General Motors, malgré un accord de cession de sa filiale Opel au groupe Magna, change d’avis et décide de conserver son implantation européenne. La volte-face a pris tout le monde par surprise. Elle présente, en même temps, l’état réel des pouvoirs dans le système économique actuel.

La volte-face du conseil d’administration de General Motors ne vendant plus sa filiale européenne à Magna en a surpris plus d’un. Il faut dire que tout était prévu pour cette cession. Un accord préalable avait été conclu. Seuls les détails devaient être précisés.

Il n’en a rien été. La direction du constructeur en a décidé autrement. Elle va restructurer elle-même et ses projets ne laissent rien augurer de bon : 20% des effectifs seront supprimés, soit environ 10.000 emplois ; plusieurs usines seront fermées, dont celle d’Anvers, le doute persistant sur celles de Bochum et de Kaiserlautern ou même d’Eisenach (pourtant la plus compétitive en termes d’heures d’assemblage). Le porte-parole du groupe a affirmé que le plan de restructuration s’inspirera de ce que Magna avait concocté. Il lui en coûtera trois milliards d’euros, selon ses propres estimations.

Tout le monde se demande néanmoins quelle mouche a piqué l’ancien numéro un du secteur. En mars 2009, il n’était plus en mesure d’assurer la survie de l’entité Opel/Vauxhall. Il n’en avait plus les moyens financiers. Il lui fallait trouver un partenaire. Il avait besoin de l’aide gouvernementale. En Allemagne, où travaille environ la moitié des salariés de la filiale, on s’est empressé de lui fournir le soutien nécessaire. Mais Angela Merkel a conditionné cet octroi au choix de Magna comme repreneur. Pourquoi la direction de GM prend-elle le risque de s’aliéner les autorités allemandes ? Pas seulement d’ailleurs, la Belgique, la Russie, la Pologne sont également dans l’expectative.

 La couleur de l’argent

Il paraît que Louis XIV se mirant dans la glace aurait déclaré : « L’Etat, c’est moi ». Mais, aujourd’hui, un conseil d’administration de treize personnes peut décider du sort de 50.000 travailleurs presque de la même manière. Et nous ne comptons pas dans ce nombre, les salariés américains, eux aussi soumis à de vastes programmes de rationalisation de la production, ou les emplois induits dans la sous-traitance et dans la commercialisation. Ils sont à la merci d’une poignée d’individus.

Ceux-ci agissent par intérêt. Or, le choix pour eux était soit vendre Opel et toucher les royalties sur les brevets de conception et développement des modèles, soit continuer la production sous couvert de la multinationale. Il est clair – et nous le sous-entendions dans notre article précédent [1] – que cette deuxième solution leur est préférable. En effet, ils conservent la propriété intellectuelle, leurs particularités, leurs secrets de fabrication. Dans la cession, ils auraient été obligés de dévoiler à un concurrent toute une série de procédés qu’ils auraient aimé garder pour eux. En outre, le centre de recherches de Rüsselsheim est, au niveau du groupe GM, responsable pour la plate-forme à partir de laquelle sont élaborées aussi bien les Astra que les Chevrolet Cruze ou Orlando. C’est-à-dire des voitures « compactes » qui, en ces temps de détérioration écologique de la planète, devraient être privilégiées par rapport aux grosses berlines et autres 4x4. Detroit pouvait-il abandonner un aspect aussi important de son avenir ? De plus, un constructeur qui veut jouer dans la compétition mondiale se doit d’être présent en Europe, un marché qui représente près de 20 millions véhicules vendus sur les 70 millions produits annuellement.

Tout cela, la direction de GM le savait en mars. Mais, à ce moment, la firme est en proie à des difficultés financières sans précédent. Ses actifs s’élèvent à 82 milliards de dollars, alors que son passif – ses dettes – se monte à 172 milliards de dollars [2]. Un trou de 90 milliards ! Elle consomme deux à trois milliards de dollars par mois. La situation est intenable : ou il faut trouver un arrangement avec les créanciers pour rééchelonner la dette ou c’est la faillite. Celle-ci sera prononcée le 1er juin. Ce n’est pas une liquidation. La loi américaine, par le biais du chapitre 11, permet une procédure où les emprunts ne doivent plus être remboursés momentanément, mais où la firme qui s’engage dans ce processus se restructure pour pouvoir être rentable à l’avenir.

General Motors en ressort avec une nouvelle structure, intitulée d’ailleurs new GM. Grosso modo, celle-ci reprend, en Amérique du Nord, uniquement les activités rentables de l’ancienne société, soit trois marques sur six (Chevrolet, Buick et Cadillac), plus la filiale commerciale (GMC). Les autres (Pontiac, Hummer et Saturn) sont soit fermées, soit vendues. L’Etat apporte environ 50 milliards de dollars. Les salariés transforment 40 milliards de dollars de paiements dus pour les retraites en participation en capital. Et voilà les 90 milliards épongés ! Le new GM est détenu à 60,8% par le Trésor américain (le ministère des Finances), à 17,8% par le holding qui gère les pensions des ex-travailleurs de GM (sous l’égide du syndicat UAW [3]), à 11,7% par le gouvernement canadien et à 10% par les anciens actionnaires ou créanciers de General Motors [4].

Le programme prévoit également un vaste plan de restructuration. Le nombre des concessionnaires doit passer de 6.000 à 3.600 pour fin 2010. Les unités de production doivent être réduites de 47 à 34 à cette même date. Le nombre d’emplois américains, estimé à 91.000 fin 2008, doit descendre à 64.000 cette année.

Parallèlement, le marché s’améliore. Durant l’été, aux Etats-Unis, il est tiré par une prime à la casse généreuse qui favorise les petits modèles, dont Ford mais aussi GM profitent. La situation financière étant meilleure, la direction de GM se met à espérer la possibilité de conserver sa filiale européenne. Début septembre, une étude réalisée par KPMG révèle qu’il faudrait plus de 6 milliards de dollars pour faire face aux échéances d’Opel [5]. Sans compter le milliard et demi d’euros [6] apporté par le gouvernement allemand en aide d’urgence. Encore trop cher ! Le constructeur annonce la vente à Magna.

Deux mois plus tard, il se révise. Il ajuste l’évaluation des coûts de restructuration à 3 milliards d’euros et se met à rêver de redevenir le numéro un mondial de la profession...

 Merlin l’enchanteur ?

Seulement les difficultés pointées dans le cas d’une reprise d’Opel par Magna valent en grande partie aussi pour le new GM. Les surcapacités pour la production de voitures particulières et de véhicules utilitaires légers avoisinent en Europe les 6 millions de véhicules par an, avec une part structurelle d’environ 4 à 5 millions. La part de marché de GM Europe a perdu continuellement des points depuis 1995, passant de 12,6% à cette époque à 7,9% en 2008 (et même 7,6% sur les neuf premiers mois de 2009). La prime à la casse s’arrête dans la plupart des pays à la fin de cette année. Elle a permis d’enrayer une chute des ventes qui aurait été catastrophique sinon. Mais elle risque de pénaliser une éventuelle reprise en 2010. Or, Opel en a largement profité.

Enfin, celle-ci, sous la direction du constructeur américain, a subi en neuf ans un total de 8,7 milliards de dollars de pertes, dont 2,8 milliards rien que pour 2008. Comment penser que, subitement, il en irait autrement ? De quelle botte magique dispose le nouveau conseil d’administration pour sortir sa filiale européenne du rouge ?

D’autant que, si Magna ne roulait pas sur l’or, il en va de même pour le new GM. Certes, la situation financière s’est améliorée. Certes, les comptes ont été apurés. Certes, l’hémorragie a été stoppée. Certes, en octobre 2009, le constructeur a vendu un peu plus de véhicules qu’un an auparavant. Certes, son patron estime qu’en 2011 la firme redeviendra bénéficiaire [7]. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps.

D’où Detroit va-t-il sortir les trois milliards d’euros nécessaires, selon elle, pour restructurer Opel ? Et il faudra sans doute rembourser l’Etat allemand de ses subsides préalables. Celui-ci a déjà averti que, si GM fermait des unités sur son territoire, non seulement il n’y aurait plus d’aides, mais il faudrait rembourser immédiatement celles déjà accordées. Le premier à insister sur cette mesure est le chef du gouvernement du Land de Hesse où se trouve l’usine de Rüsselsheim, Roland Koch. Mais il a été relayé en ce sens par le nouveau ministre de l’Economie, le libéral Rainer Brüderle [8]. De toute façon, ce crédit vient à échéance fin novembre.

Fritz Henderson, le nouveau patron de GM, compte, semble-t-il, sur le non-paiement par Opel des droits sur la propriété intellectuelle (dont a déjà été dénoncé le caractère quelque peu scandaleux, puisque la filiale européenne doit payer certains brevets qu’elle a elle-même mis au point) [9]. A côté de cela, il faudra sans doute un apport public qui, s’il devenait exclu de Berlin – GM en attend toujours deux milliards -, devrait venir de Grande-Bretagne, d’Espagne et de Pologne, les pays qui seraient plus avantagés par le nouveau plan.

Mais cela suffira-t-il ? Surtout que les pronostics de Fred Irwin, en charge de la société fiduciaire qui chapeautait Opel en vue de sa vente, estime que vers la mi-janvier prochaine les caisses de la filiale européenne seront vides [10]. Le temps urge, même pour Detroit.

 Cherche désespérément pouvoirs publics maternels

L’annonce de l’échec de la vente à Magna est apparue comme un scandale, surtout en Allemagne, où le gouvernement avait longuement négocié à la fois le maintien des usines et les crédits de soutien à l’activité. Il n’y a pas de mot assez fort pour faire part de cette indignation générale.

Ainsi, Jürgen Rüttgers, chef du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, pourtant chrétien-démocrate, a lancé : « le comportement de GM nous montre la face odieuse du turbocapitalisme » [11]. Le libéral ministre de l’Economie s’est même fendu d’une décision « inacceptable vis-à-vis des salariés à huit semaines de Noël », alors que ces derniers étaient prêts à des sacrifices salariaux pour garder l’emploi [12]. Klaus Franz, responsable du comité d’entreprise européen de GM, a averti dans un communiqué : « La prochaine étape pour General Motors sera de faire chanter les gouvernements et les salariés européens pour financer leur plan de restructuration qui n’est pas viable » [13]. Et les responsables syndicaux ont ajouté qu’il n’était plus question de modération salariale dans ces conditions.

Les journaux allemands relèvent tous la gifle infligée au pays. En particulier, Angela Merkel en a pris pour son grade. De passage à Washington et reçue avec honneur à la Maison Blanche, elle n’apprend la nouvelle que lors de la prise de l’avion de retour [14]. Le quotidien le plus vendu en Europe, Bild, titrait dès lors : « Les Amerloques se sont bien foutus de la chancelière » [15]. Il faut dire aussi qu’elle s’était personnellement engagée dans la cession à Magna. En pleine campagne pour sa réélection en septembre, elle n’avait hésité à s’approprier tous les lauriers de la conclusion d’un préaccord avec l’équipementier canadien : « La patience, la détermination, la clarté de tous les services du gouvernement, et de moi personnellement, ont certainement contribué à ce qu’on en arrive à cette décision » [16]. Aujourd’hui, elle goûte sans doute des fruits un peu plus amers.

Au-delà de ces froissements personnels, il y a néanmoins la manière assez brutale. Vladimir Poutine l’a résumée ainsi : « Nous devrons prendre en compte à l’avenir ce traitement des partenaires, quoique cette approche méprisante envers des associés affecte principalement les Européens, pas nous. GM n’a averti personne, n’a parlé à personne... malgré tous les accords conclus et les documents signés. Bien, je pense que c’est une bonne leçon. » [17]

Mais faut-il s’en étonner ? Tout le pouvoir est laissé dans les mains de treize personnes, les membres du conseil d’administration. Celles-ci visent l’intérêt de la multinationale américaine, c’est-à-dire de ses dirigeants et de ses actionnaires, pas celle des pays ou des salariés de l’entreprise. On croit qu’en suivant ses motivations personnelles elle va favoriser in fine l’intérêt général ou collectif. Mais il n’en est rien.

Ici, on pourrait affirmer que c’est l’Etat américain qui détient les clés du jeu. Il dispose de plus de 60% des actions. Il a nommé dix des administrateurs, les trois autres étant le PDG, un représentant du gouvernement canadien et un autre des retraités de l’UAW. En réalité, d’emblée de jeu, le président Obama a déclaré que lui et ses départements n’interviendraient pas dans la gestion de General Motors : « Nous agissons comme actionnaire, mais un actionnaire réticent. Je n’ai aucune envie de gérer GM. Il sera dirigé par un conseil d’administration et une équipe de direction, qui prendront les décisions sur la façon de rétablir cette entreprise. Le gouvernement fédéral n’exercera pas ses droits d’actionnaires et n’interviendra que pour les décisions les plus importantes. Pour résumer, notre ambition est de remettre GM sur pied, de ne pas intervenir et de sortir rapidement. »  [18] Un point de vue partagé de ce côté-ci de l’Atlantique par les principaux responsables politiques.

Néanmoins, le gouvernement américain a dû explicitement déclarer qu’il n’était pour rien dans la décision récente de GM. Et, mercredi 4 novembre, dans la soirée, le président Obama a donné un coup de téléphone à Angela Merkel pour repréciser que c’était un mauvais concours de circonstances cette annonce intempestive du conseil d’administration du constructeur et, au même moment, la visite de la chancelière à la Maison Blanche.

Toute cette affaire devrait, pourtant, nous faire réfléchir sur le pouvoir abandonné aux grandes sociétés comme General Motors et à leur direction. C’est une profession de foi libérale très osée de croire que leurs orientations vont servir le bien de la communauté.

Dans le cas d’Opel, on peut se demander si ce n’est même pas le contraire. La casse sociale est importante : plus de 10.000 emplois, sans compter les postes perdus dans la sous-traitance et chez les concessionnaires. Les problèmes structurels demeurent comme l’existence de surcapacités permanentes ou le caractère polluant de l‘automobile. L’argent public, c’est-à-dire des contribuables, est dilapidé dans le soutien à des projets privés qui visent l’hégémonie dans l’automobile, à savoir la reconquête éventuelle, quoique très hypothétique, de la place de numéro un de GM. Et les 50 milliards de dollars versés par l’Etat américain servent à alimenter la machine à reprendre des parts de marché sur le dos des autres constructeurs. Bref, de la concurrence destructrice dans les termes les plus crus. En même temps, on peut voir qui détient le véritable pouvoir dans la société, puisque les gouvernements se mettent à plat ventre pour fournir une aide aux multinationales dans l’espoir qu’elles leur épargnent des problèmes sociaux. Et, même une fois tous les accords conclus et les documents presque signés, un conseil d’une douzaine de personnes peut tout remettre en cause. S’il avait été question de pays, il y aurait eu matière à un casus belli.

Tout cela nous invite une fois de plus à remettre en cause l’autorité réelle laissée aux grandes compagnies – on pourrait ajouter privées, mais ici formellement GM est publique – et au principe de marché pour régler l’économie. Ce n’est pas le meilleur système économique du monde, même à l’exclusion de tous les autres, comme s’amusent à ajouter certains. On doit retrouver, au contraire, le sens de l’économie publique, c’est-à-dire collective.

Si nous sommes face à des difficultés sociales et écologiques, les pouvoirs publics doivent intervenir, prendre les choses en main. Dans l’automobile, il faudrait redéfinir une gestion globale de la mobilité, comprenant le transport routier, ferroviaire et autre. Face au réchauffement climatique, il ne s’agit pas de développer la voiture propre, verte, comme alternative crédible. Elle ne l’est pas et ne le sera pas avant longtemps. Il faut diminuer la circulation des véhicules, tout en ne limitant pas la possibilité des gens de se déplacer qui devrait, au contraire, augmenter à l’avenir. Pour résoudre cette équation, il n’y a qu’une possibilité : développer les transports en commun et ce, de façon accessible à tous. En même temps, un tel projet pourrait absorber la main-d’œuvre qui n’aurait plus sa place dans l’industrie automobile en tant que telle.

On peut se méfier de l’intervention des pouvoirs publics dans ce domaine et donner justement l’exemple de GM pour montrer que l’Etat n’est pas toujours garant de la meilleure politique. Mais ce que le conseil d’administration à Detroit a fait n’est pas de la politique sociale. Il s’est mis dans la peau d’une direction privée et a agi comme les représentants d’actionnaires futurs voulant investir dans le constructeur. Si nous proposons, demandons une gestion publique, ce n’est pas pour suivre les mêmes directives. C’est pour promouvoir d’autres missions, sociales et écologiques, sans obligation absolue d’être rentable ou compétitif. Il y a des besoins essentiels et il faut les remplir. Voilà le sens d’un redéveloppement des services publics. Avec le marché, avec le privé, avec le capitalisme, ces objectifs ne sont pas atteints.

C’est pourquoi il faut aussi un contrôle syndical et citoyen sur ce genre d’entreprises. On a vu par le passé que la dérive pouvait gangrener les firmes publiques. La corruption n’est pas impossible. Le clientélisme est souvent pratiqué : on offre des postes en fonction de la couleur politique. Et, ces dernières années, les compagnies sont gérées de la même manière que dans le privé, avec des buts d’efficacité et de performance identiques (souvent d’ailleurs dans l’optique de privatiser ensuite). Dans ces conditions, comme l’écrit la Commission européenne, l’origine du capital importe peu, sauf que les bénéfices du privé sont conservés dans les mains d’une minorité d’actionnaires et ceux du public peuvent être versés au compte de l’Etat.

Mais il faut davantage. Il faut une orientation clairement sociale et écologique et sortir de la logique de la concurrence saine et non faussée. C’est pourquoi des organes de surveillance devraient être mis en place pour vérifier que ces missions sont bien respectées.

Utopique ? Sans doute. Mais pas autant que la croyance qu’on peut continuer sur la voie actuelle, sans transformation majeure, en laissant la direction des affaires aux mains des multinationales.

Il est un fait que dans toute cette histoire une des instances les plus satisfaites doit être la Commission européenne. Mise hors jeu dès le départ par les négociations initiées par l’Allemagne, elle l’est toujours aujourd’hui. Mais elle n’est plus la seule. Tous les Etats européens ont été renvoyés sur la touche par la décision prise dans un bureau de Detroit. En outre, elle ne doit plus s’occuper des aides illégales, puisque celles-ci n’ont toujours pas été octroyées, excepté ce crédit de soutien et de court terme pour empêcher la faillite immédiate d’Opel.

 Cela rime à quoi ?

L’affaire devrait nous faire réfléchir sur la société dans laquelle on vit. Sans doute la crise incite à agir dans l’urgence : il faut sauver des emplois à tout prix ; le rapport de forces ne nous est pas tout à fait favorable, que doit-on céder pour garder nos postes ? pourquoi ne pas gratter un peu de salaire, travailler un peu plus longtemps, un peu plus vite, si c’est la condition pour conserver son job ? un emploi à temps partiel n’est-il pas mieux que le chômage ?

Pourtant, c’est aussi l’occasion d’aller plus loin. Parce que le capitalisme ne crée plus les richesses pour tous. En fait, il n’en a jamais été question. Mais, au moment de la récession, le système n’apparaît plus comme au temps de sa splendeur avec des chiffres de croissance qui font la joie des actionnaires et des dirigeants des grandes entreprises. Quelque chose s’est enrayé. Un grain de sable s’est glissé dans la belle mécanique bien huilée. Mais quoi ?

Les principaux médias peuvent essayer de convaincre que la récession est venue d’un dysfonctionnement anormal de la finance ou de l’immobilier – déjà, ce dérèglement ne cessant de se répéter, son caractère anormal prend toutes les couleurs de la normalité. Mais, dans l’automobile (et dans bien d’autres secteurs), ces raisonnements ne tiennent pas la route. Pourquoi y a-t-il de telles surcapacités, notamment en Europe et aux Etats-Unis ? A cause de la finance ? De la crise des subprimes ? Et pourquoi faut-il restructurer en supprimant là un quart, ici un tiers des emplois ? En quoi les salariés d’un groupe portent-ils une responsabilité dans la crise ? Pourquoi doivent-ils en payer les pots cassés ? Et pourquoi, d’une façon générale, les actionnaires s’enrichissent-ils en plaçant de l’argent, alors que les travailleurs s’épuisent dans un labeur souvent stressant et harassant, sans jamais gagner quoi que ce soit ?

C’est donc le temps de réfléchir à une autre société. Car celle-ci, en poursuivant sur les voies qu’elle s’est tracées, mène à davantage de misère sociale, de dangers écologiques et nous prépare soit à un approfondissement de la récession actuelle, soit à d’autres crises plus graves, plus dangereuses.