Le Gouvernement Michel se réjouit des signes d’une reprise économique pourtant fragile, se vante de prendre des mesures pour l’emploi et la relance de l’économie et tente de se donner une image de grand manager efficace, y compris face à la crise des réfugiés. Cette image positive qu’il essaie de faire passer cache mal le manque d’efficacité de sa politique comme en matière d’emploi (réductions de cotisations patronales) , de son manque d’ambition comme en matière de réforme fiscale (y compris en terme de glissement fiscal des revenus du travail vers d’autres bases fiscales), de son manque d’anticipation comme en matière d’asile (la fermeture prématurée des centres) et surtout des atteintes cumulées à notre système de sécurité sociale qui créent davantage d’indignité pour nombre de bénéficiaires, de précarité pour les assurés sociaux et d’incertitude pour l’avenir de chacun. Alors même qu’une reprise économique nécessiterait un regain de confiance.
La note donne d’abord quelques précisions par rapport à la reprise généralement annoncée avec optimisme dans la presse avant d’analyser certaines conséquences de la politique gouvernementale pour la sécurité sociale.
Quelques messages principaux de façon sommaire :
La reprise qui s’avère très fragile n’a que peu à voir avec l’action du Gouvernement et la Belgique n’a plus une longueur d’avance. L’impact des politiques du Gouvernement risque d’être très limité vu leur effet déprimant sur la consommation, vu leur impact sur l’emploi public et non-marchand et faute d’efficacité potentielle des mesures sur l’emploi des secteurs marchands.
En créant plus de précarité dès aujourd’hui et plus d’inquiétude quant à l’avenir de la protection sociale, les mesures en sécurité sociale, mettent son efficacité en péril ou en doute, ce qui nuit à sa légitimité aux yeux des assurés sociaux et dévalorise la solidarité entre générations, d’autant que certaines mesures vont jusqu’à la faire percevoir comme une machine à exclure et à exclure des jeunes plus particulièrement. Certains veulent-ils saper notre modèle social ? Préparer le terrain à une poussée de privatisation de la protection sociale ?
On répand l’idée qu’on n’aura plus les moyens de financer notre système de sécurité sociale, ce qui est absolument faux. Une croissance même modérée permet de le sauvegarder moyennant une meilleure justice fiscale ou une affectation plus importante des fruits de la croissance à la protection sociale. Encore faudrait-il que le Gouvernement mène une politique qui ne ralentisse pas la reprise et aboutisse suffisamment à des créations d’emplois.
Parmi les coupes dans la sécurité sociale encore largement à définir outre déjà deux victimes annoncées, à savoir l’assurance chômage et les soins de santé, le Gouvernement veut encore réduire les frais d’administration des mutualités. Mais faire plus avec moins n’est plus possible. Outre les répercussions sur l’emploi, c’est la qualité des services aux affiliés et surtout aux personnes malades qui en pâtirait.
En globalisant les mesures de juillet avec des mesures antérieures y compris parfois annoncées sous le Gouvernement précédent, le Gouvernement peut minimiser la part financée par des économies en sécurité sociale. Or, le tax shift de juillet est financé à 46% par des économies en sécurité sociale. Et son sacrifice est trois fois plus important que les mesures de taxation du capital et des patrimoines.
Le Gouvernement gaspille l’argent public et notamment celui de la sécurité sociale faute de conditionner ou de cibler les réductions de cotisations patronales qui par conséquent et en raison aussi des incertitudes de l’économie mondiale n’auront guère d’effet sur l’emploi. Et l’effet retour du tax shift sur les finances publiques aura été surestimé, ce qui nous mènera à de nouvelles économies.
La réforme fiscale tant annoncée a fait flop face au barrage de plusieurs partis du gouvernement. La réduction de la taxation sur le travail ne sera guère compensée par celle des revenus du capital et des patrimoines. Aucun virage en vue, plutôt un mirage. Le tax shift sera largement financé par les travailleurs eux-mêmes que ce soit via la taxation de la consommation ou par la réduction des prestations de sécurité sociale et des services publics. Tout au plus pouvons-nous attendre du Gouvernement qu’il améliore l’épure lors de sa traduction en mesures concrètes.
1. La légère reprise économique n’est pas le fait du Gouvernement mais quel sera l’impact des récentes mesures ?
La reprise récemment évoquée dans la presse a peu à voir avec l’action du Gouvernement. Le phénomène de légère reprise est général en Europe en dépit de grandes différences de rythme de croissance. La reprise en Belgique a surtout eu lieu en 2014 (1,1% de croissance contre 0,3% en 2013). Les indicateurs de début 2015 témoignent d’une nouvelle mais légère amélioration de la confiance des consommateurs (dépenses en hausse) et ce qui est nouveau de celle des entreprises (hausse des demandes de crédit). L’écart entre la croissance belge et celle de la zone euro est relativement petit et beaucoup plus petit qu’en 2013 et dans les années précédentes. L’amélioration est relativement plus importante pour plusieurs autres pays européens, ceux-ci venant de taux de croissance plus faibles. Le fait que la croissance moyenne européenne est légèrement inférieure à la croissance belge est dû à la faible croissance de certains pays comme l’Italie (en 2014 comme au 1er trimestre 2015) ou la France (en 2014), tandis que l’Allemagne et l’Espagne ont un rythme de croissance plus élevé que la moyenne européenne.
L’amélioration de la croissance belge est davantage liée à la demande intérieure qu’au commerce extérieur. Il ne faudrait pas que les mesures gouvernementales réduisent les perspectives d’emploi, le pouvoir d’achat et la confiance des consommateurs belges. Or les mesures prises sont davantage axées sur la compétitivité au détriment des salaires et de leur pouvoir d’achat (saut d’index alors que l’inflation reprend, hausse de la TVA sur l’électricité et des accises) et de l’emploi public et non-marchand (économies annoncées notamment pour financer le tax shift), sans assurance d’un impact suffisant sur l’emploi des secteurs marchands (faute de ciblage pour l’instant). Faute d’efficacité suffisante des mesures récentes en termes d’emploi et de redistribution des revenus, les mesures du Gouvernement pourraient n’avoir qu’un effet très limité sur l’activité et l’emploi. (Il serait inacceptable que les réductions de cotisations patronales servent surtout à augmenter les dividendes des actionnaires.) Il faudrait par exemple cibler la plus grande partie de la réduction des cotisations patronales afin d’avoir un effet maximal sur l’emploi (bas salaires, indirectement certains secteurs exposés,…) et, pour les mesures fiscales, mettre l’accent sur les bas revenus, y compris les allocataires sociaux (certains partis refuseront cependant d’améliorer le revenu des chômeurs, pourtant par définition involontaires, sous prétexte des pièges à l’emploi), afin d’avoir plus d’impact sur la consommation. De cet impact sur l’emploi dépendra l’effet retour pour les finances publiques et donc aussi pour le financement de la sécurité sociale via les rentrées de cotisations sociales par exemple.
La reprise de l’emploi reste très faible et fragile, elle se produit toujours avec un certain retard lorsque la reprise se pointe. Et actuellement, malgré les prévisions encore meilleures pour 2016 (1,5% selon la BNB), on ne sait pas si la reprise économique va s’accentuer ou se ralentir. Elle pourrait se ralentir notamment en cas de resserrement (attendu) de la politique monétaire américaine qui ralentirait les flux de capitaux qui soutiennent encore la croissance déclinante des pays émergents. Quant au ralentissement plus ou moins fort de l’économie chinoise, accentué par l’éclatement de sa bulle boursière, il pèsera certainement sur la croissance mondiale.
Malgré la récente obligation de disponibilité des prépensionnés, le chômage se réduit quelque peu, surtout pour les jeunes, en partie grâce à la reprise et en partie à cause des exclusions de jeunes et de moins jeunes qui ne sont pas toujours repris comme demandeurs d’emploi après leur exclusion de l’ONEM. Philippe Defeyt a même montré qu’en Wallonie et à Bruxelles, un peu moins de 40% de ceux qui ont perdu leur allocation d’insertion se retrouvent comme bénéficiaires du revenu d’intégration sociale d’un CPAS.
2. En créant plus de précarité, les mesures en sécurité sociale nuisent à sa légitimité
Les mesures prises par ce gouvernement empêchent de plus en plus notre sécurité sociale de jouer son rôle protecteur. Pour beaucoup de citoyens, la sécurité sociale ne rassure plus. Ils ne la perçoivent plus comme pouvant garantir un revenu de remplacement suffisant du salaire perdu. Les mesures prises et les politiques annoncées par le Gouvernement conduisent à une précarisation des travailleurs. Les plus vulnérables, les moins favorisés, sont davantage susceptibles d’en être victime même si elles fragilisent l’ensemble des travailleurs.
Rappelons-nous plusieurs de ces mesures :
l’exclusion de nombreux bénéficiaires de l’allocation d’insertion, principalement des jeunes,
la dégressivité des allocations de chômage (on aurait échappé au pire : certains partis du Gouvernement voulaient encore la renforcer, limiter dans le temps, introduire des conditions de ressources comme dans l’assistance sociale),
la forte réduction du complément chômage pour les travailleurs à temps partiel [1],
le renforcement des conditions des visites domiciliaires chez les chômeurs,
la disponibilité obligatoire des prépensionnés pour le marché du travail,
le report dans le temps des possibilités de prépension et de retraite anticipée par les conditions d’âge et de carrière [2] combiné avec celui de l’âge de la pension,
les perspectives inquiétantes et l’incertitude concernant le système de pensions de demain,
la nouvelle norme de croissance et les économies en soins de santé (3 milliards d’euros à économiser entre 2015 et 2018),
l’activation des personnes en incapacité de travail,…
De ce fait c’est notre système tant vanté et apprécié de sécurité sociale dont on met en doute la légitimité. D’aucuns se demandent pourquoi défendre un système qui devient en même temps une machine à exclure, et à exclure des jeunes plus particulièrement, au point de faire oublier la protection qu’il assure encore ? A tout le moins, l’image est brouillée. La rhétorique des droits et des devoirs ne permet plus de justifier les changements. On répand dès lors l’idée qu’on n’aura plus les moyens de financer ce système, ce qui est absolument faux. Une croissance même modérée permet de le sauvegarder moyennant une meilleure justice fiscale ou une affectation plus importante des fruits de la croissance à la protection sociale. Encore faudrait-il que le Gouvernement mène une politique qui ne ralentisse pas la reprise et aboutisse suffisamment à des créations d’emplois. L’idée se renforce selon laquelle il faut davantage contribuer au financement en travaillant plus nombreux et plus longtemps alors que les politiques de développement socio-économique, et d’emploi en particulier, ne conduisent pas à créer assez d’emplois.
En engendrant davantage d’inquiétude pour l’avenir en cas de perte d’emploi et après la retraite les mesures prises ou annoncées conduisent à recourir à des assurances privées, non solidaires, discriminatoires et fort coûteuses. En générant précarisation et inquiétude par rapport à la sécurité sociale, au risque de porter atteinte à sa légitimité aux yeux de la population, le Gouvernement prépare-t-il le terrain pour les compagnies d’assurance et pour une poussée de privatisation de la protection sociale ?
Enfin, le prolongement des carrières est perçu comme un facteur de réduction des opportunités d’emploi pour les jeunes alors même que les jeunes sont visés par les exclusions des allocations d’insertion (limitation dans le temps et nouvelles conditions d’accès). La valeur de la solidarité intergénérationnelle est de ce fait également mise en doute. Les jeunes pourraient se désintéresser de l’avenir des pensions tandis que les travailleurs moins jeunes, inquiets pour le niveau de leur pension future pourraient adhérer à l’allongement des carrières malgré l’impact de celui-ci sur l’emploi des jeunes.
3. Une réduction des frais d’administration des mutualités au détriment des affiliés
Parmi les coupes dans la sécurité sociale encore largement à définir outre déjà deux victimes annoncées, à savoir l’assurance chômage et les soins de santé, le Gouvernement s’en prend aux mutualités. Alors que la Ministre de la santé avait proposé un plan pluriannuel aux mutualités, le Gouvernement a décidé en juillet sans concertation d’encore réduire les frais d’administration des mutualités de 10% (pour arriver à une économie structurelle de 100 millions par an en 2018 - ce qui aura représenté 305 millions cumulés entre 2015 et 2018) avant même d’avoir les résultats de l’audit des critères de calcul qu’il a demandé à la Cour des comptes. Or, ces économies auront non seulement des répercussions sur l’emploi mais aussi sur la qualité des services aux affiliés et surtout aux personnes malades, vu les économies déjà réalisées qui ont déjà alourdi la charge de travail alors que la règlementation se complexifie toujours davantage. Faire plus avec moins n’est plus possible. Et réduire les missions de contrôle qu’exercent les mutualités sur les soins facturés coûtera in fine plus cher.
4. La réduction des cotisations patronales n’est que partiellement compensée, le tax shift est partiellement financé par des économies en sécurité sociale
Les mesures de tax shift décidées en juillet (3685 millions d’euros de dépenses supplémentaires) se composent essentiellement d’une diminution des cotisations sociales patronales (1320 millions d’euros) et de mesures en faveur des indépendants (430 millions d’euros) ainsi que des mesures fiscales à préciser pour les bas et moyens salaires (1700 euros).
Aux mesures de juillet, le Gouvernement estime que font partie de son opération de tax shift des mesures précédentes comme les réductions diverses de cotisations dans le cadre du pacte de compétitivité (960 millions d’euros) ou la réduction des frais professionnels forfaitaires (900 millions d’euros) ou même l’enveloppe bien-être (1253 millions d’euros) qui aurait de toute façon été décidée sans tax shift comme le veut la loi.
Présentée ainsi, l’opération représente au total 7224 millions de dépenses supplémentaires. Ce qui est financé par des recettes supplémentaires pour 7456 millions d’euros qui proviennent en premier lieu d’économies en sécurité sociale (pour 1703 millions), en second lieu de l’augmentation d’impôts comme la TVA sur l’électricité et les accises (pour 1620 millions d’euros) et en troisième lieu par des relèvements de la fiscalité non liée au travail (pour 1429 millions d’euros dont 638 millions seulement de taxation sur le capital et les patrimoines).
En regroupant toutes sortes de mesures et des mesures antérieures dans son opération tax shift, il peut présenter les économies en sécurité sociale comme ne couvrant que moins de 24% du total.
Or, le tax shift de juillet (3685) est financé à hauteur de 46% par les économies en sécurité sociale (1703) qui permettent de couvrir l’entièreté des réductions de cotisations patronales (1320) et même davantage. Le chèque en blanc des réductions de cotisations patronales dont le Gouvernement fait miroiter les retombées positives pour l’emploi est donc entièrement financé par des coupes dans la sécurité sociale. Et celles-ci sont près de trois fois plus importantes que les mesures de taxation du capital et des patrimoines.
Sur un total de 1703 millions d’économies en sécurité sociale, outre près de 400 millions d’économies en soins de santé et notamment dans le budget d’administration qui permettent aux mutualités d’assurer un service de qualité aux affiliés, et près de 300 millions en chômage, le Gouvernement doit encore décider ou dévoiler pour plus de 1 milliard de coupes dans la sécurité sociale.
Si le Gouvernement persiste à vouloir que les réductions de cotisations patronales ne soient ni conditionnées à des résultats en matière d’emploi, ni ciblées sur les bas salaires et sur les secteurs qui ont des difficultés à faire face à la concurrence internationale, ces économies en sécurité sociale n’auront guère d’effet sur l’emploi mais un effet certain pour l’enrichissement des actionnaires. Et l’effet retour qu’il escompte pour les finances publiques risque d’être encore limité par les nouvelles incertitudes de l’économie mondiale. En dépit des sirènes optimistes du Gouvernement, nous risquons donc de nouvelles économies, ne nous y trompons pas.
Le Gouvernement gaspille ainsi l’argent public, et plus précisément celui de la sécurité sociale faute de conditionner ou de cibler les réductions de cotisations patronales. Et ce faisant, il entame encore davantage la couverture (les revenus de remplacement et la couverture des soins de santé) qu’offre la sécurité sociale. Certains partis du Gouvernement veulent-ils donc saper notre modèle social ? Alors même que la reprise économique demanderait davantage d’espérance dans l’avenir ?
5. Réforme fiscale et financement de la sécurité sociale
Le tax shift fut une occasion manquée pour le Gouvernement de réaliser plus d’équité fiscale entre revenus du travail et revenus du capital ce qui aurait permis à la fois de relever significativement le salaire net des travailleurs et d’augmenter les recettes fiscales.
Or le glissement vers les revenus du patrimoine est très limité et la taxation des plus-values est limitée à la spéculation. Ne parlons pas de l’impôt sur la fortune. Concernant l’imposition des sociétés, les intérêts notionnels par exemple n’ont toujours pas été remplacés par un soutien à l’investissement, moins dispendieux et plus efficace.
La réforme fiscale tant annoncée a donc fait flop face au barrage de plusieurs partis du gouvernement. La réduction de la taxation sur le travail ne sera guère compensée par celle des revenus du capital et des patrimoines. Aucun virage en vue, plutôt un mirage. Le tax shift sera largement financé par les travailleurs eux-mêmes que ce soit via la taxation de la consommation ou par la réduction des prestations de sécurité sociale et des services publics. Tout au plus pouvons-nous attendre du Gouvernement qu’il améliore l’épure lors de sa traduction en mesures concrètes.