Les choix fiscaux opérés depuis quinze ans en matière de fiscalité des entreprises mettent à l’épreuve les principes fondamentaux de l’impôt. Ils se sont avérés coûteux pour la collectivité, ont instauré des inégalités entre entreprises sans pour autant engendrer les « effets retour » attendus sur l’économie réelle. Couplées à la crise, ces tendances mettent sous pression les exigences de justice fiscale, mais aussi d’efficacité : fiscale et économique. Une réforme en profondeur s’impose donc. Cet article s’efforce d’en esquisser les contours, au départ de cinq propositions concrètes.
La présente contribution part d’une double conviction : primo, la fiscalité est plus que jamais au cœur des enjeux citoyens. Ce qui exige que le plus grand nombre puisse se les approprier. Or, la fiscalité souffre de deux maux qui rendent cette appropriation démocratique malaisée. La complexification des dispositifs fiscaux engendre une technicité des débats, tandis que les a priori idéologiques en masquent souvent les enjeux démocratiques. La campagne électorale de 2014 illustre parfaitement ces deux difficultés. Les batailles d’experts autour de l’idée polémique d’une relance par la baisse de la « pression fiscale » lancée par le MR ont occulté en grande partie la nécessité d’une réforme en profondeur. De plus en plus déséquilibrée et inégalitaire, la fiscalité voit pourtant son rendement s’éroder, tandis que son impact sur l’économie réelle s’avère de plus en plus aléatoire.
Secundo, la fiscalité doit conjoindre, sans les opposer, les exigences de justice fiscale et la recherche d’efficacité. Il existe un scénario alternatif à la baisse de la « pression fiscale » qui, selon les libéraux, relancerait l’économie grâce à un hypothétique « effet de retour » de 30% [1]. Plutôt que de baisser l’impôt, il faut en accroître le rendement, tout en veillant à répartir plus équitablement les contributions de chacun. Les marges supplémentaires dégagées permettraient de soutenir l’activité économique et à la création d’emplois par des mesures de relance judicieuses. De la sorte, l’impôt se verrait restauré dans sa triple fonction de levée de ressources, de redistribution et d’incitation. N’est-ce pas là la condition incontournable d’un consentement de tous à l’impôt ?
On le voit : contrairement à ce que l’on pourrait craindre, les grandes lignes de ce scénario alternatif sont relativement simples à comprendre et ne demandent pas d’entrer dans trop de technicité. Partant du bilan dressé par la première partie des choix opérés jusqu’ici en matière de fiscalité des entreprises, la seconde partie identifie les leviers possibles d’une réforme progressiste et propose cinq mesures concrètes.
Une politique d’allègements fiscaux inefficace, injuste et très coûteuse
Une contribution de l’ISOC relativement faible et en constant recul
L’assainissement des finances publiques est au cœur de toutes les préoccupations. Mais a-t-on une idée des contributions relatives des différents impôts ? Un premier constat s’impose. La part de l’impôt sur les bénéfices des sociétés (ISOC) dans le total des recettes fiscales (7%) est relativement faible par rapport à l’imposition du travail. En 2012, l’impôt sur les bénéfices des sociétés (ISOC) rapportait 12 milliards d’euros contre 43 milliards pour l’impôt des personnes physiques (IPP). Si l’on y ajoute les 15 milliards d’impôt sur les revenus patrimoniaux, on obtient un total de 37 milliards pour les revenus du capital contre un total de 98 milliards pour l’impôt des personnes physiques et les cotisations sociales. Ce déséquilibre marqué justifie à lui seul la montée en puissance de l’idée d’un « tax shift » qui rééquilibrerait les parts contributives des différentes catégories d’impôts : des revenus du travail vers les revenus du capital.
La part de l’impôt des sociétés dans le total des recettes fiscales a, en outre, sensiblement diminué depuis les années 2000. On constate une première inflexion après la réforme de 2002, puis un net recul en 2009, suite aux effets conjugués de la crise de 2008 et de l’introduction des déductions pour capital à risque. En baisse constante depuis 1995, le taux effectif d’imposition a accéléré sa « course vers le plancher », tandis que sa dispersion augmentait sous l’effet direct de l’accès différencié des entreprises aux régimes préférentiels et autres déductions.
L’écart entre le taux nominal de l’ISOC fixé théoriquement à 33,99% et le taux effectif n’a ainsi cessé de se creuser. A vrai dire, l’estimation du taux « effectif » conduit à de telles variations qu’elle remet en question la possibilité même d’obtenir des chiffres fiables et non contestables. En réalité, il est possible de réconcilier partiellement les écarts dans les chiffres publiés, à première vue contradictoires. Pour s’y retrouver, il faut distinguer deux concepts. Le taux de 23% en 2011 auquel la BNB fait référence est un taux implicite d’imposition calculé sur base de la comptabilité nationale, qui adopte donc une approche macro-économique et privilégie une mesure économique du bénéfice qui est plus stable dans le temps et permet une comparaison internationale. Le défaut de ce taux est d’être indépendant de la détermination de la base fiscale et donc de l’évolution de la politique fiscale. Les taux de 11,8% en 2009 et 9,8% en 2011 font référence au taux d’imposition effectif calculé sur base des statistiques fiscales. Utilisé depuis de nombreuses années, notamment pour mesurer l’écart entre le taux d’imposition nominal des sociétés et leur charge fiscale effective, ce taux effectif est un meilleur indicateur de la pression fiscale. Si l’on se réfère à ce taux effectif, le plus pertinent pour évaluer la politique fiscale, on constate donc que l’écart dépasse depuis 2009 les vingt points de pourcentages.
On peut en conclure que le choix opéré en faveur de l’attractivité fiscale de la Belgique s’est clairement opéré au détriment de l’efficacité fiscale. Mais quel bilan socio-économique peut-on tirer de cette politique délibérée de « niches fiscales [2] » ? Ces mesures ont-elles engendré les « effets retour » attendus sur l’économie et l’emploi ? Rien n’est moins sûr. Illustration avec un cas d’école.
Le régime des intérêts notionnels : un cas d’école
Commençons par une « niche fiscale » qui, à première vue, semble presque fait exprès pour illustrer les difficultés d’arbitrer entre rendement fiscal, équité et impact socio-économique. Comme chacun sait, l’objectif non avoué du régime préférentiel des intérêts notionnels était de remplacer les centres de coordination contestés par les instances européennes. Sur ce plan, les intérêts notionnels ont été un succès. Ils ont attiré chez nous des multinationales qui ont de suite compris l’intérêt d’exploiter ce créneau fiscal pour financer leurs opérations bancaires intra-groupes. Le pari était qu’en attirant en Belgique les QG des grandes entreprises étrangères, des investissements potentiellement porteurs d’activités et d’emplois s’ensuivraient inévitablement.
Malheureusement, dans les faits, cette mesure a aussi – et surtout – conduit à des montages d’optimisation (tel le système dit du « double dip [3] ») et à des abus qui ont soustrait des sommes importantes au trésor public. De 540 millions prévus en 2007, les dépenses fiscales pour intérêts notionnels ont atteint 6,16 milliards d’euros en 2012. Comparé au total de 12 milliards de recettes de l’ISOC, le coût de cette mesure pour la collectivité parait clairement disproportionné.
Ce régime préférentiel s’est en outre révélé inéquitable dans la mesure où il ne met pas toutes les sociétés sur le même pied. Certaines multinationales y recourent dans des proportions telles que leur taux d’imposition effectif est quasiment nul, tandis que de nombreuses PME paient un taux moyen avoisinant les 22%.
Ce coût élevé ne serait guère un problème s’il était compensé par des « effets retour [4] » significatifs sur l’activité économique. Or constate-t-on un impact positif sur la croissance économique, les investissements et l’emploi ? Non. Ni en emplois directs : les intérêts notionnels n’ont pas été conditionnés à l’emploi comme le réclamait la CSC dès 2007. (On se souvient que les centres de coordination devaient, eux, occuper au moins dix personnes [5]). Ni en emplois indirects : les études faites à ce sujet n’ont pu dégager de lien de corrélation économétrique probante entre les intérêts notionnels et la création d’emplois. Ce qui explique que les estimations les plus diverses aient circulé, avec des écarts allant de 1 à 10. Le service d’études de la CSC s’était penché en 2011 sur la question pour tenter de réconcilier les analyses de la BNB et celles du Bureau du plan. La conclusion était qu’en 2010, le coût des intérêts notionnels s’élevait à 2 milliards d’euros pour une création de 8000 emplois. Soit 250.000 euros par emploi. Ce qui est, sans conteste, un coût très élevé par emploi (!).
Bref, dans un contexte de forte concurrence fiscale, la politique qui consiste à attirer en Belgique les banques internes de groupes multinationaux est plus que légitime. La manière dont elle a été mise en œuvre s’est avérée toutefois onéreuse, injuste et finalement peu efficace sur le plan socio-économique. Les choix opérés dans le champ de la fiscalité des entreprises suscitent des problèmes de fond. Ils mettent à l’épreuve les principes fondamentaux d’où l’impôt tire sa légitimité.
Cinq propositions concrètes pour une réforme fiscale alliant efficacité et équité.
Quels sont les principes théoriques que contredisent ces choix fiscaux ? Ce sont : i) un rendement fiscal optimal permettant la levée des ressources nécessaires au financement des services collectifs ; ii) un souci de l’équité et de l’impact redistributif des richesses et iii) un effet incitatif sur l’activité économique. Les pistes de réforme qui suivent tentent de répondre à cette triple exigence d’efficacité fiscale, d’équité et d’efficacité socio-économique.
Réformer, puis sortir progressivement du régime préférentiel des intérêts notionnels
Les propositions de réforme des intérêts notionnels ne manquent pas. Nous en avons épinglé trois. La première consiste à réserver la déduction aux seuls nouveaux fonds propres dans l’entreprise. Entendez : déduction faite de tout ce qui est réattribué aux entreprises liées. Cette proposition de Christian Valenduc permettrait d’enrayer la dérive des coûts observées depuis la mise en œuvre du dispositif et de restaurer progressivement son rendement fiscal [6].
Depuis 2007, la CSC insiste également pour que l’on conditionne les intérêts notionnels à la création d’activités en Belgique et, partant, d’emplois de qualité. Il est en effet essentiel de s’assurer que le dispositif mis en place pour attirer les QG des grands groupes aient in fine un impact effectif sur l’économie réelle.
La différence entre le coût de la mesure et son impact sur l’activité économique est si grande que la plupart des analystes plaident pour une sortie du régime des intérêts notionnels. Afin d’assurer une relative sécurité juridique, cette sortie serait planifiée sur cinq ans. L’attractivité internationale du système fiscal belge serait alors garanti par une baisse parallèle du taux facial de l’ISOC – actuellement un des plus élevés de l’Union européenne.
La baisse parallèle du taux de l’ISOC et des déductions pour capital à risque aurait en outre l’avantage d’être plus transparent. Tant à l’international où le signal « taux » est davantage déterminant qu’à l’interne où s’atténuerait l’impression d’arbitraire, voire d’injustice fiscale. Les citoyens ont en effet le sentiment – pas totalement injustifié, hélas – que la Belgique est un paradis fiscal pour les grandes entreprises, tandis qu’elles pressurent les citoyens et les PME. Bref, la sortie progressive du régime des intérêts notionnels, en parallèle avec une baisse du taux facial de l’ISOC, permettrait de concilier attractivité, équité, tout en maintenant un rendement fiscal raisonnable.
Fermer toutes les « niches fiscales » non conditionnées à l’emploi, à l’innovation ou à des investissements
Que nous apprend le cas paradigmatique des intérêts notionnels ? Que le souci de transparence et l’efficacité fiscale et économique plaident pour une restructuration radicale de toutes les déductions, exonérations et réductions fiscales qui n’ont aucun impact sur l’économie réelle. Dans son mémorandum 2014, la CSC propose ainsi de supprimer toutes les déductions et niches fiscales non conditionnées à l’investissement, à l’innovation et à l’emploi. Citons deux cas, parmi les plus susceptibles de susciter le consensus.
Lever l’immunisation des plus-values sur actions
L’exonération totale des plus-values réalisées sur actions a longtemps fait de la Belgique une exception sur le plan international et européen. Avec la Suisse et le Luxembourg, la Belgique se situait à un extrême du spectre de la (non)-imposition des plus-values mobilières, tandis qu’avec un taux de plus de 60%, la France se situait à l’autre extrémité. L’exil de célébrités françaises dans le « paradis fiscal » belge a démontré combien cette exception était dommageable pour l’image de la Belgique. Suscitant une émotion collective légitime, ces exemples ont révélé l’injustice d’un dispositif fiscal plus propre à inciter les sociétés européennes à éluder l’impôt qu’à soutenir l’esprit d’entreprise.
Ces exemples ont aussi durablement ancré dans l’opinion publique l’idée que l’exonération totale était toujours la règle en Belgique. Or depuis les lois-programmes du 28 décembre 2011 et du 27 décembre 2012, ce n’est heureusement plus tout-à-fait le cas. La première loi-programme prévoit la taxation, au taux distinct de 25,75 %, des plus-values sur actions, en cas de réalisation dans un délai de moins d’un an. L’idée est de réserver le régime d’exonération des plus-values sur actions aux placements à moyen ou long terme, ayant donc un certain caractère de permanence, et d’en exclure les opérations à caractère spéculatif. La seconde loi-programme introduit impose au taux de 0,412 % les plus-values réalisées par les grandes sociétés, c’est-à-dire celles qui ne répondent pas à la qualification de PME [7].
Espérons que la réforme initiée sera poursuivie jusqu’à la levée complète de l’immunité, effaçant complètement l’exception belge.
Réformer le régime des revenus définitivement taxés (RDT)
Le second cas concerne le régime des revenus définitivement taxés (RDT). Ceux-ci représentent un manque à gagner de près de 25% des recettes fiscales de l’ISOC. On connait le principe. Il s’agit d’éviter la double imposition des dividendes obtenus lorsque la société détient des participations dans d’autres entreprises. Le système fiscal belge prévoit que les dividendes soient dans un premier temps inclus dans le bénéfice et sont dans un second temps déduits de la base imposable à concurrence de 95% du montant perçu. Cela signifie donc que seuls 5 % des dividendes sont effectivement imposés.
Le principe n’est guère contestable, tant que le dispositif vise des revenus qui ont déjà effectivement fait l’objet d’une taxation. Malheureusement, on sait que dans la pratique, c’est loin d’être toujours le cas. Si bien que dans les faits les holdings, qu’ils soient grands ou petits, ne paient pratiquement jamais d’impôts. L’importance des sommes ainsi extournées plaide pour une réforme de ce dispositif [8].
Notons que cette réforme devra tenir compte de la législation européenne. La Cour européenne de Justice a en effet déjà sanctionné, le 12 février 2009, une disposition du droit fiscal belge qui tentait de limiter, pour les sociétés mères déficitaires, la possibilité de déduire les dividendes de leurs filiales à l’étranger. Avant 2009, la déduction des RDT n’était possible qu’à concurrence du montant des bénéfices de l’exercice. S’il y avait un surplus de « RDT », ce surplus était perdu. En raison de cette décision européenne, le report des RDT excédentaires a dû être formellement remis en place au niveau de la déclaration de l’exercice d’imposition 2010.
Maintenir, voire encourager, les déductions pour investissements créateurs d’emplois
A contre-pied de ce mouvement de réduction drastique des niches fiscales, on pourrait par contre, redonner de l’ampleur aux déductions pour investissements en R&D, pour les brevets, les investissements économiseurs d’énergie, etc. qui avaient été délaissées au profit des intérêts notionnels. De la sorte, le levier fiscal se verrait rétabli dans sa fonction incitative de soutien à l’activité économique et à la création d’emplois. Pour éviter que ces investissements n’induisent une trop grande substitution du travail par le capital, ces déductions pourraient d’ailleurs être modulées en fonction de l’emploi [9].
Mieux : s’inspirant du modèle français des Jeunes entreprises innovantes (JEI), on pourrait également moduler ces déductions en fonction de la part des capitaux propres de l’entreprise afin d’encourager l’investissement sur fonds propres. En clair : une jeune PME financée exclusivement par des capitaux propres pourrait obtenir une déduction pour investissements majorée par rapport à celle d’une grande entreprise se finançant par de l’emprunt [10].
Baisser parallèlement le taux nominal de l’ISOC
La restructuration drastique de toutes les déductions et allègements fiscaux non conditionnés aux investissements et à l’emploi s’accompagnerait, on l’a vu plus haut, d’une baisse du taux facial de l’ISOC. Pour être efficace, nous dit la théorie économique, un impôt doit perturber le moins possible les mécanismes de marché. A cette fin, il doit s’appliquer à toute la base imposable sans exemption et sans différenciation de taux, mais aussi être le plus bas possible [11].
Élargir la base de l’ISOC, soit. Par contre, intégrer l’idée d’une baisse du taux nominal de l’ISOC à une réforme progressiste de la fiscalité peut paraitre paradoxal. Contentons-nous de faire remarquer qu’un taux facial très élevé n’a aucun sens si personne ne le paie. Il est même contre-productif, tant sur le plan de l’attractivité internationale que de la légitimité démocratique, pour les raisons décrites plus haut.
Parallèlement à l’augmentation de la base d’imposition via la réduction des déductions, la baisse du taux nominal (34%) – actuellement, un des plus élevés de l’Union européenne – permettrait de combler l’écart avec le taux effectif (11%).
Encourager les PME, tout en luttant contre les mises en société abusives
Deux questions viennent spontanément à l’esprit concernant les PME. Faut-il développer un régime fiscal spécifique aux petites entreprises ? Est-il juste que les petites sociétés paient beaucoup moins d’impôt que les indépendants soumis à l’IPP ?
Un système spécifique aux PME ?
Commençons par constater qu’il existe déjà un régime spécifique, dans la mesure où les PME bénéficient d’un taux réduit. Même si, comme chacun sait, ce taux réduit est en partie un leurre, dans la mesure où les grandes entreprises disposent de davantage de marges d’optimalisation fiscale. Par ailleurs, l’évolution de la réflexion internationale a emprunté la voie d’une fiscalité différenciée. C’est le cas notamment du régime l’ACCIS qui prône dans les faits un régime spécifique aux multinationales.
D’un point de vue macroéconomique, cette distinction peut se comprendre. Nous avons là affaire à deux modèles économiques spécifiques. Pour faire court et en caricaturant un peu. D’un côté, des grandes entreprises, plus mobiles, créatrices de richesses et soumises à la concurrence internationale. De l’autre, des PME, moins mobiles et créatrices d’emplois moins délocalisables, qui à ce titre doivent être soutenues et encouragées, ne serait-ce que parce qu’elles constituent l’essentiel de notre tissu économique.
La réponse à la première question est donc clairement oui. Même si ce régime spécifique ne doit pas nécessairement prendre la forme d’un taux réduit. (Pour rappel, la CSC plaide en effet pour un taux unique pour toutes les entreprises.) Rien n’empêche, par contre, de cibler davantage les PME dans les déductions pour investissements novateurs et créateurs d’emplois en offrant aux PME des pourcentages majorés [12].
Taxer les sociétés unipersonnelles de manière analogue aux indépendants soumis à l’IPP ?
Est-il juste de taxer davantage les entrepreneurs personnes physiques que les petites sociétés ? Dans son mémorandum, la CSC soutient que non. L’angle de vue se déplace ici de l’efficacité à l’équité. Intuitivement, les TPE d’une personne devraient être taxées de façon globalement équivalente aux indépendants soumis à l’IPP [13].
Gageons que cette question se posera avec davantage d’acuité encore, dans le cas d’une baisse du taux nominal de l’ISOC. La tentation sera encore plus grande pour nombre d’indépendants de verser du régime « personnes physiques » vers le régime « sociétés unipersonnelles ». C’est la raison pour laquelle la CSC plaide depuis des années pour des mesures concrètes de lutte contre les « mises en société abusives ».
Conclusion
Ramassons notre propos. La fiscalité est aujourd’hui déséquilibrée, injuste et inefficace. Une réforme en profondeur s’impose. Aux antipodes du modèle libéral d’une relance par la baisse de la fiscalité, la réforme attendue devrait augmenter le rendement de l’impôt, corriger les déséquilibres en vue d’une meilleure justice fiscale, sans négliger le soutien à l’activité et à l’emploi. Telle est l’équation de départ.
Cette contribution n’avait d’autre ambition que d’esquisser cinq premiers pas concrets dans cette direction. Ces propositions ne sont pas nouvelles. Elles sont portées depuis longtemps dans les milieux progressistes. Le déséquilibre fiscal est tellement grand que nombre d’entre elles ont commencé à percoler dans le programme de nombreux partis, jusque dans les institutions internationales. Ce n’est donc pas le moment de faiblir, mais au contraire de redoubler d’efforts de pédagogie dans l’espace public, de lobbying aux niveaux international et européen [14] et de concertation au niveau fédéral pour que cette réforme tant attendue se concrétise enfin.