éclatent, la banque est « exposée », et ne veut pas même dire de combien, jusqu’au moment d’appeler au secours. Les actifs pourris ou « toxiques » sont perdus ou destinés à des banques poubelles ou bad banks, à créer, et/ou « socialisés » (comme il sied aux pertes et non aux bénéfices).

Dans le genre opaque, la titrisation, c’est-à-dire le regroupement « hors bilan » de prêts (entre autres immobiliers) en « véhicules » ou contrats ad hoc – les créances étant transformées en titre – puis celui de ces titres en d’autres sur plusieurs étages ont joué un rôle important. Au moins au déclenchement de la crise baptisée ipso facto « des subprime », selon le qualificatif donné aux prêts hypothécaires américains les plus risqués. Au moment où la bulle immobilière se dégonfle, les banques qui ont gardé de ces titres à leur actif en savent assez pour savoir qu’elles sont touchées, que la solvabilité de nombre d’entre elles est compromise : elles bloquent l’interbancaire, avec répercussion immédiate sur la liquidité.

 Deuxièmes observations du voyageur

5. Bon nombre de caisses d’épargne se sont abstenues de jouer en Bourse, ont gagné peu sur des actifs sûrs comme les emprunts publics, et ont échappé à la crise financière. Les travailleurs et les épargnants ont le droit que leurs fonds soient protégés et ne soient pas compromis dans des investissements et jeux financiers. Il faut réinstaurer la séparation entre banques et réserver la garantie de l’Etat aux banques de dépôt, reconstituer des banques publiques à cette fin, notamment quand il y a nationalisation. Il s’agit d’un service public de l’épargne populaire.

6. L’ingénierie financière a l’opacité pour principale caractéristique sinon fonction. La titrisation peut tout simplement être interdite et en tout cas, réservée aux banques d’affaires « séparées », sous condition de transparence.

7. Sans épiloguer sur leurs relations, la bulle immobilière n’a pas fini de se dégonfler et la bulle boursière non plus. Les pertes pour l’actif « affaires » des banques continuent.

 Et les assurances ?

A considérer le schéma simplifié de bilan et de fonctionnement ci-dessus,
la proximité avec ceux d’une société d’assurance peut frapper : les primes payées par les assurés sont comme des dépôts d’épargne, et les risques couverts sont comme des créances régies par des statistiques (de mortalité, d’accidents,…). Cette proximité a conduit les stratégies de fusion en « bancassurance », ce qui à première vue ne soulève pas d’objection. Ce qui par contre pose problème, c’est la contamination par la banque d’affaires. On a vu en l’espèce se multiplier les « fausses » assurances qui sont en fait des placements en actions et obligations du genre Sicav (même sous le déguisement de comptes d’épargne du genre first of all).

Un autre niveau de contamination, c’est celui de l’assurance et des garanties contre les pertes portant sur les actions et autres montages de banque d’affaires. Les pertes sur les titres dérivés de prêts immobiliers américains ont par exemple entraîné la faillite de la mondiale et américaine compagnie d’assurance AIG.

 Des paquets de milliards en ballades

Les journaux nous ont appris récemment à compter en milliards, d’euros ou de dollars, en nous évitant les zéros, les exposants, la conversion hasardeuse des billions et trillions de l’américain au français.
Pour sa gouverne, on peut se remémorer quelques chiffres de juste avant ladite crise.

Plan Marshall wallon : 1 milliard (sur 4 ans …), c’est notre nouvelle unité. Budget wallon 2008 : 7 (initial 6.7 en dépenses et 0.3 de dettes)
Profits GBL+ CNP (Albert Frère) 2007 : 1.2 (en2006, 3.5) Trou de Madoff : 50 (dont 1 dans la culotte de Fortis) Profits de Fortis2007 : 4 (premières pertes sur le subprime)

Budget fédéral belge 2008 : 80 (initial 46 en dépenses et 33.5 pour la dette) PIB belge 2008 : 344
dont part des salaires (50%) = 172 Dette fédérale belge : 309 (novembre 2008) Sauvetage Fortis, Dexia,Ethias, KBC : 45 (25 en garanties + 20 en capital)

Bilan des banques belges fin 2008 : 1 422
dont dépôts des particuliers : 259 (soit 18.2%)
Dans l’affaire des banques, le poids des dépôts des particuliers (259/1422) n’est pas dominant, et il faut être attentif à la grande inégalité de répartition : chacun des Belges (enfants compris, ramenons les à 10 millions) n’a pas la moyenne de 259000 euros sur ses comptes ! Mais c’est un premier lien qui ne compte pas pour peu.

 La masse salariale : salaires et profits

D’ailleurs, le rôle des salaires, des revenus et des consommations de masse n’est généralement pas méconnu dans l’analyse macro-économique. C’était l’acquis fordiste-keynésien, ébauché dans les années 1930 et développé après 1945. La question de l’endettement des particuliers vient faire un deuxième lien avec les banques.

On doit en effet considérer qu’au salaire « poche », individuel, et aux salaires collectifs, faits de cotisations de sécurité sociale (parts patronale + salarié) et de contributions à l’impôt pour les services publics, s’ajoutent en pratique des crédits : un peu chez les amis…, surtout dans les banques.
Pour une part (rappel du schéma introductif de la caisse d’épargne), il s’agit bien de moyens disponibles d’autres salariés (plus anonymes, nombreux et mieux dotés que les amis).

Mais il s’agit aussi et surtout de profits des actionnaires et propriétaires de capitaux, y compris ceux des sur-salariés et faux salariés, quelques pour cent des « particuliers » précités qui font la masse des dépôts ainsi référés.

Ce qui doit attirer notre attention sur une autre logique, qui n’est pas sans rappeler celle du patronat du XIXe siècle quand il tenait encore des cantines : « mes enfants, je ne vous donne pas un salaire suffisant, je vous en prête ». Le problème de l’endettement massif des ménages, notamment aux USA et en Grande-Bretagne autour de 150 et 100% du PIB respectivement, est pour une part celui de salaires massivement trop bas, en retard sur la croissance. Au demeurant, la même ligne idéologique c’est aussi « je ne paye pas d’impôts à l’Etat, je lui prête », discours libéral perpétuel (archéo comme néo) : la dette publique, c’est la somme accumulée des impôts nécessaires et non prélevés (pas même dus, réduits, ou éludés et fraudés).

Dans les deux cas, la banque fonctionne en faisant tourner des profits et en rajoutant un intérêt prélevé sur les salaires et sur les contribuables des années suivantes.

 Troisièmes observations du voyageur

8. Masse des dépôts, salaires et profits, politiques financières et monétaires des Etats, la vie des banques ne se passe pas sur une île ou dans une cave au trésor. Elles sont dans l’économie réelle, et la crise bancaire n’est pas susceptible d’être traitée par un simple confinement et des soins financiers, ni d’être comprise comme un simple problème de technique ou morale financières.

  Profits et capital

La question des profits et du profit, et celle des « bulles » en particulier méritent donc un détour d’économie politique. A gauche, avec un héritage plus ou moins fidèle à Marx, l’attention a privilégié le cycle productif, soit dans une perspective de développement ou rattrapage – cas des pays du Sud, de l’Europe centrale et orientale et de la Russie – ou de re-développement – cas des régions d’ancienne industrialisation – soit encore dans une perspective d’action politique portée par la classe ouvrière industrielle (et les ouvriers agricoles), organisée en mouvement ouvrier, avec des partis « ouvriers et socialistes ».

Ce cycle du capital a été le plus souvent représenté comme suit.

Cycle du capital

Au centre, et au cœur, il y a le cycle productif et l’exploitation de la force de travail, dont la valeur d’échange est essentiellement inférieure à la valeur d’usage.

Le profit ou la plus-value (qu’on peut ici assimiler) tient dans l’équation A’ – A ≥ 0 ou A’ ≥ A. Et l’accumulation et concentration du capital s’appuient bien sur ce cycle, avec retour de A’ en A : si le surplus est nul, on est dans la précarité ; s’il est entièrement consommé par les oisifs (militaires, curés, nomenklatouristes,…), on est dans la stagnation ; s’il est réinvesti, on est dans la croissance. La figure emblématique depuis le XIXe siècle en Europe est celle du propriétaire des moyens de production, qui commence artisan et finit industriel monopoliste.

S’agissant pourtant d’économie monétaire, on a parfois perdu de vue qu’il était bien question d’argent [2], dans un cycle qui est aussi financier en amont (A – M à gauche du schéma) et commercial en aval (M’ – A’ à droite). Le souci idéologique et théorique dominant a été de montrer que « l’argent ne fait pas de petits », ne mûrit pas « comme le poirier donnant des poires » [3].

Le schéma revisité comme suit permet d’articuler l’activité bancaire, en général comme tribut prélevé sur les profits, et sous quatre fonctions principales : crédit à la consommation des salariés, crédit immobilier résidentiel, investissement productif et montages financiers et boursiers ; les deux premières pour les ménages, les deux autres caractérisant la banque d’affaires. Etant entendu que ces fonctions ne sont pas forcément séparées légalement, ni ipso facto physiquement.

En haut du schéma est illustrée la fonction de caisse d’épargne, tout comme les trois espèces de salaire, et les prêts à la consommation des salariés présentés ci-avant. Les salaires viennent de A et le salaire poche alimente la caisse comme, venant de A’, des profits et sur-salaires. L’enveloppe des salariés comprend salaires poches et prêts (et on pourrait ajouter des retours en allocations de la Sécu et de l’Etat parties en salaires collectivisés 1 et 2).

En bas à droite est illustré le circuit spécifique de l’immobilier, qui en regroupe plusieurs : la marchandise spécifique logement, partie de M’, peut être mise
à disposition d’un propriétaire occupant, qui a de quoi payer la partie correspondante de A’ en une fois, ou qui fait intervenir une société de crédit hypothécaire (et devra lui rembourser) ; ou bien M’ est destiné à un locataire, qui paiera un loyer à un propriétaire bailleur, celui-ci disposant de A’ ou l’empruntant. Le schéma note aussi l’alimentation de la société de crédit hypothécaire par affectation d’une partie de A’. Mais la particularité fondatrice de ce circuit, ce sont les rentes foncières : la propriété du sol, l’unicité des localisations permettent de tirer la couverture (A’ – A) de ce côté, sans limite de principe, le tribut foncier et la spéculation contaminant le crédit et même la production. L’autre caractéristique, s’agissant de biens qui valent plusieurs années de salaires du grand nombre, tient au rôle stratégique des politiques de crédit (et à toutes les aides et soutiens publics en la matière). La bulle immobilière procède de ces deux rentes (ou tributs), foncière et bancaire.

Pour mémoire, le secteur des mines est noté en position similaire : comme en agriculture également, le prélèvement d’un tribut peut s’opérer au nom du droit de propriété, en s’articulant à l’activité productive du mineur ou de l’agriculteur. Les bulles sur les matières premières se gonflent ainsi.

Enfin, en bas à gauche, sont regroupés investisseurs, rentiers et banques d’affaires, par lesquels le cycle des profits se boucle principalement. La forme prise par le prélèvement sur les profits n’importe pas : dividendes, coupons, intérêts il s’agit toujours d’un prélèvement. Et elle concerne la première fonction bancaire, celle qui assure les investissements réels dans la production. Car avec la seconde, quand un rentier vole un autre rentier en lui fourguant bien cher une action qui ne rapportera plus rien et/ou ne vaudra plus rien demain, on est dans le domaine du « capital fictif »4. L’investisseur prend une part du profit en s’inscrivant réellement dans le cycle de production et accumulation (et exploitation) – tandis que le boursicoteur n’investit rien du tout, il joue avec des titres de propriété et redistribue la masse du profit existant. Les bulles boursières font mousser cette masse.

4. Selon une des formulations de Marx au livre III du Capital. D’autres sont « capital porteur d’intérêt », « extérieur à la production », « capitaliste passif », etc.

Quand les capitaux-profits ne s’investissent plus productivement mais passent aux jeux boursiers (et aux consommations privées de leurs détenteurs), on est devant une « crise du modèle d’accumulation ».

  Crises et crises

L’explication de base des crises économiques cycliques observées depuis le début du XIXe siècle a visé la sur-accumulation de capital productif et la surproduction au regard de la demande solvable. Le cycle de 8-10 ans a communément été mis en rapport avec le cycle de vie du capital fixe, des machines.

La sur-production amène à baisser les prix, les entreprises (les moins productives d’abord, les autres ensuite) font des pertes et tombent en faillite. Les demandes des entreprises entre elles diminuent. Les salariés sont renvoyés (il n’y a pas d’allocations de chômage) et la demande finale diminue, ce qui accentue encore la sur-production, les pertes et les fermetures d’entreprises : du capital productif est réellement détruit, des usines partent à la casse.

Cette évocation sommaire permet de rappeler et signaler, par exemple sous la dénomination de krach boursier, la destruction parallèle du susdit capital fictif : les actions ne valent plus rien non plus, on peut en tapisser les murs ; et les banques d’investissement dégringolent, en entraînant les déposants.

Les politiques économiques dites keynésiennes, ébauchées dans les années 30 et développées après la deuxième guerre mondiale dans les pays capitalistes dominants ont toutes eu un caractère anti-cyclique : maintien de la consommation de masse, avec des allocations de chômage notamment ; maintien et relance de et par la consommation publique (civile et militaire). Ces politiques ont eu également un caractère « fordiste », tablant sur une croissance des salaires articulée à la croissance des productions et de la productivité – certes dans les limites d’un compromis sur le partage du gâteau, mais croissance des salaires il y a bien eu, au contraire de tout ce qui avait été observé encore jusque dans les années 30. Et il y a encore eu, même si relativement moins, sous la croissance de la productivité5.

5. Une certaine vulgate « léniniste », parfois revendiquée, n’a rien remarqué de tout cela : l’appauvrissement des travailleurs est proclamé avoir continué.

 Dernières observations du voyageur

9. Le tournant néolibéral des années 70, en ciblant les dépenses publiques et en les poussant à une baisse relative, a réduit les capacités d’action anti-cycliques dans les pays du, ou des centres capitalistes.

10. La mondialisation a laissé largement les salaires de la périphérie hors du compromis fordiste, et les Etats de la périphérie hors du compromis keynésien.

11. Des deux façons, des sur-profits ont été générés. Et on ne savait pas trop quoi en faire de rentable. Ils ont été accaparés en bulles.

  Retour sur les bulles

Les jeux boursiers, immobiliers, sur les matières premières procèdent des profits et espérances de profits. Ils peuvent donc se détraquer si la dynamique de ceux-ci est mise en cause. Par exemple sur l’immobilier américain, après le japonais dix ans plus tôt, ou le britannique, irlandais, espagnol,… Ou au début des années 2000, sur les actions dot.com.

Or au plan financier, bancaire, on est aussi revenu à avant 1933-34. L’éclatement des bulles financières menace aussi l’épargne comme dans les années 30, et celle des salariés bien plus qu’alors : comme indiqué précédemment, il faut revenir à la séparation et protection des banques de dépôt.

Mais sur le fond économique, c’est un retour antilibéral qui est nécessaire et il n’est pas sûr qu’il soit concédé sous le label de plans de relance, de Washington à Pékin. Il est vrai que le virage est à 180°. Dur pour les bons apôtres. Aux rangs desquels ne sont pas les contributeurs de ce numéro des CM.

P.-S.

Publication originale : Cahiers Marxistes, n°239 de mai-juin 2009.

Notes

[1C’est comme une tontine ou une cagnotte de bodega, sauf que là le bénéficiaire est tiré au sort ou choisi par une règle particulière, et il n’a pas nécessairement d’obligation de rembourser – ce n’est pas un emprunteur stricto sensu.

[2Encore que Marx n’ait connu dans les années 1860-70 que le début des sociétés anonymes et des banques d’affaires, une part notable du Capital – du Livre III – est bien consacrée au crédit, et la forme argent y est omniprésente.

[3Image de Marx, Capital – Livre III, ch. XXIV, p.56 de la publication des Editions Sociales,
Paris, 1970.