La déstabilisation de l’Union économique et monétaire (UEM) par les marchés financiers suite aux attaques sur la dette publique grecque a précipité le renforcement de la coordination des politiques économiques en Europe. Depuis la création de l’UEM, nombreux sont ceux qui avaient souligné qu’une union monétaire sans coordination des politiques économiques n’était pas un système viable. Et pourtant, intérêts nationaux obligent, les avancées étaient jusqu’ici restées bien faibles…
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Les événements de ces derniers mois ont montré que, lorsqu’il y a une réelle volonté politique - ici, sous la pression des marchés financiers ! - , les États membres de l’Union peuvent faire des bonds en avant qui étaient encore considérés comme « irréalistes » quelques mois auparavant.
Si tout le monde est aujourd’hui en faveur d’une plus grande coordination, les recettes préconisées ne vont pas toutes dans le même sens. Pour les gens de gauche, l’absence de coordination économique dans une union monétaire ne pouvait que favoriser la concurrence fiscale et salariale entre États. Et c’est bien ce qui s’est passé : privés de la possibilité de dévaluer leur monnaie en cas de perte de compétitivité, certains pays ont joué sur une diminution de l’impôt des sociétés et une pression à la baisse des salaires, au détriment de la croissance de la demande européenne, qui reste atone, et des recettes de l’État. Plus de coordination signifie donc, pour ceux-là, une sortie par le haut qui permet de freiner cette concurrence accrue entre pays.
Pour les gens de droite, la coordination doit aller dans le sens d’une maîtrise stricte des déficits et des dettes publiques, par une réduction des dépenses, et une maîtrise des salaires pour faire face à la concurrence mondiale.
Malheureusement, en Europe, c’est plutôt la voix de droite qui domine. Le nouveau « semestre budgétaire européen » [1], qui rassemble divers mécanismes de coordination liés aux politiques macroéconomiques et structurelles dans les États membres, porte clairement cette empreinte. Les réformes ont été réalisées sur différents axes. Le mécanisme de surveillance macroéconomique a été renforcé, avec de nouveaux critères de déséquilibre à prendre en compte et un mécanisme de sanctions plus sévère lorsqu’un pays enfreint les règles. Les États membres devront désormais soumettre leur budget national à la Commission et au Conseil européens avant que celui-ci ne soit adopté par leur parlement, et devront consacrer en premier lieu leurs marges de manœuvre budgétaires aux priorités identifiées dans « Europe 2020 », la nouvelle politique socio-économique à moyen terme qui succède à la Stratégie de Lisbonne lancée en 2000.
Ces propositions de réforme sont issues d’une « Task Force » présidée par Herman Van Rompuy et composée du président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, et des ministres des Finances des pays membres de l’Union. La filière financière a donc clairement dominé les discussions. Toutes les décisions n’ont cependant pas encore été prises concernant cette nouvelle méthode de gouvernance. Le Conseil européen d’octobre a « fait sien » le rapport de la Task Force, mais il faut encore que le Conseil et le Parlement européen se mettent d’accord sur les propositions législatives qui en découlent, l’idée étant d’atterrir pour la fin du mois de juin 2011.
L’étau du Pacte de stabilité et de croissance se resserre
Jusqu’ici, l’accent était surtout mis sur la limitation du déficit public à -3% du PIB. Le Pacte de stabilité et de croissance renforcé accordera une importance plus grande à un autre critère du Traité de Maastricht, la limitation de la dette publique à 60% du PIB. Dans la nouvelle procédure, si un pays a une dette qui excède 60% du PIB et que cette dette n’est pas réduite à un rythme satisfaisant (à définir), le pays sera sous une procédure de « déficit excessif » avec recommandations et possibilité de sanctions, même si son déficit est inférieur à 3%. Les pays qui ne sont pas sous procédure de déficit excessif, mais qui ont un niveau de dette élevé devront viser un déficit quasi nul pour accélérer la réduction de leurs dettes. Le renforcement du critère de la dette a pour but de calmer les marchés financiers et d’anticiper la maîtrise du coût du vieillissement…
Sans nier l’importance de maîtriser l’évolution des dettes publiques, qui peuvent atteindre des niveaux proprement insoutenables, la focalisation sur la marche résolue vers ce plafond des 60% peut être considérée comme dogmatique ! Tout le monde sait que c’est l’obsession de la rigueur budgétaire de la Bundesbank qui en est à l’origine. Tant que l’effet boules de neige n’est pas enclenché, que l’évolution de la dette publique est maîtrisée, la conjoncture économique où des investissements publics pour assurer la croissance future (dans l’éducation, le verdissement des infrastructures…) peuvent justifier le caractère incontournable d’un déficit public, et donc l’impossibilité de réduire la dette à un moment donné. Ces critères peuvent d’autant plus constituer un étau pour la croissance et les dépenses sociales que sont systématiquement privilégiées les réductions de dépenses par rapport aux nouvelles recettes, particulièrement dans le contexte de concurrence fiscale qui règne en Europe et, plus largement, dans le monde.
Pour les membres de la zone euro, des sanctions progressives seront appliquées à un stade beaucoup plus précoce et à un rythme beaucoup plus rapide qu’auparavant si l’État ne réagit pas aux recommandations qui suivent le lancement d’une procédure de déficit excessif. Parmi les sanctions, on envisage des dépôts avec intérêt ou des amendes. Il est aussi question de retirer le droit de vote de l’État membre considéré en défaut, en violation des principes démocratiques au fondement de l’Union. Et plus choquant encore : on parle de lier l’octroi des financements européens pour le Fonds européen de Développement régional, le Fonds social européen ou encore la Politique agricole commune au bon respect du Pacte de stabilité et de croissance ! C’est donc la solidarité européenne qui paierait le prix du non-respect de ces règles très strictes… La Confédération européenne des syndicats (CES) est particulièrement opposée à l’introduction de la règle de la majorité inversée : au lieu d’avoir une majorité en faveur de l’application de sanctions au Conseil européen, il faudrait qu’il y ait une majorité qualifiée qui est contre, le but étant de faciliter l’adoption des sanctions proposées par la Commission.
Des budgets nationaux supervisés par l’Europe
Le renforcement des critères sur les budgets publics va plus loin. À partir de janvier 2011, le Conseil ECOFIN, qui rassemble les ministres des Finances européens, ainsi que le Conseil européen, qui rassemble les chefs d’État et de gouvernement, auront un droit de regard sur les budgets nationaux. De plus, « Europe 2020 », la nouvelle stratégie socio-économique à moyen terme de l’Europe, et le respect du Pacte de stabilité et de croissance seront liés. Cette évolution résulte aussi directement des déboires de la Grèce sur les marchés financiers.
La stratégie « Europe 2020 » doit générer en Europe, dans les dix prochaines années, une croissance « intelligente, verte et inclusive ». Ces trois priorités sont soutenues par cinq objectifs qui touchent à la hausse du taux d’emploi, l’augmentation des investissements dans la recherche et développement et l’innovation, la mise en œuvre du paquet Énergie/Climat (réduction des émissions de gaz à effet de serre, développement des énergies renouvelables et amélioration de l’efficacité énergétique), à l’éducation (hausse du nombre de diplômés de l’enseignement supérieur, diminution du nombre de jeunes qui quittent prématurément l’école) et à la réduction de la pauvreté (principalement axée sur la hausse du taux d’emploi).
Chaque pays devra soumettre un « Programme national de réforme » qui rend compte des perspectives budgétaires nationales à moyen terme (donc pas uniquement pour l’année à venir, mais qui inclut le coût du vieillissement de la population). Il devra identifier les « goulets d’étranglement » nationaux, c’est-à-dire les situations particulièrement problématiques dans son économie, entre autres sur son marché du travail. Et il devra puiser les politiques à mettre en œuvre pour les résoudre dans ce qu’on appelle dans le jargon européen les « lignes directrices intégrées », et annoncer les budgets publics qui seront alloués à ces politiques.
Que retrouve-t-on dans ces lignes directrices intégrées d’« Europe 2020 » ? D’abord, de « grandes orientations de politiques économiques » qui mettent l’accent sur la maîtrise des déficits publics, la nécessité de maîtriser l’évolution des coûts salariaux et de réformer le marché du travail. Sur le marché du travail, un rôle clé est attribué à la « flexicurité », qui se traduit plus souvent par une flexibilisation du marché du travail qu’une amélioration de la sécurité pour le travailleur… Pas une fois les services publics ne sont mentionnés dans la stratégie, et l’on ne parle de protection sociale que dans les chapitres sur la maîtrise des déficits publics…
Dans le nouveau système, les marges de manœuvre budgétaires, si elles existent, devront donc être utilisées en premier lieu pour les priorités identifiées dans « Europe 2020 » : la recherche et développement, l’innovation, l’éducation et la formation et l’efficacité énergétique. Bien sûr, personne ne peut être contre cela. Mais aucune priorité n’est mise sur le financement des pensions publiques, de la santé, de la protection sociale et des services publics de qualité au sens large. On se retrouve donc avec une forme de coordination des politiques économiques prise dans l’étau de contraintes budgétaires à respecter strictement et avec des priorités qui passent à côté d’éléments essentiels du modèle social européen.
Une nouvelle procédure qui menace les salaires
Également, le produit de la crise sur les dettes publiques, un nouveau mécanisme de surveillance macroéconomique sera introduit à côté du Pacte de Stabilité et de Croissance. Cette nouvelle procédure s’attaque aux déséquilibres macroéconomiques et aux divergences de compétitivité. La Commission vérifiera annuellement un nombre limité d’indicateurs, notamment la situation de la balance courante, les coûts unitaires de la main-d’œuvre, la dette publique et les crédits du secteur privé. Les salaires sont donc désormais visés au niveau européen, dans le cadre de cette surveillance macroéconomique qui est pilotée principalement par la filière économique et financière (les ministres des Finances, la BCE, la DG ECOFIN de la Commission européenne...). En cas de dépassement de seuils à définir, une procédure de « situation de déséquilibre excessif » sera enclenchée avec recommandations, puis sanctions à la clé.
Cette proposition d’introduire une coordination des salaires en Europe, mais sous le critère « compétitivité », est particulièrement dangereuse. La compétitivité est une notion relative : un pays n’a pas un niveau de compétitivité en soi, on le compare toujours à la compétitivité d’un autre pays.
Depuis une petite dizaine d’années, l’Allemagne pratique une politique de flexibilisation de son marché du travail et de modération salariale forte. Selon le nouveau rapport de l’OIT sur les salaires, de tous les pays de l’OCDE, c’est en Allemagne que l’évolution des salaires a été la plus défavorable de 2000 à 2009 : les salaires réels (donc le pouvoir d’achat des travailleurs) y a baissé de 4,5% ! À titre de comparaison, les salaires réels ont augmenté sur la même période de 7,4% en Belgique, de 8,6% en France et de 22% en Finlande. En pratique, le nouveau système de surveillance implique donc que les salaires dans les pays de la zone euro seront mis sous pression par la politique de modération salariale allemande, qui bat tous les pays de l’OCDE ! En quelque sorte, les autres pays seront confrontés à ce à quoi la Belgique est confrontée depuis que la loi de 1996 lie l’évolution des salaires belges du secteur privé à l’évolution moyenne des salaires en Allemagne, aux Pays-Bas et à la France, dans laquelle la politique salariale allemande a un poids déterminant.
Les intentions des « financiers » sont claires : l’Union économique et monétaire rend impossible une dévaluation pour améliorer la compétitivité. Il faut donc jouer sur les salaires qui deviennent le seul instrument d’ajustement à court terme. Ces intentions sont exprimées de plus en plus ouvertement et sans complexe, notamment au dialogue macroéconomique européen, qui rassemble des représentants de la Commission européenne, de la BCE et les partenaires sociaux. Les partenaires sociaux européens, dont la CES, y ont été invités à coordonner les salaires en Europe pour améliorer la compétitivité européenne (traduction : coordonner à la baisse) étant donné que l’euro rend la dévaluation impossible… Il n’y a donc absolument pas de remise en question de la politique allemande, mais au contraire la volonté d’exporter ce modèle aux autres États membres.
Faut-il faire de l’Allemagne un modèle pour l’Europe ?
Est-il souhaitable, comme le préconisent certains, de propager le modèle allemand dans le reste de l’Europe ? Pour évaluer cela, deux questions se posent : quel est l’effet de cette politique sur la situation interne en Allemagne, d’un point de vue économique et social ? Et quel serait l’effet global d’une propagation de cette politique à l’ensemble de l’Europe ? En réalité, de nombreux arguments viennent affaiblir la théorie du « miracle allemand », qui est plus populaire que jamais depuis que l’Allemagne affiche des résultats à l’exportation remarquables, à peine sortie de la crise.
La réalité des politiques de flexibilisation du marché du travail et de modération salariale allemands est tout d’abord sociale : le pourcentage de travailleurs avec des contrats atypiques est passé de 19,5% en 1992 à 35% en 2009, et des millions de travailleurs travaillent à un salaire très faible (un salaire de 5 euros/heure n’est pas rare). Les « minijobs », ces emplois flexibles et très mal payés se multiplient principalement dans le secteur des services. Cette politique se reflète dans la part de travailleurs pauvres en Allemagne, qui est passée de 4,8% à 6,8% entre 2005 et 2009. Et encore, on peut estimer que cette statistique sous-estime le nombre de travailleurs pauvres, car elle prend en considération le revenu salarial du ménage et fait l’hypothèse que ce revenu salarial total est partagé équitablement entre les deux membres du couple. Résultat : dans toutes les situations où, dans un couple, la femme a un très petit salaire et l’homme un salaire plutôt convenable, la femme ne sera pas comptabilisée dans les « travailleurs pauvres » ! Plus généralement, il est interpellant de constater que, sur cette même période, le nombre de personnes en situation de pauvreté a augmenté de 26%, soit 2.630.000 personnes ! Les inégalités ont aussi rapidement augmenté : en 2005, les revenus des 20% les plus riches en Allemagne étaient 3,8 fois plus élevés que les 20% les plus pauvres. En 2007, ce chiffre avait bondi à 4,9 fois plus !
Socialement, donc, le bilan est affligeant. Mais il n’est pas non plus si brillant économiquement : la politique de modération salariale entraîne un affaiblissement de la consommation intérieure allemande, ce qui à son tour freine fortement le développement du secteur des services dans ce pays. Si l’on regarde l’évolution en terme d’emploi, elle n’est pas non plus si favorable. On met souvent en avant le niveau élevé du taux d’emploi allemand, qui était de 64,1% en 1996 et atteint, au lendemain de la crise, le score impressionnant de 70,9%. Mais ce qui importe économiquement est l’évolution du volume d’heures travaillées, pas le nombre de personnes au travail. Or, de 1996 à 2009, le volume d’heures travaillées dans le secteur privé a stagné en Allemagne ! À titre de comparaison, il augmentait de 12% en Belgique.
La hausse du taux d’emploi en Allemagne est donc le résultat de la hausse de la part du travail à temps partiel, et l’on peut dire qu’au niveau macroéconomique, l’emploi ne s’est pas amélioré.
Une autre question importante à soulever est de savoir si c’est bien la modération salariale qui permet à l’Allemagne d’avoir de si bonnes exportations. Or, une étude récente de la Commission [2] montre que, sur la période 1999-2008, la forte hausse des exportations allemandes, de 7,3% en moyenne annuelle, s’explique presque exclusivement par le dynamisme des marchés vers lesquels l’Allemagne exporte, et seulement très marginalement (0,3%) par le niveau compétitif de ses prix. C’est la spécialisation allemande dans l’équipement, les infrastructures de transport, les équipements télécom, dont les pays dynamiques comme la Chine ont grandement besoin, qui explique principalement ce succès.
Vers les marchés émergents, les exportations allemandes ne dépendent pas de la modération salariale qui, en réalité, n’est pas répercutée dans les prix et permet une forte hausse des profits. Et vers les autres pays européens, les gains de l’Allemagne sont un jeu à somme nulle pour l’Europe : ce que l’Allemagne gagne, les autres le perdent. C’est à celui qui pratiquera la modération salariale la plus forte…
Que se passerait-il si, comme certains le préconisent, tous les pays européens suivaient l’exemple de l’Allemagne ? L’économie européenne dans son ensemble est une économie fermée : environ 80% des exportations se font entre pays européens. Si la pression à la baisse sur les salaires s’accroissait, la consommation européenne, qui est déjà peu dynamique, serait encore plus atone… L’idée pourrait être de compter sur la demande extérieure, mais les choses ne sont pas si simples… Les États-Unis, qui représentent 30% de la consommation mondiale et qui étaient jusqu’ici le moteur de l’économie mondiale, ne peuvent plus se permettre de relancer un modèle insoutenable, fondé sur un endettement excessif des ménages. Les États-Unis comptent donc rééquilibrer leur croissance, en stimulant leurs exportations pour dépendre moins de leur consommation intérieure. Il ne faut donc pas compter sur la demande américaine, sauf à se précipiter vers une nouvelle crise.
La Chine, par contre, s’est rendu compte avec la crise que sa dépendance presque exclusive aux exportations était dangereuse pour la stabilité de son économie. Son gouvernement souhaite donc développer davantage la consommation intérieure pour rééquilibrer son modèle. Cependant, cette réorientation ne se fera pas du jour au lendemain ! Il est évident qu’elle sera graduelle et prendra des années… Et en attendant, même si elle augmente rapidement, la part de la consommation chinoise dans la consommation mondiale reste très faible, de 4% seulement, comparé aux 30% des États-Unis ou aux 22% de l’Union européenne. Pour que la demande chinoise puisse devenir le moteur de l’économie mondiale au même titre que les États-Unis auparavant, il faudrait qu’elle augmente sept fois plus vite que la baisse de consommation américaine ! [3] D’autres aspects jouent également : actuellement, seulement 30% du panier de consommation chinois est semblable au panier de consommation occidental. Pour que les entreprises européennes puissent exporter des biens de consommation vers la Chine, il faut soit que la structure économique européenne évolue pour s’adapter à la consommation chinoise, soit que la consommation chinoise évolue sensiblement…
On voit donc que la voie de la déflation salariale prônée actuellement par les instances européennes dans le cadre de la coordination des politiques économiques est une voie sans issue, économiquement comme socialement. Au lendemain de la crise, tous les blocs régionaux optent pour la même stratégie, celle de la stimulation des exportations… en jouant sur la variable d’ajustement la plus « facile » à court terme, aussi parce que la plus « immobile » : la rémunération du travail. Et on se demande qui va bien pouvoir acheter tous ces produits, et ce d’autant plus qu’à l’avenir, les prix de biens essentiels comme l’énergie, le logement, les produits alimentaires ont de fortes chances de repartir à la hausse, grevant davantage le budget des ménages…
Pas cette coordination-là !
La gouvernance européenne renforcée telle qu’elle se développe actuellement, au lieu d’être une opportunité, apparaît plutôt comme une source de dangers dans un contexte politique très à droite. Le principe d’une coordination économique en Europe est évidemment indispensable. Sans elle, une union monétaire ne peut fonctionner correctement : parce qu’elle enlève aux États l’instrument de la dévaluation, elle incite ceux-ci à se faire concurrence sur les salaires, la fiscalité, les conditions de travail... La coordination économique que l’on souhaite est donc celle qui permet de freiner la concurrence salariale et fiscale, et pas l’inverse. Mais la discussion jusqu’ici a été dominée par les ministres des Finances, la Banque centrale européenne, la filière économique et financière de la Commission européenne, à qui les crises budgétaires, les attaques des dettes publiques par les marchés financiers donnent aujourd’hui plus que jamais de la vigueur…
On aurait pu croire que la crise la plus grave depuis les années 1930, qui trouve son origine dans une société américaine profondément inégalitaire et une idéologie absurde de la dérèglementation et du « laisser-faire », remettrait en question ces dogmes dominants dans les instances internationales et certains milieux politiques. Pendant un temps, on a entendu le Fonds monétaire international ou la Commission européenne parler des vertus de ce qui était autrefois qualifié de « rigidité » sur le marché du travail – le bon maintien des salaires, la protection du travailleur, la protection sociale –, car ces dispositifs ont permis d’amortir l’impact économique et social de la crise. Mais ce revirement a été de courte durée. Peut-être, paradoxalement grâce à l’interventionnisme des États, la crise n’a-t-elle pas été assez dramatique pour contrecarrer la force d’inertie des idéologies dominantes ? Le fait est que les idées de flexibilisation du marché du travail, des salaires, les coupes dans les dépenses publiques, particulièrement les dispositifs de protection sociale, reviennent en force.
Avec la situation financière actuelle de la plupart des États membres, si les États membres n’entament pas de discussion sérieuse sur la concurrence fiscale, sur de nouvelles sources de financement pour l’Union européenne, sur l’impact macroéconomique des inégalités et de la concurrence salariale, la stratégie économique ne pourra que se réduire à jouer sur la compétitivité-coût, par la réduction des salaires et la flexibilisation du travail. Cette stratégie ne peut pourtant être gagnante pour l’Europe dans son ensemble.