S’il y a un sentiment largement partagé aujourd’hui à propos du marché du travail c’est que la précarité y augmente . Cette note a pour principal objet d’examiner de plus près deux indicateurs de cette précarité, à savoir la proportion d’emplois temporaires et le travail à temps partiel. Elle examinera aussi un 3ème indicateur, à savoir la proportion de travailleurs ayant un deuxième travail.


Il s’agit bien d’indicateurs, en ce que ni un emploi temporaire ni un emploi à temps partiel ne sont automatiquement et pour tou(te)s sources de précarité, pas plus que le fait d’effectuer un 2ème travail n’est nécessairement la conséquence d’une situation précaire. Mais un emploi à temps partiel ou un contrat temporaire peuvent rendre la situation de certains travailleurs plus compliquée, plus fragile. Par exemple un contrat précaire rend l’obtention d’un crédit bancaire plus difficile. Il rend également plus difficiles certains choix de vie. Un contrat à temps partiel se révèle un piège pour une femme qui est quittée par son mari/compagnon, surtout si elle a un ou plusieurs enfant(s) à charge.

Toutes choses égales par ailleurs, le travail à temps partiel augmente le risque d’être sous le seuil de pauvreté, en particulier quand il y a des enfants à charge (voir tableau ci-dessous). Etc.

Taux de risque de pauvreté en fonction de l’intensité du travail dans le ménage Belgique – 18-64 ans – 2009
Source : Eurostat/SILC

On rappellera, pour conclure cette introduction, que le principal risque de précarité sur le marché du travail est d’être chômeur, ce que confirme le tableau ci-dessus. Mais cette dimension étant abondamment traitée et donc mieux connue cette note ne l’abordera pas.

 LES EMPLOIS TEMPORAIRES

Note méthodologique : Les données exploitées ci-dessous proviennent de l’Enquête sur les forces de travail coordonnée par Eurostat (à l’exception des données sur l’intérim).

En Belgique, la proportion d’emplois temporaires (8,2% en 2009) est inférieure à la moyenne européenne (13,5% – barre horizontale sur le graphique ci-après).

Proportion d’emplois temporaires – 27 pays de l’UE – 2009
Source : Eurostat

En Belgique (voir graphique suivant), la proportion d’emplois temporaires a quelque peu reculé entre 2000 et 2009, contrairement à l’évolution au niveau européen (EU27), où le recul s’observe à partir de 2008. Attention : il faut tenir compte de ce que la proportion d’emplois temporaires diminue en général quand il y a un recul conjoncturel. L’écart entre la Belgique et la moyenne européenne s’est creusé.

Evolution de la proportion d’emplois temporaires – Belgique et UE27 - 2000/2009
Source : Eurostat - Calculs : IDD

En Belgique, le taux d’emplois temporaires est passé, entre 1983 et 2009, de 5,4 à 8,2% de la population des salariés de 15 à 74 ans, après avoir atteint un maximum en l’an 2000. En absolu, le nombre de travailleurs concernés a plus que doublé, passant de 150.000 à 310.000. De manière systématique, le taux d’emplois temporaires des femmes est supérieur à celui des hommes.

Proportion de salariés avec un contrat temporaire – 1983/2009
Source : Eurostat - Calculs : IDD

Si le développement de l’intérim a joué un rôle dans cette évolution, le graphique suivant semble montrer que son importance est changeante dans le temps, soit que la part d’autres types de contrats temporaires change dans le temps soit que le rapport entre le nombre de personnes en intérim et le volume du travail intérimaire évolue soit encore, et plus que probablement, par un cumul de ces deux glissements structurels.

Proportion de salariés avec un contrat temporaire (échelle de gauche) et taux de pénétration de l’intérim (échelle de droite) – 1990/2009
Source : Eurostat - Calculs : IDD

Entre 1992 et 2000 on constate (voir graphique du haut de la page suivante) qu’il y a une forte chute de la durée moyenne des contrats. Elle se stabilise plus ou moins entre 2000 et 2009 autour d’un niveau (quelque peu) supérieur à 50 (contre 100 en 1992). Cette durée moyenne est aujourd’hui d’environ 11 mois, un peu plus pour les femmes, un peu moins pour les hommes.

Durée moyenne des contrats temporaires – indices 1992=100 – 1992/2009
Source : Eurostat - Calculs et estimations : IDD

Enfin, comme le montrent les deux tableaux suivants,

  • la proportion d’emplois temporaires est plus élevée pour les salariés faiblement qualifiés ;
  • est significativement plus élevée pour les moins de 25 ans (la proportion des emplois précaires a plus que doublé chez les jeunes entre 1983 et 2009) ;
  • est systématiquement plus élevée pour les femmes pour les deux critères retenus.

Note méthodologique : Classification CITE des niveaux d’études
CITE Niveaux 1-2 = Enseignement préprimaire, primaire et premier cycle de l’enseignement secondaire
CITE Niveaux 3-4 = Enseignement du deuxième cycle secondaire et enseignement post-secondaire qui n’est pas du supérieur
CITE Niveaux 5-6 = Enseignement supérieur.

Proportion de salariés avec un contrat temporaire en fonction du genre et du diplôme le plus élevé obtenu – 2008
Source : Eurostat - Calculs : IDD
Proportion de salariés avec un contrat temporaire en fonction du genre et de l’âge 2008
Source : Eurostat - Calculs : IDD

On notera encore que le nombre de travailleurs de plus de 55 ans avec un contrat temporaire est aujourd’hui d’environ 15.000 alors qu’il était tombé quasiment à zéro au milieu des années 90.

 LE TRAVAIL A TEMPS PARTIEL

Le travail à temps partiel concerne surtout les femmes.

On sait à cet égard que :

  • la proportion de salariées à temps partiel a très fort augmenté au cours des 25 dernières années pour atteindre aujourd’hui quasiment 50% [1] ;
  • la proportion de salariées à temps partiel est très variable en fonction de la catégorie professionnelle et du diplôme le plus important obtenu : elle diminue quand on « monte » dans l’échelle des professions et de niveau du diplôme ;
  • le temps de travail moyen des personnes prestant à temps partiel est passé d’environ 20 heures à environ 24 heures semaine au cours des 25 dernières années.
Importance du travail à temps partiel – tous salariés – 2009 – estimations
Source : ONSS, ONS-APL et Eurostat - Calculs et estimations : IDD

Il a été rappelé dans l’introduction que le travail à temps partiel pouvait générer un risque de précarité. C’est d’autant plus vrai qu’un examen des données ONSS montre que, pour les femmes qui travaillent à temps partiel, il y a une corrélation positive entre le temps de travail moyen et la hauteur des salaires (voir graphique du haut de la page suivante).

Concrètement : par exemple, une femme salariée à temps partiel dans le secteur de l’énergie travaillera plus d’heures (environ 30 hrs/semaine) que la moyenne pour un salaire horaire supérieur de 44% à la moyenne et une salariée à temps partiel dans le secteur HORECA travaillera moins d’heures (environ 20 hrs/semaine) pour un salaire horaire inférieur de 40% à la moyenne.

Dans le même ordre de constats, le graphique au milieu de la page montre qu’au plus on descend dans l’échelle salariale, au plus la proportion de travailleuses à temps partiel tend à être élevée.

Note méthodologique : Les graphiques suivants portent sur les secteurs NACE hors agriculture, industries extractives, intérim, activités des ménages en tant qu’employeurs et activités extraterritoriales (voir Annexe 1 pour la liste des secteurs NACE retenus). Le temps de travail moyen est une estimation.

Temps de travail hebdomadaire et niveau moyen des salaires femmes à temps partiel – secteurs NACE – 4ème trim 2009
Source : Eurostat et ONSS - Calculs et estimations : IDD
Importance du travail à temps partiel et niveau moyen des salaires femmes salariées – secteurs NACE – 4ème trim 2009
Source : ONSS - Calculs : ID

  UN DEUXIEME TRAVAIL

Note méthodologique : Cette partie porte sur tous les emplois (salariés et indépendants).

La proportion de personnes déclarant exercer un deuxième travail a doublé en une vingtaine d’années, passant de 2 à 4% de l’emploi total. Cette proportion a surtout augmenté au cours des années 90. En 2009, 175.000 personnes ont déclaré exercer un deuxième travail.

Note méthodologique : Ce nombre paraît sous-estimé dès lors qu’il y a déjà, en 2009, environ 200.000 personnes qui ont une activité d’indépendant comme activité complémentaire (Source : Rapport annuel 2009 de l ’INAST). Une grande prudence donc s’impose donc dans l’utilisation de ces données.

  • Les tableaux suivants permettent de constater que la proportion de travailleurs qui déclarent exercer un 2ème travail est plus élevée pour les professions intellectuelles et scientifiques que pour les manœuvres (proportion deux fois plus élevée) ;
  • est plus de deux fois plus élevée pour les travailleurs ayant fait des études supérieures que pour ceux qui n’ont pas été plus loin que le secondaire inférieur ;
  • est plus élevée pour les hommes que pour les femmes.

Tout ceci conduit à émettre l’hypothèse que la précarité n’est probablement pas le moteur principal pour prendre un deuxième travail.

Proportion de travailleurs déclarant exercer un deuxième travail – par profession
Source : Eurostat - Calculs : IDD
Proportion de travailleurs déclarant exercer un deuxième travail par niveau de diplôme le plus élevé obtenu
Source : Eurostat - Calculs : IDD
Proportion de travailleurs déclarant exercer un deuxième travail par genre
Source : Eurostat - Calculs : IDD

 QUELQUES OBSERVATIONS

Rappelons d’abord que la plupart des données utilisées ici proviennent d’enquêtes. On doit s’interroger sur la manière avec laquelle les travailleurs interviewés répondent, notamment comment ils interprètent les questions. Des doutes apparaissent quand, par exemple, le nombre de personnes déclarant un deuxième travail est inférieur au seul nombre d’indépendants exerçant une activité à titre complémentaire (même si on sait que certains « inactifs » – chômeurs, pensionnés... - exercent de telles activités) ou quand la proportion de salariés déclarant exercer à temps partiel est inférieure à la proportion qui résulte du traitement de données administratives. Il est peut-être temps de se donner la volonté politique et les moyens de mobiliser ces données administratives à partir desquelles il est possible de construire nombre d’indicateurs de précarité.

En l’absence de données plus nombreuses et plus pertinentes, cette note a produit des « photos ». Mais, en matière de précarité, la dynamique individuelle est une dimension d’analyse très importante et essentielle pour le vécu des travailleurs concernés. Avoir un CDD pendant quelques mois et puis obtenir un CDI ce n’est pas la même chose que d’enfiler des intérims et des CDD pendant plusieurs années.

De même, on manque d’informations pour croiser les indicateurs. Il est par exemple probable que beaucoup de CDD soient aussi des emplois à temps partiel.

Les femmes sont manifestement discriminées sur le marché du travail. On le sait. Les indicateurs de précarité retenus dans cette note le montrent également.

 Annexe 1 : Secteurs NACE retenus pour les graphiques de la page 6

P.-S.

Publication originale : Philippe Defeyt, « Indicateurs de précarité sur le marché du travail », IDD, août 2010.

Notes

[1Les estimations basées sur les statistiques de l’ONSS et de l’ONSS-APL conduisent à des pourcentages de travailleurs et de travailleuses à temps partiel supérieurs à ceux qui résultent de l’Enquête sur les forces de travail.