Le 21 janvier 2010, Nick Reilly, patron d’Opel, annonçait aux organisations syndicales son intention de supprimer près de 8.300 emplois en Europe. Une restructuration sur le mode de la saga socio-économique que Michel Capron aborde ci-dessous en faisant le point sur les différents acteurs qui ont participé au « feuilleton Opel Anvers ».
Il y a quelque huit mois j’analysais la crise de l’assemblage automobile dans notre pays [1]. Je m’interrogeais notamment sur l’avenir d’Opel Anvers au vu des tractations en cours quant à la cession par General Motors (GM) de sa filiale Opel/Vauxhall [2] et des manœuvres préélectorales du gouvernement d’A.Merkel en vue de préserver les sites d’Opel en Allemagne.
Que constate-t-on à la mi-janvier 2010 ? D’une part, à l’issue d’un jeu complexe entre GM et plusieurs candidats repreneurs (Fiat, Magna, RHJ International, BAIC), le groupe GM - mis sous Chapter 11 et sauvé de la faillite par une injection d’un total de 60 milliards US$ qui ont largement facilité son redressement - décide de garder Opel en opérant une restructuration drastique des sites de production européens. Il est en effet question de quelque 8.500 pertes d’emplois et de l’éventuelle fermeture d’un ou plusieurs sites, à propos de laquelle les dirigeants de GM ne se sont toujours pas prononcés. L’usine d’Opel Anvers est en point de mire et sa fermeture pourrait occasionner près de 8.000 pertes d’emplois directs et indirects [3]. D’autre part, et paradoxalement sans doute, si personne ne nie la qualité du travail effectué à Anvers, l’usine n’a jamais vu jusqu’à présent la réalisation des promesses de modèles de substitution à l’Opel Astra dont la production devrait cesser en mars 2010.
Il y a tout lieu de penser que le destin d’Opel Anvers est tributaire de considérations tant politiques qu’économiques. Si, en avril 2007, le nouveau modèle Astra n’a pas, à l’encontre de toute logique industrielle, été attribué à Anvers, c’est à la fois dû à l’exiguïté du marché belge face aux marchés allemands et anglais, à l’absence d’une marque nationale (comme Opel ou Vauxhall) et à des coûts trop élevés par exemple face au site polonais de Gliwice. Qu’en outre l’usine Saab de Trolhättan ait été préférée à Anvers ne peut s’expliquer que par des pressions politiques de soutien à Saab, autre filiale de GM [4]. Si, en 2007-2008, Anvers a échappé à la fermeture, c’est en raison de la promesse obtenue, à l’issue de la grève, d’une production de 120.000 véhicules (Chevrolet et 2 modèles SUV, petits véhicules compacts) à partir de fin 2009. Or jusqu’à présent GM n’a pas tenu cette promesse, ce qui n’augure donc rien de bon pour la survie d’Anvers.
Depuis mai 2009, ce sont surtout des stratégies politiques qui ont été mises en œuvre, appuyées par des engagements et des promesses de financement publics afin d’assurer la survie d’Opel. Le gouvernement allemand s’est - comme nous le verrons - particulièrement illustré dans ce domaine, que ce soit par rapport à GM ou aux différents candidats repreneurs. Force fut de constater, dans le chef du gouvernement flamand - soutenu politiquement par le gouvernement fédéral - qu’il était loin de faire le poids face aux propositions allemandes : une proposition d’aides publiques flamandes d’un maximum de 500 millions € ne tenait manifestement pas la route face à l’offre allemande de 4,5 milliards €.
Il s’agit toutefois de situer les menaces pesant sur Opel Anvers dans un double contexte : d’une part l’évolution du groupe GM aux USA et d’autre part les tractations entourant l’éventualité de la vente de sa filiale Opel qui, comme on le verra, fut largement tributaire de la situation de GM. J’exposerai dans une première partie les lignes de conduite adoptées par les différents acteurs de ce gigantesque poker menteur : outre GM, les différents candidats repreneurs, le gouvernement et les Länder allemands, les autres gouvernements européens concernés, les organisations syndicales, la Commission Européenne et le gouvernement flamand. Dans une seconde partie seront examinées les implications, pour les différents acteurs, de la décision finale prise par GM de conserver et de restructurer Opel. Enfin, n’oublions pas que, pour travailler ces temps-ci chez Opel Anvers, il faut avoir un mental solide et une patience à toute épreuve, car ce n’est pas rien de devoir travailler depuis plus d’un an dans l’incertitude la plus totale quant à l’avenir de son propre emploi.
1. LA SAGA DE GM ET DES CANDIDATS REPRENEURS D’OPEL
L’évolution du groupe GM aux USA
Au vu de la situation catastrophique du marché de l’automobile aux USA depuis début 2009, les principaux constructeurs américains se trouvent en grande difficulté et donc dans l’obligation d’opérer des restructurations drastiques pour survivre. Fin avril, GM, qui a déjà obtenu une aide publique de 15 milliards $, se voit obligé de présenter, pour le 1er juin, un plan de redressement crédible impliquant l’accord des créanciers et des syndicats. Ce faisant, le groupe pourrait échapper au dépôt de bilan en se plaçant sous la procédure du Chapter 11 du Code des faillites qui lui permet de se restructurer sous contrôle judiciaire mais à l’abri de ses créanciers. A cet effet, la direction procède à la réduction de 40% du nombre de ses agences de distribution aux USA (de 6.000 à 3.600). Parallèlement, GM négocie avec le syndicat UAW (Union of Automobile Workers) et le Trésor américain un plan social modifiant la convention d’entreprise et impliquant une réduction des coûts de 1 milliard $ par an (via des baisses de salaires et la réduction des jours de congé), la paix sociale jusqu’en 2015 et la suppression de 20.000 emplois [5]. En contrepartie, le Trésor US obtiendrait 50% et l’UAW 35% du capital du groupe restructuré. Le point le plus épineux consiste à obtenir d’au moins 90% des créanciers que la dette obligataire de GM d’un montant de 27,1 milliards $ soit convertie en 10% du capital, une solution nettement moins attractive pour eux que la faillite pure et simple. Enfin, GM pourrait séparer les actifs ayant de la valeur (les filiales Buick, Chevrolet, GMC et Cadillac) de ses dettes.
GM est placé le 1er juin sous la protection du Chapter 11 : il dispose de trois mois pour réaliser sa restructuration sous contrôle judiciaire. A ce moment, le capital du « New GM » sera détenu à 60% par les pouvoirs publics US [6], à 12% par l’Etat canadien (contre une aide de 9,5 milliards $), à 17,5% par le fonds de pension des retraités de GM géré par l’UAW et à 10% par les créanciers obligataires après abandon de leurs créances. L’Etat US n’interviendra pas dans la gestion du groupe qui fermera 11 usines d’ici 2010, devra céder plusieurs marques et réduire, comme convenu, le nombre de ses concessionnaires. Moyennant ces opérations, sa dette est ramenée à 17 milliards $.
La réduction de la configuration industrielle de GM implique, outre le maintien des quatre marques précitées, la cession de Pontiac (qui pourrait être liquidé), de Saab, de Saturn [7], de Hummer [8] et d’Opel dont le reprise fait déjà l’objet, depuis début mars [9], de négociations avec plusieurs candidats et avec le gouvernement allemand. Ces négociations aux multiples rebondissements ultérieurs, seront détaillées ci-après.
Outre ces différentes cessions, GM annonce l’amorce d’une mutation des modèles produits : priorité sera donnée à la production de petites voitures peu énergivores et au modèle hybride Chevrolet Volt. Progressivement la situation financière du groupe New GM s’améliore, si bien que, fin octobre, GM consacre 412 millions $ pour augmenter à 70% sa participation dans le groupe sud-coréen Daewoo qui exporte des modèles Chevrolet et des composantes pour l’assemblage sur place en Europe de l’Est et notamment en Russie. Le 3 novembre, le conseil d’administration de GM décide, au vu du redressement de la situation du groupe [10], de finalement ne pas vendre sa filiale Opel mais de la soumettre à une restructuration en profondeur. La raison officielle est l’importance que représente Opel pour GM en Europe pour la stratégie internationale de GM, qui se dit d’ailleurs prêt à rembourser les aides publiques accordées (1,5 milliard €) par le gouvernement allemand pour maintenir Opel à flot. Le revirement du groupe GM, motivé par d’autres raisons moins officielles que nous exposerons ci-après, vient ainsi clore une série de valses-hésitations par rapport à plusieurs candidats qui s’étaient déclarés intéressés par le rachat d’une part majoritaire dans Opel. Cette décision a suscité, en un premier temps, des réactions de colère en Allemagne et en Russie, mais une certaine satisfaction en Pologne et en Grande Bretagne. C’est que l’enjeu de la survie d’Opel et de ses sites de production est de taille, comme il ressort du Tableau ci-dessous.
Le groupe Opel/Vauxhall en Europe
Le groupe Opel/Vauxhall occupe quelque 50.505 travailleurs en Europe. Le’ Tableau 1 indique, pour chaque site ou groupe de sites, le nombre d’emplois et le type de production en 2009.
Il conviendrait d’ajouter, pour GM Europe, sa filiale suédoise Saab dont l’usine de Trolhättan occupe quelque 3.982 travailleurs et dont l’avenir, fragilisé suite au retrait du repreneur pressenti, le constructeur de voitures de luxe Koenigsegg, est actuellement lié aux négociations avec plusieurs repreneurs, malgré sa mise en liquidation judiciaire..
Dès début mars 2009, GM envisageait déjà de céder quelque 65% du capital d’Opel. Plusieurs candidats repreneurs se sont manifestés, présentant des options de financement et de restructuration différentes. D’emblée cependant, le gouvernement allemand et les Länder de localisation des sites de production allemands allaient avoir leur mot à dire dans cette opération de sauvetage d’Opel, au vu notamment du nombre d’emplois en jeu sur leur territoire. Par ailleurs, aucun repreneur n’étant en mesure d’assumer financièrement l’opération de reprise, leur recours à un soutien et à des garanties publics, notamment (si pas exclusivement) des pouvoirs publics allemands, paraissait assez évident. Progressivement cependant, d’autres acteurs entreront en jeu, notamment les gouvernements des autres pays concernés (dont le gouvernement flamand pour Opel Anvers), les organisations syndicales et la Commission Européenne. Il vaut donc la peine d’expliciter les propositions et objectifs de tous ces acteurs pour mieux comprendre dans quel contexte se joue le destin d’Opel Anvers.
Des acteurs aux intérêts divergents
a. Les propositions et objectifs des candidats repreneurs
Le groupe Fiat s’est manifesté dès début avril. Il vient d’acquérir la majorité du capital de Chrysler et ambitionne, en y ajoutant Opel, de concurrencer Toyota et VW au niveau mondial. Son apport consisterait en technologie (ses moteurs de nouvelle génération), en un réseau de vente en Amérique du Sud et en Asie , mais non en cash vu sa situation financière précaire (un endettement de 19 milliards €). Fiat laisserait un peu plus de 10% à GM dans le nouveau groupe Fiat-Chrysler-Opel et tablerait sur une garantie d’Etat de 3 milliards € de la part du gouvernement allemand. Fiat estime que, pour sauver Opel, il faut réduire la production de 20% et procéder à au moins 10.000 réductions d’emplois. Dans ce contexte, le site d’Anvers, sans doute soumis à restructuration, aurait un certain avenir par rapport auquel Fiat reste cependant dans le flou. L’offre de Fiat dispose comme atouts de synergies possibles entre Opel et Fiat en termes de production, d’innovations technologiques, de développement de nouveaux modèles et de l’extension d’un réseau de ventes commun. Par contre, les fortes restructurations annoncées, la présence de Fiat via Chrysler sur le marché américain et le fait qu’en 2005 GM a dû verser 1,5 milliard $ à Fiat suite à l’échec de leur rapprochement ne plaident pas en sa faveur auprès des dirigeants américains, pas plus que l’importante demande de garanties d’Etat ne lui attire les faveurs du gouvernement allemand. Si bien que, même si son offre de reprise a été transmise au gouvernement allemand fin mai, les choses en resteront là et Fiat disparaît de la liste des candidats.
Le groupe austro-canadien Magna International [11], deuxième équipementier mondial, voudrait, par la reprise d’Opel, entrer sur le marché des producteurs automobiles. Son offre financière de départ, soutenue par la banque russe Sberbank [12], atteignait 800 millions € (en titres de dettes, pas en capitaux propres). La répartition du capital d’Opel proposée octroyerait 20% à Magna, 35% à Sberbank, 10% au personnel d’Opel, le solde de 35% restant aux mains de GM. Au niveau de l’emploi, Magna envisage de supprimer 10.000 postes de travail, tout en épargnant en grande partie les sites allemands contre une garantie d’Etat de 4,5 milliards €. Dans ce scénario, aucune garantie n’est fournie au site d’Anvers, qui pourrait peut-être offrir des lignes d’assemblage, en sous-traitance, à d’autres constructeurs. Magna jouit d’une bonne réputation auprès de GM et, a priori, la possibilité d’entrée d’Opel sur le marché russe est intéressante, tout comme la proposition d’effectuer du travail en sous-traitance pour d’autres marques. Toutefois, le reprise par Magna ne permet pas de synergies, sa situation financière est fragilisée par la crise et GM redoute une appropriation de la technologie Opel par le constructeur russe GAZ, tout en s’interrogeant sur la fiabilité de Sberbank. Le gouvernement allemand serait prêt à accorder les garanties demandées par Magna contre le maintien de l’emploi sur les sites allemands. Le 29 mai, un accord provisoire est conclu, après des tractations difficiles, entre GM, Magna et des représentants du trésor américain, accord approuvé par le gouvernement allemand le 1er juin.
Le consortium Magna-Sberbank n’est toutefois pas seul en lice et se voit contraint d’améliorer son offre. Il propose, fin juillet pour 55% du capital d’Opel (réparti à parité entre Magna et Sberbank), un investissement de 500 à 700 millions € (dont 350 millions € sur fonds propres) en contrepartie de garanties publiques de 4,5 milliards €. Le consortium voudrait pouvoir vendre des modèles Opel sous la marque GAZ et utiliser la technologie Opel pour produire de nouveaux modèles, ce qui ne plaît guère à la direction de GM. Le plan de restructuration comprendrait la suppression de 10.560 emplois [13]. Anvers perdrait 2.321 emplois et serait fermé en mars 2010. Fin août, les discussions mènent à ce qu’Opel pourrait décider où seront conçus et élaborés ses productions et ne devrait plus payer de royalties pour les brevets GM. GAZ aurait accès à ces brevets et pourrait racheter 27% des parts de Sberbank ; enfin, Magna s’engage à ne pas commercialiser de véhicules Opel aux USA et en Corée du Sud (où GM a conclu une joint venture avec Daewoo).
Fin août-début septembre, le report incessant de la décision de la direction de GM quant à la cession d’Opel reflète les hésitations de son conseil d’administration. En avril-mai, la situation précaire de GM l’incitait à se défaire d’un certain nombre d’actifs, dont Opel. Quelques mois plus tard, la situation s’est redressée du fait du soutien du Trésor américain et d’un début de reprise des ventes, qui rend moins urgente une solution de cession de GM. Fritz Henderson, CEO de GM depuis mars 2009, voit d’un mauvais œil les liens entre Magna et Sberbank : la concurrence russe pourrait s’approprier et exploiter pour son compte la technologie d’Opel ; d’autre part, GM a besoin d’Opel pour maintenir son influence sur le continent européen [14]. Finalement, le conseil d’administration semble mettre fin à ses atermoiements et décide, le 10 septembre, de céder 55% d’Opel au consortium Magna-Sberbank [15], avec la garantie de 4,5 milliards € du gouvernement allemand, tandis que Magna s’engage à investir 500 millions € dans Opel restructuré moyennant 10.500 pertes d’emplois [16]. Tout n’est cependant pas réglé car, comme nous le verrons, l’accord ne sera validé qu’avec l’approbation d’autres acteurs concernés.
Entretemps, d’autres candidats repreneurs se sont manifestés. Tout d’abord, le holding RHJ International, qui est apparu vers la mi-mai. Il s’agit d’une société américaine basée à Bruxelles [17] qui se dit prête à investir dans la reprise d’Opel et dispose à cet effet de 400 millions €. En un premier temps, RHJ teste évasif quant à la participation à attribuer à GM, mais demande 5 milliards de garanties d’Etat et envisage de supprimer 10.000 emplois, tout en restant muet par rapport à Anvers. Si GM peut apprécier la localisation en Asie (notamment au Japon) des activités automobiles détenues par RHJ et le fait qu’il ne soit pas un concurrent, le manque d’expérience industrielle, l’absence de synergies et de perspectives quant au développement futur d’Opel jouent contre RHJ. Au fil des mois, RHJ va affiner sa proposition. Il propose 300 millions € sur fonds propres pour un peu plus de 50% d’Opel, demande 3,2 milliards € de soutien public (avec promesse de remboursement en 2013) et promet à GM une option de rachat en 2014. Tout en envisageant toujours 10.000 pertes d’emplois, y compris en Allemagne, RHJ assure que les sites allemands seront sauvegardés. La direction de GM n’écarte pas d’emblée l’offre de RHJ, alors que le gouvernement allemand soutient celle de Magna-Sberbank. Finalement cette offre ne sera pas retenue, pas plus que celle du cinquième constructeur chinois BAIC (Beijing Automotive Industry Corp.) qui a introduit sa candidature fin mai : il proposerait 600 millions € pour la reprise d’Opel, demanderait moins de garanties d’Etat et maintiendrait les sites et les emplois en Allemagne pendant 2 ans, sans rien préciser par rapport aux autres sites. Début juillet, BAIC précise ses intentions : importer et commercialiser, en un premier temps, 500.000 Opel sur le marché chinois avant d’initier, dès 2012, une production locale soutenue par un investissement de 1,8 milliard €. La restructuration d’Opel impliquerait notamment 3.018 pertes d’emplois en Allemagne (Bochum et Rüsselsheim [18]), 1.300 à Figueruelas et 2.446 à Anvers (soit la fermeture du site), mais ni GM ni le gouvernement allemand n’ont donné suite.
b. Le gouvernement allemand et les Länder
Vu les racines allemandes d’Opel et l’importance de son marché, le gouvernement allemand est d’emblée apparu comme l’interlocuteur privilégié de GM dans la problématique de la cession et ce d’autant plus que les garanties de fonds publics requises pour assurer le sauvetage et la reprise d’Opel apparaissaient du ressort des autorités allemandes qui avaient d’ailleurs tout intérêt à assurer au maximum la pérennité des sites et le maintien des emplois nationaux à quelques mois des élections législatives du 21 septembre 2009. Même s’il a accepté l’accord de principe conclu le 29 mai entre GM et Magna, le premier souci du gouvernement d’A.Merkel est de consolider la situation précaire d’Opel. A cet effet, il va s’orienter dans deux directions. D’une part, à court terme, il propose un crédit-pont de 1,5 milliard € logé dans une société fiduciaire (la Treuhand) qui détiendra 65% de GM Europe contre 35% à GM et sera chargée de transférer Opel à Magna en cas d’accord définitif. Le conseil d’administration de la Treuhand est paritaire : y siègent 2 représentants allemands (un du gouvernement fédéral et un des Länder concernés) et 2 représentants de GM. S’y ajoute un président (le président de la Chambre américaine de commerce en Allemagne) sans droit de vote, dont la mission consiste à obtenir un consensus car, si Magna a les faveurs du gouvernement fédéral, des Länder et des syndicats, la direction de GM n’est pas insensible à la proposition de RHJ. Même si la Treuhand a, par la suite, entériné l’accord GM-Magna du 10 septembre, celui-ci reste provisoire, sa finalisation dépendant de l’attitude des syndicats mais aussi de la Commission Européenne. D’autre part, la pression va être mise sur les candidats repreneurs pour qu’ils garantissent un nouveau départ à Opel via une structure de capital viable et accroissent leur prise de risque en engageant davantage de capitaux sur fonds propres. Vers la mi-août, le gouvernement fédéral et les Länder concernés annoncent la mise à disposition de Magna de 4,5 milliards € d’aides publiques, à condition que Magna apporte au moins 450 millions € sur fonds propres, limite au maximum les pertes d’emplois en Allemagne et n’y ferme aucun site.
Toutefois, un mois plus tard, le gouvernement d’A.Merkel se voit contraint d’ouvrir la discussion à propos des aides publiques aux autres pays concernés, notamment la Grande Bretagne, l’Espagne et la Belgique (gouvernements fédéral et flamand) suite aux critiques émises par ceux-ci [19] et à leur insistance pour voir intervenir la Commission Européenne. Berlin voudrait dès lors voir participer ces autres pays au montant de 4,5 milliards € de garanties publiques et informe, à la mi-octobre, la Commission Européenne que ces aides ne dépendent pas de l’identité du repreneur d’Opel. L’enjeu politique est clair : maintenant qu’elle a gagné les élections, A.Merkel peut se permettre d’assouplir ses positions. Elle n’est toutefois pas à l’abri des critiques de l’aile FDP du gouvernement pour qui une restructuration d’Opel par GM serait moins onéreuse (elle est estimée à l’époque à 3 milliards €) que le montant des aides publiques promises. Passant outre, Berlin attend toujours la finalisation de l’accord entre GM et Magna-Sberbank. Sa politique protectionniste contraste toutefois avec les options défendues par les organisations syndicales, y compris IG Metall, même si celles-ci marquent également une préférence pour Magna-Sberbank.
c. Les organisations syndicales
Dès le mois de mai les organisations syndicales représentées au Comité d’entreprise européen (CEE) d’Opel ont rencontré les candidats repreneurs et exprimé leur préférence pour l’offre de Magna-Sberbank [20], même si, selon les syndicalistes canadiens, Magna n’est pas particulièrement ouvert aux organisations syndicales. D’emblée, Kl. Franz, président du CEE d’Opel, annonce la couleur : les syndicats s’opposeront à toute fermeture de site et il ne peut donc être question de fermer Anvers. Selon R. Kennes, vice-président du CEE d’Opel et délégué syndical CMB à Anvers, il s’agira de convaincre Magna des qualités d’Anvers pour lui obtenir des volumes de production de petits véhicules SUV (« sport utility vehicles »). En outre, les syndicats refusent le maintien du contrôle de GM sur Opel et exigent une participation du personnel au capital d’Opel. Par ailleurs, conscients que des pertes d’emplois sont inéluctables, les syndicats entendent les négocier en détail et se déclarent prêts à contribuer à l’assainissement d’Opel [21], mais dans le cadre d’un business plan durable. Au cours du mois de septembre, les syndicats d’Opel réitèrent leur opposition à toute fermeture et leur soutien à Anvers. Ils se rendent cependant compte que, dans la conjoncture présente, les actions de grève risqueraient d’aggraver la situation. Leur position est appuyée par P.Scherrer, secrétaire général de la Fédération Européenne des Métallurgistes (FEM) [22] selon qui, même à l’issue de la suppression des primes à la casse, les volumes de production seront suffisants pour maintenir tous les sites en activité. Pour appuyer leurs intentions, quelque 4.000 syndicalistes des différents sites d’Opel réaffirment, en une manifestation à Anvers, leur soutien au maintien de ce site.
Par ailleurs, un groupe de travail est créé avec des représentants de Magna pour analyser l’avenir d’Anvers. Différents scénarios sont envisagés pour substituer à la production d’Astra, qui prendra fin en mars 2010, soit une production minimale de 45.000 petites SUV, soit une ligne de production d’appoint pour l’Opel Combo. En toile de fond, les syndicats rappellent cependant les promesses de GM de mai 2007 d’attribuer notamment des productions de SUV à Anvers, promesses restées lettre morte jusqu’à présent.
Parallèlement, les syndicats allemands acceptent des économies annuelles de 175 millions € (un gel des salaires pendant 2 ans et la réduction de la prime de fin d’année et du pécule de vacances) et les syndicats anglais obtiennent la garantie de la survie d’Ellesmere Port et de Luton contre un gel des salaires pendant 2 ans et 600 pertes d’emplois. Par contre, les syndicats de Figueruelas organisent 4 jours de grève en octobre contre les projets de Magna, qui accepte de réduire de moitié (de 1.700 à 900) le nombre de pertes d’emplois prévu. Il résulte des diverses négociations entre Magna et les syndicats que ceux-ci obtiennent, le 3 novembre, 10% du capital d’Opel et un droit de veto sur les délocalisations contre une contribution de 265 millions € par an à la réduction des coûts, moyennant diverses concessions salariales. Ce faisant, les syndicats visent à éviter les licenciements secs et toute fermeture de sites. Ils précisent cependant que cet accord ne vaut qu’en cas de reprise d’Opel par Magna. Or, quelques heures plus tard, on apprend que le groupe GM a décidé de garder et de restructurer lui-même Opel…
d. La Commission Européenne
On a pu avoir l’impression que, dans la saga des candidats repreneurs d’Opel, la Commission Européenne est restée très longtemps dans une position d’observation. Ceci n’est que partiellement exact. Dès le 29 mai la réunion des ministres européens de l’économie concernés par le problème de la reprise d’Opel rappelait que le crédit-pont envisagé par l’Allemagne devait soutenir tous les sites et qu’une éventuelle fermeture devrait s’effectuer sur des bases économiques et non politiques. Le 15 juin le commissaire à l’industrie, G.Verheugen, estimait nécessaire de vérifier si l’accord de principe avec Magna permettait d’assurer le retour d’Opel à la compétitivité. Le 21 juillet la Commission rappelait que le plan de restructuration prévu devait se conformer aux règles européennes en matière d’aides publiques et la commissaire à la concurrence, N.Kroes soulignait que les aides publiques ne pouvaient être liées à des conditions de localisation des investissements et des mesures de restructuration. Il est vrai que, ce faisant, la Commission se bornait à rappeler à l’Allemagne l’obligation de respecter les règles européennes en matière d’aides publiques aux entreprises.
Ce n’est qu’à partir de la mi-septembre, suite aux insistances des gouvernements britannique et belge, que la Commission se décide à examiner de près le projet d’accord GM-Magna dès sa notification, en particulier la validité des conditions des aides publiques allemandes et à demander aux gouvernements concernés de lui transmettre leurs remarques. Finalement, à la mi-octobre, la Commission déclare avoir trouvé des « indices significatifs » de la non conformité des aides publiques promises par Berlin aux règles européennes de concurrence [23]. Le gouvernement allemand s’engagera dès lors à se conformer aux demandes de la Commission, mais la donne va évidemment changer suite au revirement de GM le 3 novembre.
e. Le gouvernement flamand
On ne pourra pas reprocher au gouvernement de K.Peeters, appuyé en cela par le gouvernement fédéral, de ne pas avoir fait le maximum pour tenter d’assurer le maintien du site d’Opel Anvers. En effet, c’est dès janvier 2009, au vu de la situation de plus en plus précaire du groupe GM et de la crise de surproduction dans l’industrie automobile européenne, que les pouvoirs publics flamands se sont mobilisés pour tenter d’assurer la survie du site d’Opel à Anvers. D’une part, ils ont multiplié les démarches [24] à la fois auprès de la direction de GM à Detroit (rencontre avec le CEO R. Wagoner), de GM Europe (contacts avec C-P. Forster), du gouvernement allemand et des Länder pour faire valoir les atouts d’Anvers. D’autre part, ils se sont engagés, dès la fin avril, à proposer au repreneur d’Opel une aide publique de 500 millions € (une garantie de 300 millions € et une aide supplémentaire de quelque 200 millions € grâce à un système de « sale and lease back » de terrains et de bâtiments du site d’Anvers).
En mai-juin, malgré de nouvelles démarches, notamment auprès de la Commission Européenne, les ministres flamands (K. Peeters, F. Vandenbroucke et P. Ceyssens, puis le trio Peeters-Lieten-Muyters après les élections du 7 juin) sont bien forcés d’admettre que leurs propositions ne font pas le poids face aux 4,5 milliards € d’aides publiques promises par l’Allemagne. Ils s’engagent néanmoins, en concertation avec les syndicats et la direction d’Anvers et avec l’appui d’Agoria Vlaanderen [25], dans des discussions avec Magna à la fois pour prouver la viabilité du site et pour explorer des pistes alternatives possibles pour lui assurer une production suffisante. Si les primes à la casse assurent momentanément la production d’Astra, il faudra lui substituer d’autres productions dès mars 2010. Ce pourrait être, provisoirement, une sous-traitance pour d’autres constructeurs (à l’instar de l’usine autrichienne de Magna à Graz), voire la concrétisation de la promesse - toujours non tenue - de GM Europe en 2007 (un ou deux modèles de petites SUV). Parallèlement à ce groupe de travail, plusieurs démarches sont encore initiées envers les commissaires européens Verheugen et Kroes pour qu’ils s’assurent que l’avenir des sites européens soit décidé sur base de critères économiques [26] et non à partir de considérations politiques sous-jacentes aux promesses du gouvernement allemand.
Les pouvoirs publics flamands ne sont que trop conscients des effets sur leur économie d’une éventuelle fermeture d’Opel Anvers. On estime en effet qu’outre la perte directe de 2.600 emplois, plus de 5.000 emplois seraient perdus chez les quelque 60 sous-traitants [27] obligés de restructurer fortement, même si Opel Anvers n’est pas leur seul client. Le gouvernement flamand entend, par ailleurs, les arguments des syndicats d’Opel Anvers : l’entreprise est financièrement saine, ses coûts sont parmi les plus faibles par auto produite (à noter que les coûts salariaux n’interviennent que pour 6% des coûts totaux), sa productivité et sa flexibilité sont parmi les plus élevées. A la mi-octobre, direction et syndicats d’Opel Anvers s’entendent pour atteindre une économie de 20,2 millions .€ par an sur les coûts de personnel entre 2010 et 2014 dans le cadre du plan global d’économies de 265 millions € annuels pour Opel Europe.
Cela étant, le gouvernement flamand doit bien reconnaître que le montant de sa proposition ne pèse pas lourd face aux aides publiques allemandes et que, même par rapport à la Grande Bretagne et l’Espagne, il ne peut que peser marginalement sur les options à prendre par Magna. Par ailleurs, des voix s’élèvent en Flandre pour estimer que mieux vaudrait affecter ces 500 millions € à des productions innovantes et d’avenir plutôt que de vouloir à tout prix maintenir une industrie dont l’avenir reste bien incertain [28]. Toutefois, là aussi, dès le revirement opéré par la direction de GM le 3 novembre, la situation est modifiée, et pas particulièrement en faveur d’Anvers.
2. LE REVIREMENT DE GM : GARDER ET RESTRUCTURER OPEL
Après bien des tergiversations, le conseil d’administration du groupe GM décide finalement le 3 novembre de conserver Opel en son sein et de s’atteler à sa restructuration en vue de lui assurer un avenir solide. Donc adieu à Magna et remise à zéro des toutes les négociations menées jusqu’à ce jour par Magna avec les différents acteurs.
Les premiers effets du revirement
Le revirement du conseil d’administration du groupe GM, décidant le 3 novembre de garder Opel et de procéder seul à sa restructuration a surpris les acteurs concernés et déclenché, en Europe, de nombreuses réactions. Les gouvernements allemand et russe acceptent très mal cette volte-face [29], Magna s’incline tout en envisageant de demander des dédommagements, la Commission européenne prend acte tout en se promettant de suivre de près toute demande d’aides publiques. Les syndicats sont indignés car le revirement de GM risque d’annuler tous les accords négociés avec Magna ; dans ce cas, plus question de l’effort annuel de 265 millions € consenti par les syndicats. Dès le 5 novembre, IG Metall manifeste à Rüsselsheim contre une décision qui lui fait craindre un nombre accru de pertes d’emplois en Allemagne. Le 6 novembre les travailleurs d’Opel Anvers observent un arrêt de travail pour s’informer des conséquences potentiellement néfastes de cette décision pour leur site [30]. Par ailleurs, dès le 5 novembre le gouvernement flamand reprend, à l’intention de GM les résultats des discussions avec Magna. Trois scénarios sont envisagés : la production, d’ici 2012, à Anvers d’une petite SUV (45.000 véhicules par an) sur base de la promesse de GM de 2007-2008 ; l’installation à Anvers d’une ligne de production d’appoint pour le modèle Opel Combo, monté jusqu’ici exclusivement en Espagne ; le montage d’une petite citadine en remplacement de l’Opel Agila. Pour adapter le site, l’offre de 500 millions € reste toujours valable.
A y regarder de plus près, plusieurs raisons peuvent expliquer la décision de la direction de GM. D’une part, le soutien massif du gouvernement US a permis à GM d’améliorer substantiellement sa situation financière. D’autre part, le début de reprise sur le marché américain et la progression des ventes à l’étranger ont amené GM à réaliser entre début juillet et fin septembre un chiffre d’affaires de 28 milliards $ et à limiter ses pertes à 1,15 milliard $. Dès lors GM envisage de commencer à rembourser progressivement, dès décembre 2009, 6,7 milliards $ au Trésor américain et 1,4 milliard $ au Canada. Etant donné l’amélioration de la conjoncture, la cession d’Opel n’était plus vraiment une priorité, d’autant moins que le conseil d’administration de GM n’a jamais manifesté une préférence significative envers l’offre Magna-Sberbank, acceptée avec réticence et faute de mieux. Ayant retrouvé quelques couleurs, GM a considéré qu’une présence, via Opel, sur le marché européen devait continuer à faire partie de sa stratégie internationale ; à cet égard, GM se faisait fort de pouvoir disposer d’une partie des fonds provisoirement bloqués par le Trésor US . Corollairement, le risque de voir la technologie Opel tomber aux mains d’un constructeur russe était écarté.
Il reste qu’Opel doit faire face, sur un marché européen saturé où existe une surcapacité de production certaine, à une concurrence très vive et que le montant de 3,3 milliards € avancé par F. Henderson pour restructurer et rendre viable Opel/Vauxhall est jugé insuffisant par de nombreux analystes, d‘autant qu’il n’est pas acquis qu’il pourra jouir d’aides publiques substantielles de la part des gouvernements européens. En outre, en se privant de l’offre Magna-Sberbank, GM ne peut plus compter sur un accès direct d’Opel au marché russe. GM a toutefois en partie résolu ce dernier problème en portant à 70% sa participation dans le constructeur sud-coréen Daewoo qui exporte, avec succès, des modèles et des composants Chevrolet, principalement vers ce même marché russe.
Par ailleurs, cette décision a également des conséquences au niveau de la direction de GM. C-P. Forster, favorable à Magna, quitte le 6 novembre la direction de GM Europe. Il est remplacé par le gallois Nick Reilly, responsable de GM International, un spécialiste des restructurations, notamment chez Daewoo. Le 1er décembre, Fr. Henderson, CEO de GM, démissionne ; il est remplacé provisoirement par Ed Whitacre, président du conseil d’administration de GM. On peut voir dans cette démission la main de l’administration américaine reprochant à Henderson à la fois l’échec des ventes de Saab et de Saturn et surtout le peu de progrès enregistré dans l’adaptation des modèles de GM aux besoins du moment, à savoir des véhicules plus petits et moins énergivores. Ajoutons à cela que Henderson s’opposait à Whitacre sur plusieurs points : il était notamment favorable à une réintroduction rapide en Bourse, alors que Whitacre privilégiait le retour à la rentabilité et le remboursement des dettes.
Une ébauche de plan de restructuration
Le nouveau patron de GM Europe cherche d’emblée à arrondir les angles avec le gouvernement allemand. GM commence ainsi à rembourser le crédit-pont de 1,5 milliard € et, même s’il prévoit des pertes d’emplois en Allemagne, ni Bochum ni Kaiserslautern ne seront fermés. A cela s’ajoute le transfert du siège européen de GM de Zürich vers Rüsselsheim. Reilly promet en outre aux syndicats une plus grande indépendance d’Opel, dorénavant rattaché directement à GM International. Cela n’empêche pas les acteurs concernés d’attendre de Reilly un plan de restructuration crédible, susceptible d’assurer un réel avenir à Opel sur des bases purement économiques. Là, Reilly joue les prolongations en postposant le profil définitif de son plan à la fin janvier 2010.
On connaît cependant les grandes lignes du plan de restructuration d’Opel. Reilly prévoit la réduction de 20% des capacités de production et une perte de 8.313 emplois (dont quelque 5.000 en Allemagne et 354 à Luton), tout en restant évasif par rapport à d’éventuelles fermetures, et veut maintenir les économies annuelles de 265 millions €. Le coût global de la restructuration est évalué à 3,3 milliards € [31] dont 600 millions à charge de GM, le solde devant provenir des aides publiques à octroyer par les gouvernements concernés. Des discussions seront menées avec les syndicats dans des groupes de travail. La question des aides publiques a retenu l’attention de la Commission européenne. Le commissaire G. Verheugen obtient, le 23 novembre, des ministres de l’économie des pays concernés un accord pour élaborer une réponse commune à GM. Hors Allemagne, les autres pays disposeraient de 1,5 milliard € d’aides possibles (dont 500 millions € du gouvernement flamand). La Commission s’adjuge un droit de regard sur le futur plan de restructuration en fonction de sa viabilité économique à long terme avant toute décision d’octroi d’aides publiques . Pour sa part, le ministre allemand de l’économie, R. Brüderle, estime que les aides publiques dépendront de la capacité du plan de N. Reilly d’assurer une viabilité durable à Opel [32]. Quant aux syndicats, ils réitèrent leur opposition à toute fermeture et estiment qu’avant de pouvoir recourir aux aides publiques GM doit utiliser toutes les opportunités d’économies internes. Il ne sera en outre pas question d’efforts du personnel en cas de fermeture et tant que GM n’aura pas proposé d’investissements dans de nouveaux modèles. Les syndicats attendent donc de la part de GM un plan précis qui réponde à leurs exigences.
Le gouvernement flamand et les syndicats
Malgré plusieurs rencontres avec N. Reilly , gouvernement flamand et syndicats n’ont obtenu aucune assurance quant à l’avenir du site d’Anvers. Tout en affirmant reconnaître les qualités d’Anvers, Reilly ne garantit en rien la production de deux modèles de petits SUV à laquelle GM s’était engagé en 2007 envers G.Verhofstadt. Le 16 décembre, N. Reilly estime que la production d’un petit modèle SUV par Daewoo serait une option raisonnable, sans écarter toutefois la possibilité de production d’un modèle mini à Anvers. Il refuse néanmoins de se prononcer définitivement avant fin janvier 2010 sur le sort d’Anvers. Face à cette attitude dilatoire, le gouvernement flamand réaffirme sa proposition d’une aide de 500 millions € liée au maintien du site d’Anvers qui dépend notamment de la promesse de GM (réitérée en avril 2008 par C-P. Forster) d’octroyer à Anvers, dès 2012 au plus tard, la production de deux modèles SUV. K. Peeters reconnaît cependant l’insertion, dans cette promesse, d’une clause selon laquelle GM ne devrait pas honorer sa promesse en cas de conjoncture économique dégradée, ce qui est le cas actuellement. Il ajoute cependant qu’il n’y aurait dès lors pas lieu non plus de délocaliser cette production en Corée du Sud. Parallèlement, le groupe de travail concernant l’avenir d’Anvers débouche, fin décembre, sur les propositions suivantes avalisées par les syndicats [33] : une production de 80.000 à 100.000 véhicules par an générant un cash flow cumulé de 570 millions € d’ici 2015. Cette production pourrait être obtenue par trois canaux : le maintien transitoire d’une production de l’ancienne Astra à destination des marchés du Moyen Orient ; le prolongement de l’Astra Cabrio à raison de 15.000 véhicules par an jusqu’en 2015 ; l’obtention de la production dès 2012 soit d’un petit modèle SUV, soit d’un modèle mini.
En attendant, la production a été arrêtée à Anvers entre le 23 novembre et le 7 décembre ; elle a repris pendant 4 jours avant un nouvel arrêt d’un mois. Elle vient de reprendre le 11 janvier 2010. Les travailleurs attendent, dans une tension certaine, le décision de N. Reilly qui pourrait, fin janvier, sceller leur sort, tout en espérant que les négociations avec les syndicats européens concernés puissent déboucher sur une solution qui leur soit favorable. A l’heure actuelle toutefois, rien n’est encore acquis.
Quel avenir pour Opel Anvers ?
Il est extrêmement difficile, à la mi-janvier 2010, d’émettre un quelconque pronostic quant à l’avenir du site Opel d’Anvers, en l’absence de toute nouvelle concernant les décisions définitives du patron de GM Europe, N. Reilly, quant à la restructuration d’Opel. On connaît la qualité et la flexibilité de la production d’Anvers, ainsi que la compétence de ses travailleurs. Une première question est cependant de savoir ce que représente, dans l’esprit de N. Reilly, une usine n’employant que 5% du total des salariés d’Opel/Vauxhall et oeuvrant sur un marché national très restreint. Dès lors qu’il affirme son intention de supprimer plus de 8.000 emplois et de réduire la capacité de production globale d’Opel de 20%, cela pourrait-il se réaliser sans fermeture de site ? La réponse de Reilly est probablement « non », mais il doit se rendre compte qu’il n’a pas les coudées franches pour restructurer comme il le voudrait sans doute. D’une part, il se heurte à la volonté clairement affichée des syndicats d’Opel de n’accepter aucune fermeture. Va-t-il essayer de passer outre, au risque de s’exposer à un conflit social majeur, néfaste pour son plan de restructuration ? D’autre part, les modalités de financement de la restructuration pourraient oser problème. Jusqu’à présent on sait que GM est demandeur d’aides publiques de quelque 2,7 milliards € sur un total, selon GM , de 3,3 milliards €, montant que plus d’un analyste jugé sous-estimé. Or la Commission européenne n’est pas prête à accepter n’importe quel plan de restructuration avant d’accorder son feu vert à des aides publiques (ne pourrait-elle pas en plafonner le montant global ?) émanant des Etats concernés. Enfin, le nouveau ministre allemand de l’économie, R. Brüderle n’est manifestement pas prêt à délier les cordons de la bourse sans de solides garanties quant à l’emploi d’Opel en Allemagne. Pour parer à tout risque de cavalier seul en la matière, la Commission a obtenu que les différents Etats négocient d’un commun accord les aides éventuelles à GM ; reste à voir si cet accord sera respecté. Il résulte de tout ceci que le sauvetage d’Opel s’apparente à une course d’obstacles qui prendra certainement du temps avant de voir le bout du tunnel.
Pour ce qui est d’Opel Anvers, les alternatives présentées par le gouvernement flamand, appuyé par les syndicats et le management local, peuvent tenir la route à condition que GM ne renie pas ses promesses de 2007. En outre, via Flanders’ Drive, des projets de véhicules hybrides et électriques sont en voie d’élaboration, offrant à terme un réel potentiel de production. Or à ce niveau-là rien n’est encore gagné. Remarquons aussi que, jusqu’à présent, les syndicats d’Anvers ont adopté une attitude ferme, sans recourir à des grèves qui n’auraient eu pour conséquence que de les enfoncer davantage. Il s’agira de voir si, en cas de fermeture, leur attitude sera fermement soutenue par les syndicats des autres sites, sachant notamment que la concurrence entre Bochum et Anvers reste forte. Ce qui est certain c’est que, si la direction de GM décidait, envers et contre tout, de fermer Anvers, il s‘agirait d’un coup très dur porté à l’économie flamande. En effet, outre les 2.600 pertes d’emplois directes, on compterait quelque 5.000 à 6.000 emplis indirects supprimés chez les sous-traitants. Rien n’est toutefois joué pour le moment, même si l’on peut se douter que, pour tous les travailleurs et travailleuses d’Anvers, l’épreuve est extrêmement pénible et l’avenir toujours aussi incertain.
3. La fermeture d’Opel Anvers [34]
Ce que l’on craignait depuis pas mal de temps s’est donc finalement produit. Après avoir tenté, le 18 janvier, par une lettre au personnel d’Opel, de lui insuffler une mentalité de gagnants, N.Reilly a annoncé le 21 janvier son intention de fermer Opel Anvers [35]. Il initie ainsi la procédure Renault qui devrait, selon lui, aboutir à la fermeture de l’usine fin juin. Pas trop courageux, Reilly, flanqué de son bras droit l’allemand R.Hoben, a fait cette annonce lors d’une conférence de presse au Sheraton Airport à Zaventem. Il a laissé au directeur d’Anvers, Leo Wiels, le soin de communiquer son « intention » au conseil d’entreprise extraordinaire convoqué à cet effet. A lire le communiqué de L.Wiels au personnel de l’usine, on sent nettement combien cette décision lui reste en travers de la gorge : il témoigne en quelque sorte ses condoléances à un personnel pour le maintien de l’emploi duquel il n’a pas hésité à s’engager. La choses est trop rare pour ne pas être soulignée.
Que Reilly ait l’ « intention » de fermer Opel Avers ne leurre personne : la décision est prise et il ne semble pas du tout prêt à faire marche arrière. C’est ainsi que ses justifications balaient toutes les alternatives proposées. Selon lui, la fermeture est liée à la crise de l’automobile :il y a des surcapacités chez Opel qu’il faut réduire de 20% ( soit de quelque 350.00 véhicules par an), ce qui correspond « très logiquement » (et sans doute par hasard…) à la capacité d’Anvers. Les modèles produits à Anvers le sont aussi sur d’autres sites et une éventuelle flexibilité comme usine « bouche-trou » en cas de pics de production n’a plus de sens puisqu’il y a plus qu’assez de capacités ailleurs. En outre, une fonction de sous-traitant n’aurait pas non plus d’intérêt. Exit aussi la production de SUV à Anvers, promise en 2007, car Opel a dû revoir ses plans à la baisse et cette production sera transférée à moindres frais chez Daewoo en Corée du Sud. La même chose vaut d’ailleurs pour les projets de production de petits modèles que peuvent assumer les autres sites étant donné leurs surcapacités. Last but nos least, à partir de juin les modèles produits à Anvers seront repris par Bochum moyennant 17 millions € d’investissements.
Même si l’on pouvait s’y attendre, la sécheresse de l’annonce de Reilly passe très mal chez le personnel d’Anvers, chez K.Peeters et chez les syndicats des autres sites européens. Pour Anvers, R.Kennes, estimant qu’Opel mange sa parole, a décidé de l’attaquer en justice pour non respect de la promesse de 2007. Par ailleurs, R.Kennes attend beaucoup de la solidarité syndicale européenne et de l’attitude de la Commission par rapport aux aides publiques réclamées par GM pour Opel. On pet également mettre en évidence qu’Opel préparait de longue date la fermeture d’Anvers. Une dégradation continue de l’emploi (de 7.600 travailleurs en 2000 à 2.600), le transfert de modèles, la non attribution du nouveau modèle Astra, l’absence de modernisation de l’usine étaient autant de signes prémonitoires [36]. K.Peeters s’est d’emblée démené pour contrer la décision de Reilly, à qui il a fait connaître son opposition. Il a en outre multiplié les réunions avec les syndicats et obtenu de J.M.Barroso que la Commission Européenne suive attentivement l’évolution de la situation. A ce jour cependant, ni Peeters ni Barroso n’ont reçu de notification du « business plan » que Reilly prétend avoir établi. Par ailleurs, au Parlement flamand, K.Peeters a réfuté les objections de l’opposition lui reprochant de n’avoir pas prévu de plan B de reconversion du site d’Anvers. Il a répété qu’il fallait d’abord lutter pour le maintien d’Anvers et utiliser à cet effet le délai ouvert par la procédure Renault pour présenter à Opel des propositions alternatives pour le maintien de l’usine, ce qui ne convainc pas tous les spécialistes du secteur qui posent plutôt la question de l’aggiornamento de l’industrie flamande. Enfin, au plan syndical, les positions sont claires et des représentants syndicaux des différents sites sont venus le dire à Anvers. K.Franz et IG Metall, mais aussi P.Scherrer, secrétaire de la fédération européenne des métallurgistes, affirment que N.Reilly n’obtiendra pas l’effort de 265 millions € d’économies annuelles promis tant qu’il ne sera pas revenu sur sa décision de fermer Anvers Au besoin, les syndicats recourront à la grève.
Sous quels auspices s’engage l’épreuve de force ? D’une part il ressort d’un mémorandum relatif à Opel Anvers envoyé par Reilly aux représentants syndicaux [37] qu’il ne voit aucune alternative et que l’aide de 500 millions € du gouvernement flamand y est jugée hors de propos. D’autre part, lors du conseil d’entreprise européen ce 1er février à Wiesbaden, Reilly a réaffirmé nettement son intention de fermer Anvers, n’ouvrant quasiment pas le dialogue avec les syndicats qui lui ont par ailleurs soumis une série de questions relatives à l’avenir d’Opel Europe, auxquelles ils attendent une réponse écrite. Plus inquiétant encore : il semblerait qu’Opel voudrait ajouter 2.000 suppressions d’emplois aux 8.300 prévus, notamment dans les services vente et après-vente, sans que l’on sache leur localisation. Par ailleurs, Reilly maintient toujours son exigence de 265 millions € d’économies annuelles prévues. Ce qui a pour effet d’irriter d’autant plus les syndicats et de renforcer leur cohésion.
Le plus inacceptable dans la politique d’Opel téléguidée par GM, c’est la volonté d’assurer la survie d’Opel en n’y injectant que 600 millions € de fonds propres et en revendiquant, pour les 2,7 milliards € supplémentaires requis, des aides publiques destinées notamment à financer la fermeture d’Anvers. Le dossier reste donc - au-delà des considérations économiques - un dossier politique, l’Allemagne étant tentée d’accorder des aides dès lors qu’aucun de ses sites ne sera fermé. Le rôle de la Commission peut donc s’avérer crucial, mais on se trouve entre l’enclume et le marteau : le refus des aides publiques ne risque-t-il pas d’entraîner la faillite d’Opel ? De même, la stratégie syndicale évolue sur le fil du rasoir : jusqu’où aller dans le refus de la fermeture d’Anvers au risque de faire capoter l’ensemble du plan de restructuration de GM pour Opel ? Les syndicats iront-ils au-delà des paroles pour riposter par des actions susceptibles d’ouvrir une brèche dans la décision de Reilly et de GM ? En cas d’échec du plan Reilly, la balle serait sans doute renvoyée aux Etat concernés. Mais quel prix seraient-ils prêts à payer pour obtenir l’autonomie d’Opel et financer son redressement en rachetant le constructeur à GM, et quelles en seraient les conséquences sociales ?