Le présent article a été rédigé en deux étapes, correspondant à des conjonctures socio-économiques et politiques qui ont évolué dans le temps. La première partie reprend la conflictualité telle qu’elle s’est développée entre début septembre et début novembre 2011. La seconde partie insiste essentiellement sur les différentes initiatives syndicales (manifestations, grève générale) - et les réactions patronales et gouvernementales - qui ont constitué l’actualité sociale entre la concentration syndicale du 15 novembre 2011 au Heysel et la grève générale du 30 janvier 2012, c’est-à-dire avant et après la constitution du gouvernement Di Rupo, et notamment en réaction aux différentes mesures budgétaires mises en œuvre ou envisagées par ce gouvernement.
- Un automne social chaud
- Des divergences profondes (...)
- Une recrudescence des conflits
- Des mesures socio-économiques
- Novembre 2011 – février (...)
- La concentration syndicale du
- La manifestation nationale du
- La grève générale des services
- Une situation socio-économique
- La grève générale du 30 janvier
- La concertation en février (...)
- Droit de grève et indexation
- Le contrôle budgétaire
Un automne social chaud
Il est un fait que le contexte politique et socio-économique de cet automne est tout sauf favorable à une reprise sereine de la concertation entre interlocuteurs sociaux ou à des relations sociales pacifiées au sein des entreprises. C’est que, d’une part les discussions budgétaires entre partenaires de la future coalition gouvernementale ne progressent que péniblement au vu des exigences des uns et des autres (et notamment du MR et de l’Open VLD). D’autre part, les soubresauts affectant la zone Euro, son système financier et ses banques renforcent la nécessité pour les Etats, dont le nôtre, de mener à court terme des politiques, qualifiées de rigueur ou d’austérité. Une nouvelle récession se profile et il est donc urgent de prendre des mesures : dirigeants patronaux et syndicaux le répètent à l’envi, peaufinant leurs objectifs propres qui, on ne s’en étonnera pas, sont tout sauf convergents. Au plan microéconomique et microsocial de l’entreprise, on note une certaine recrudescence des conflits sociaux, un durcissement patronal dans certains cas et des restructurations qui, cette fois, affectent davantage la Wallonie que la Flandre.
Des divergences profondes entre interlocuteurs sociaux
L’échec de l’Accord interprofessionnel 2011-2012 [1], suite à son rejet par la FGTB et la CGSLB [2], a jeté un froid au sein du front commun syndical mais aussi miné la confiance entre interlocuteurs sociaux. Le gouvernement en affaires courantes en a promulgué les dispositions par la loi du 12 avril 2011. Si représentants patronaux et syndicaux se sont retrouvés à la mi-septembre au sein du Groupe des dix, c’était plutôt pour lister leurs divergences sur plusieurs thématiques socio-économiques qui les taraudent depuis des mois. Les uns et les autres souhaitent évidemment que leurs préoccupations soient prises en compte dans les prochaines options gouvernementales. On peut résumer les questions controversées en cinq grands thèmes : les fins de carrière [3] (prépensions, pensions, évaluation du Pacte de solidarité entre les générations), l’indexation des salaires, la Sécurité sociale (plus particulièrement les allocations de chômage et les soins de santé), l’harmonisation des statuts ouvrier-employé et la fonction publique. Le tout est mis en perspective des mesures d’austérité attendues de la part du futur gouvernement fédéral.
Sur ces différents points, les positions des organisations syndicales se rejoignent globalement, comme en témoigne la récente plate-forme commune FGTB-CSC [4], chaque organisation mettant néanmoins davantage l’accent sur l’un ou l’autre point [5]. En introduction, le front commun refuse toute politique d’austérité pénalisant une fois de plus travailleurs et allocataires sociaux, victimes d’une crise qu’ils n’ont pas provoquée. Les revendications syndicales sont sans ambiguïté. Outre une relance économique réclamée au niveau européen pour générer des emplois de qualité, c’est d’abord le maintien de l’indexation automatique des salaires [6] et allocations sociales pour tous qui est revendiqué. Ceci afin de protéger (du moins en partie) le pouvoir d’achat et de maintenir ainsi la consommation des ménages ; s’il y a risque d’inflation, c’est dû aux hausses des prix de l’énergie (qu’il y aurait lieu de contrôler strictement) et de l’alimentation. CSC et FGTB revendiquent le maintien du système des prépensions [7] (moins coûteux que les allocations de chômage) et la responsabilisation des employeurs licenciant des travailleurs âgés, ainsi que le maintien du crédit-temps permettant notamment d’alléger les fins de carrière. Autre exigence : le maintien du système actuel des allocations de chômage sans limitation dans le temps. En outre, les syndicats veulent obliger les employeurs à donner accès à un emploi aux jeunes, aux non-européens, aux femmes, aux travailleurs peu qualifiés disponibles sur le marché du travail. Par ailleurs, pas question de coupes aveugles dans la fonction publique, ni de nouvelles privatisations. Il faut au contraire développer un service public efficace et de qualité. Suivent également des revendications en matière financière (régulation du secteur, levée du secret bancaire) et fiscale (e.a. la suppression des intérêts notionnels et une taxe sur les transactions financières). Même si CSC et FGTB ne le mentionnent pas, elles souhaitent vivement un statut unifié pour ouvriers et employés pour le 8 juillet 2013 au plus tard, en fonction de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 juillet 2011. Il s’agit toutefois d’une harmonisation vers le haut [8]. Enfin, en vue de marquer son opposition à toute politique d’austérité qui en viendrait à réduire le pouvoir d’achat des travailleurs et des allocataires sociaux, le front commun a prévu une concentration de ses militants le 15 novembre au Heysel. Si les mesures gouvernementales penchaient dans ce sens, on laisse entendre, surtout à la FGTB, que la perspective d’une grève générale n’est pas à exclure.
Côté patronal, le son de cloche est sans surprise fort différent. La FEB estime qu’il y a lieu, d’une manière ou d’une autre, de réformer le système d’indexation automatique des salaires, en se basant notamment sur des données de l’OCDE et du CCE selon lesquelles, sur la période 2011-2012, on devait s’attendre à une hausse de 7% des salaires belges contre 5,4% dans les pays voisins : il faut donc accentuer la modération salariale, à la fois pour éviter l’inflation (selon la spirale hausse des salaires – hausse des prix) et maintenir la compétitivité des entreprises. Le FEB se sent en outre confortée par les déclarations de l’Union Européenne (UE) et d’A.Merkel, et par les signaux émis par les marchés financiers, le FMI et les agences de notation visant notre système d’indexation. Pour ce qui est des fins de carrière [9], la FEB plaide pour la suppression progressive des prépensions avant 60 ans, pour le relèvement à 62 ans de la pension anticipée et pour le recul à 67 ans de l’âge d’accès à la pension, ainsi que pour une restriction de l’accès au crédit-temps pour les travailleurs âgés. Il faut donc un Pacte des générations bis pour mettre en œuvre ces propositions afin de réduire le coût de ces mesures pour la collectivité, d’accroître le taux d’emplois des plus de 55 ans et donc de mieux financer ainsi les pensions. Il faudrait par ailleurs davantage activer les chômeurs, accentuer la dégressivité des allocations de chômage et en limiter l’octroi dans le temps [10]. En ce qui concerne les mesures d’austérité à adopter, la FEB met l’accent sur une réduction des dépenses publiques. Elle s’attaque notamment à la pléthore de fonctionnaires en préconisant le non remplacement partiel des départs et la suppression de structures superflues sources de problèmes administratifs accrus pour les entreprises. Elle estime également qu’il y a lieu de réduire le personnel de la SNCB en simplifiant ses structures, en sous-traitant des activités administratives et par le non remplacement partiel des départs. Par contre, la FEB s’oppose notamment à toute mesure fiscale venant grever l’impôt des sociétés, en particulier toute réduction des intérêts notionnels qui serait, selon elle, préjudiciable aux investissements étrangers et donc à la création d’emplois nouveaux. Elle refuse également toute hausse de taxation des plus-values boursières. Au final, si l’on veut respecter le programme de stabilité défini par l’UE, le futur gouvernement devra, pour l’essentiel, restreindre ses dépenses et promouvoir des mesures permettant d’allonger la durée du temps de travail sur la carrière et de renforcer la position concurrentielle des entreprises. Cela permettrait à la fois de créer des emplois et dès lors d’accroître le taux d’emploi dans le pays [11].
Par rapport à la première note Di Rupo, les interlocuteurs sociaux restent très mitigés, estimant qu’elle ne répond que fort peu à leurs attentes dont on a vu qu’elles sont pour le moins divergentes, voire opposées [12]. C’est ainsi que L.Cortebeeck, président de la CSC, a exprimé [13] sa frustration de ne pas voir les interlocuteurs sociaux associés au volet socio-économique des discussions pré-gouvernementales. Selon le dosage des mesures qu’ils adopteront, les négociateurs de la future coalition pourraient aussi bien susciter la colère du monde patronal qu’alimenter un mécontentement croissant des travailleurs et de leurs organisations syndicales : le climat social pourrait devenir orageux.
Il est dès lors intéressant d’examiner les positions prises par les acteurs syndicaux et patronaux par rapport à un ensemble de thématiques socio-économiques occupant l’avant-scène de cet automne. Par ailleurs, il vaut la peine d’analyser quelque peu le profil des tensions sociales développées ces derniers mois au niveau des entreprises privées mais aussi du secteur public et parapublic. Enfin, une brève évocation de l’effet des possibles mesures que pourrait prendre le futur gouvernement au plan socio-économique tiendra lieu de conclusion.
Une recrudescence des conflits sociaux
Le malaise social ne se limite pas, bien entendu, au niveau interprofessionnel. Il se reflète crûment au niveau des entreprises étant donné les signes annonciateurs d’une probable récession. C’est ainsi que le nombre de faillites a atteint 10.528 entreprises en 2011 [14], soit une hausse de 5,86% par rapport à 2010. Il s’agit surtout de sprl dans le commerce et l’horeca et de TPME dans la construction. Par ailleurs, le secteur de l’intérim stagne et l’on note, depuis septembre, une baisse sensible dans le secteur de la distribution, sans compter un recul de 0,4% des exportations au 2ème semestre 2011. Enfin, diverses estimations prévoient un recul du PIB pour la fin 2011 et le début de 2012.
Il n’est dès lors pas étonnant qu’on assiste, dans le secteur privé, depuis début septembre à plusieurs restructurations ou fermetures affectant davantage la Wallonie et Bruxelles que la Flandre. Pour septembre et octobre, on a dénombré, pour autant que je sache, quelque 6 annonces de fermeture [15] et 11 restructurations [16]. Dans la majorité des cas (à l’exception d’AM-Liège [17], d’Aperam, de SAPA et de Durobor) il n’y a pas eu recours à la grève et employeurs et délégations syndicales ont réussi à s’accorder sur des plans sociaux par prépensions, départs naturels ou volontaires, voire cellules de reconversion. La majorité des autres confits sociaux concernent des problèmes divers : la conclusion d’une CCT et des revendications salariales (e.a. chez GSK Biologicals - une première grève -, Kraft Foods, H&M Logistics, Mc Bride, INEOS), la défense de délégués syndicaux (Auto 5, Pauwels Sauzen), l’information économique (Hot Cuisine) ou les conditions de travail (les call centers à Bruxelles et Liège). En général, il s’agit de grèves affectant des entreprises des secteurs pharmaceutique ou chimique, verrier, des fabrications métalliques, de la sidérurgie ou de la logistique. Ce sont la plupart du temps des grèves assez brèves (sauf chez AM et H&M), n’excédant pas une semaine et qui ont pu donner lieu à la satisfaction, au moins partielle, des revendications syndicales. A l’exception d’AM et de GSK Biologicals, ces conflits sociaux ont surtout touché des PME et des entreprises moyennes, pas seulement dans les anciens bassins industriels, mais aussi dans le Hainaut Occidental et le Brabant wallon. Quelques conflits ont reflété un net durcissement patronal : recours unilatéral en référé aux tribunaux avec imposition d’astreintes ( chez Auto 5 et Mc Bride notamment) au mépris du « gentlemen’s agreement » de 2002, ordre de réquisition de grévistes chez INEOS à Feluy pour assurer la sécurité d’une usine classée Seveso [18]. La tension a été à un moment plus forte chez AM à Liège où six dirigeants ont été « séquestrés » durant 24 heures .
Dans le secteur public et parapublic on a également relevé divers conflits sociaux. Certains sont liés à des problèmes de conditions de travail et de manque de personnel, comme dans les prisons (à noter la grève de 20 jours des gardiens de la prison de Saint-Gilles et une grève à la prison de Verviers) ou dans certains CPAS (en Hainaut Occidental). Dans les TEC et à la STIB, c’est surtout l’insécurité qui a motivé des arrêts de travail suite à des agressions contre des bus ou des chauffeurs, à Charleroi et à Bruxelles. Par ailleurs, les restructurations prévues à la SNCB et ses fréquents dysfonctionnements (suppression de trains et autres rationalisations, retards endémiques etc.), sans mener jusqu’à présent à des actions de grève affectant directement les usagers, ont donné lieu à une manifestation de représentants des navetteurs et de syndicalistes de la SNCB. Des pertes d’emplois sont prévues dans les services administratifs et dans plusieurs ateliers de la SNCB et sa filiale SNCB Logistics est soumise à restructuration, d’où l’annonce d’une grève le 9 novembre dans les ateliers pour s’associer à une action de la fédération européenne des syndicats des transports.
La recrudescence des conflits reste néanmoins limitée pour le moment et, sauf dans le cas d’AM-Liège, elle n’a pas donné lieu à des manifestations de masse. C’est que, à une époque où le pouvoir d’achat est plutôt en berne, le recours à la grève devient moins évident, les loyers et emprunts divers à honorer et la hausse du coût de la vie peuvent constituer des freins à la mobilisation syndicale. La tension sociale reste néanmoins latente et les mesures de rigueur envisagées à l’occasion du futur budget, les milliards € accordés à Dexia, les bonus de grands dirigeants etc. pourraient agir comme catalyseurs d’un automne social chaud.
Des mesures socio-économiques qui pourraient fâcher
On le sait, le futur gouvernement devra présenter un budget 2012 incluant quelque 11,3 milliards d’euros d’économies afin d’éviter des évaluations négatives de la part de l’UE, des marchés financiers et des agences de notation qui pourraient être préjudiciables à la santé financière du pays. Jusqu’à présent, à défaut d’autres informations, la presse [19] a mentionné une série de mesures qui font débat entre les négociateurs : taxation des gros patrimoines, restriction des intérêts notionnels et refus de toucher aux petits et moyens revenus pour le PS ; réduction du nombre de fonctionnaires, dégressivité accrue des allocations de chômage, exonérations de charges pour le premier emploi dans les PME pour l’aile libérale, le CDH adoptant une position plus médiane. Selon que l’accent sera mis davantage sur l’accroissement des recettes ou sur la réduction des dépenses publiques, elles pourraient susciter l’indignation du monde patronal ou la colère des instances syndicales, motivée particulièrement par des mesures affectant les moins nantis de la société. Le ton des mobilisations syndicales sera probablement donné lors de la concentration en front commun le 15 novembre. On peut sans doute s’attendre à un climat social plutôt chaud dans les semaines et les mois à venir.
Novembre 2011 – février 2012 : manifestations et grèves
A la suite d’un début d’automne déjà socialement agité, l’opposition aux intentions des négociateurs gouvernementaux, puis aux décisions prises par le gouvernement Di Rupo en matière socio-économique, n’a pas faibli : une concentration de militants au Heysel le 15 novembre, une manifestation nationale à Bruxelles le 2 décembre, une manifestation à Liège le 7 décembre, une grève des services publics le 22 décembre et enfin une grève générale le 30 janvier 2012. Ces actions syndicales à répétition n’ont cependant pas été du goût de tout le monde. C’est ainsi que les partis de droite (Open VLD, MR, sans compter la N-VA) ont jugé grèves et manifestations inutiles et irresponsables, voire néfastes pour la santé économique (déjà précaire) du pays. Si le PS, le SP.A, le CD&V et le CDH disent comprendre ces grèves, il n’en reste pas moins que le gouvernement fédéral est déterminé - sous la pression des instances européennes et des agences de notation - à exécuter les décisions prises. FEB, Unizo, Voka, UWE ont évidemment clamé leur indignation face aux irresponsables « gréviculteurs » et remis une fois de plus sur la table cette maudite indexation des salaires, source du dépérissement de la sacro-sainte compétitivité de leurs entreprises.
En outre, les media, en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles, s’érigeant en porte-paroles supposé de leur lectorat, censé résigné et déjà satisfait d’avoir enfin un vrai gouvernement, n’ont pas hésité à discréditer ces mouvements sociaux, en particulier les grèves du 22 décembre et surtout du 30 janvier. Or il se fait que, malgré tout, ces manifestations du mécontentement syndical dû à la fois au caractère anti-social de certaines mesures (en matière de prépensions, de pensions et d’allocations de chômage notamment) et aux lacunes manifestes de la concertation sociale, ont amené le gouvernement fédéral à concéder au moins quelques « adaptations » et à promettre d’initier une réelle concertation avec les interlocuteurs sociaux. Par ailleurs, ces mouvements sociaux ont remis à l’ordre du jour, outre l’indexation des salaires, le droit de grève et ses limites supposées.
Je me propose d’analyser quelque peu ces différents mouvements sociaux pour en sonder les objectifs et les revendications que, côté patronal et gouvernemental, on aurait tort de prendre à la légère. En conclusion, je reviendrai sur les divergences opposant syndicats d’une part, patronat et droite politique de l’autre, à propos du droit de grève et de l’indexation des salaires.
La concentration syndicale du 15 novembre
Une concentration de quelque 6.000 militantes et militants des trois syndicats (CSC, FGTB et CGSLB) s’est tenue le 15 novembre au Heysel, en signe de mise en garde envers les négociateurs gouvernementaux et en préparation de la manifestation du 2 décembre. Les différents leaders syndicaux s’opposent aux tendances qu’ils observent dans le chef des négociateurs Open VLD et MR : des attaques contre les allocations de chômage, les prépensions et les pensions, le crédit-temps et l’indexation des salaires. Comme l’a souligné A. Demelenne, secrétaire générale de la FGTB : « (…) l’austérité n’est pas la solution mais le problème ! » [20] ; de même, Cl. Rolin, secrétaire général de la CSC, attaque les politiques d’austérité menées par différents gouvernements européens et cible notamment le « modèle allemand » qui appauvrit massivement les travailleurs. Les syndicats proposent une « Plate-forme commune » [21] qui comprend un ensemble de revendications : une politique de relance économique ; le maintien de l’indexation automatique des salaires et des allocations sociales et donc de l’emploi et du pouvoir d’achat ; le maintien du système de prépension, du crédit-temps et du système actuel des allocations de chômage ; l’obligation, pour le patronat, d’offrir à tous les travailleurs disponibles la possibilité d’un accès à l’emploi ; le renforcement des services publics ; une régulation efficace du secteur financier et la levée du secret bancaire ; une fiscalité socialement juste et la suppression de la déduction fiscale pour intérêts notionnels ; une taxe sur les transactions financières ; l’émission effective d’euro-obligations pour mettre fin à la spéculation financière et permettre aux Etats de relancer l’économie.
Les syndicalistes expliquent la lenteur de leur réaction à la note Di Rupo du 4 juillet (avec son volet budgétaire) par leur souci d’informer, de sensibiliser puis de mobiliser d’abord délégués et militants, et ensuite tous les affiliés. Ils prônent une stratégie de mobilisation graduelle qui devrait connaître un premier point d’orgue avec la manifestation nationale à Bruxelles le 2 décembre. Ils ont voulu, ce 15 novembre, lancer un premier avertissement aux négociateurs qui planchent sur le futur budget 2012, un avertissement qui s’adresse aussi indirectement au patronat.
La manifestation nationale du 2 décembre
Cette manifestation constitue un premier moment fort de la mobilisation syndicale, à l’approche duquel le patronat tente de raisonner les esprits. La FEB appelle le 27 novembre les syndicats à la responsabilité et donc à renoncer à la manifestation du 2 décembre. Plus explicitement, l’UNIZO rappelle que les négociateurs ont veillé à préserver le pouvoir d’achat des travailleurs et que, si les employeurs ont eux aussi des problèmes avec certaines mesures du budget proposé, ils réagissent en travaillant davantage, alors que les travailleurs vont manifester et faire grève. Dans la foulée, l’UNIZO ouvre un site web www.wijstakenniet.be ciblant la manifestation du 2 décembre et les grèves qui l’accompagneront. Cette prise de position sera appuyée par 49.608 internautes.
Ces mises en garde patronales n’y changeront rien : la manifestation rassemble quelque 70.000 travailleurs à Bruxelles et est accompagnée de mouvements de grève dans des grandes entreprises, la grande distribution et des grèves (avec préavis) dans les TEC en Wallonie, à la STIB et chez De Lijn. La manifestation a pour motifs principaux le fait que les alternatives syndicales, notamment en matière de relance économique, n’ont pas été entendues, que les négociateurs n’ont pas consulté les interlocuteurs sociaux et qu’une forte injustice sociale est ressentie par les travailleurs par rapport aux mesures de ce budget fédéral.
Avant de revenir sur les déclarations des leaders syndicaux à l’issue de la manifestation, il est utile de rappeler les mesures budgétaires qui suscitent l’opposition syndicale. Les principales mesures visées concernent en premier lieu le chômage : Le stage d’attente pour les jeunes devient un stage d’insertion professionnelle et passe à 12 mois (au lieu de 6 ou 9 mois). Les allocations d’insertion professionnelle ne seront attribuées que si la personne en attente démontre une démarche active pour décrocher un emploi confirmée par trois évaluations positives. Ces allocations, versées aux chômeurs ayant travaillé moins d’un an au cours des 18 derniers mois, seront limitées à 3 ans pour les cohabitants et les demandeurs d’emplois âgés de plus de 30 ans ; la même chose vaut (avec des montants différents) pour les chefs de ménage et les isolés à partir du 1er janvier 2012. Par ailleurs, même si les allocations de chômage passeront de 60% à 65% durant la première période dès 2013, la durée des périodes successives de paiement (en fonction des années de travail) sera raccourcie dès 2012 : après 1 an dans la deuxième période, les allocations diminueront progressivement jusqu’au forfait. Selon les calculs de la FGTB, ces mesures mèneront à l’exclusion du chômage, dès avril 2012, de quelque 24.000 chômeurs (dont 17.000 en Wallonie).
En ce qui concerne les prépensions, plusieurs mesures sont prévues en renforcement des dispositions du Pacte des générations : l’accès à la prépension conventionnelle est relevé à 60 ans (au lieu de 58) après une carrière de 40 ans (au lieu de 38), une mesure qui sera progressivement d’application dès 2012 dans les entreprises sans convention de prépension et en 2015 pour les autres ; en cas de restructuration dans les entreprises sans difficultés économiques, l’âge est relevé de 50 à 55 ans dès 2013, sauf en cas de licenciement collectif ; pour les entreprises en difficulté, on passe de 50 à 55 ans d’ici 2018, mais déjà à 52 ans dès 2012 ; la prépension à mi-temps sera supprimée ; par ailleurs, les employeurs qui licencient sans respecter la pyramide des âges seront soumis à sanction financière.
Pour les pensions, l’âge légal reste fixé à 65 ans, mais l’âge d’accès à une pension anticipée passe de 60 à 62 ans (après 40 ans de travail dès 2015) [22]. En outre, pour le crédit-temps (et les aménagements de fin de carrière) on n’aura plus accès à un travail à 4/5 temps avec compensation partielle de la perte de salaire par l’Etat qu’à partir de 55 ans (au lieu de 50), sans que l’on connaisse l’entrée en vigueur de cette mesure. [23] Certains régimes privilégiés pour des groupes spécifiques (pilotes, stewards, marins, mineurs) ne donneront droit à une pension complète qu’à partir de 45 ans de carrière (au lieu de 30). Pour les journalistes de moins de 55 ans, plus question d’une pension accrue ; professeurs d’université et magistrats devraient dorénavant disposer d’une carrière de 36 ans (au lieu de 20) pour prétendre à une pension complète. Les pensions des fonctionnaires seront dorénavant calculées sur le salaire moyen des 10 dernières années (au lieu de 5).
A la fin de la manifestation du 2 décembre, les leaders syndicaux ont martelé leurs revendications. Ainsi, Cl. Rolin a insisté : « Cette crise n’est pas la nôtre, c’est celle d’un capitalisme financier dérégulé. Pourtant c’est aux salariés, aux allocataires sociaux que l’on présente l’addition » [24]. Pour sa part, A. Demelenne souligne que : « Au lieu de rendre les allocations de chômage dégressives, il faudrait dégraisser les bonus des traders et les dividendes aux actionnaires » [25]. A l’issue de la manifestation, les dirigeants syndicaux ont été reçus par E. Di Rupo qui dit comprendre leur inquiétude, mais ne pas pouvoir se prononcer au nom d’un gouvernement qui n’est pas encore formé, tout en soulignant la nécessité de la concertation sociale. De leur côté, Open VLD et MR disent également comprendre les inquiétudes mais soulignent que ce budget est équilibré, que les charges décidées visent à sauver la Sécurité sociale, même si toutes les catégories de la population sont touchées. Quant aux media, ils restent sceptiques - quand ils n’y sont pas opposés - par rapport à cette manifestation. Ainsi, B. Delvaux, après avoir souligné dans son éditorial, ce qui avait été obtenu face à l’Europe et aux créanciers, s’interroge : « Quelle drôle de date ! A part pour dire sa peur, formuler des exigences, exprimer des interdits, quel est le sens d’une manifestation de cette ampleur alors qu’il n’y a plus rien à demander à des négociateurs qui ont bouclé leur budget ? » [26]. C’est dire que cette manifestation, si elle a constitué une démonstration de force de la part des syndicats, interpelle et suscite aussi des réactions interrogatives ou négatives au sein de l’opinion publique.
Le 7 décembre se déroule à Liège une manifestation de soutien aux sidérurgistes d’ArcelorMittal (dans le cadre d’une journée d’action européenne des syndicalistes d’ArcelorMittal) en protestation contre la décision du groupe de fermer la phase à chaud à Liège. Cette manifestation rassemble quelque 20.000 travailleurs, sous le slogan « La sidérurgie est à nous ». Elle rappelle les principales revendications syndicales et notamment le maintien de la phase à chaud et la consolidation de la phase à froid de la sidérurgie liégeoise. Elle constitue aussi un appel aux pouvoirs politiques afin qu’ils soutiennent ces revendications.
C’est le 14 décembre que le front commun syndical (CSC, FGTB, CGSLB) dépose un préavis de grève générale et/ou sectorielle pour le 30 janvier 2012 au plus tard. Il réclame une concertation et dépose un cahier de revendications commun. Ce cahier de revendications est adressé au nouveau gouvernement fédéral et aux employeurs [27]. Il comporte sept grands chapitres : une critique de certaines mesures d’assainissement (qui touchent les jeunes, les chômeurs de longue durée, les travailleurs âgés et les femmes) ; la demande d’un plan de relance de l’emploi pour jeunes et moins jeunes ; les fins de carrière et la conciliation vie privée-vie professionnelle ; une fiscalité plus juste et une régulation forte de la finance ; le pouvoir d’achat ; les services publics ; l’Europe sociale et une croissance durable. Selon les syndicats, la grève pourrait être évitée si la concertation débouche sur des résultats concrets. Cette initiative syndicale a, sans surprise, le don d’énerver la FEB : « Leur stratégie frappe les entreprises en tant que moteur de l’emploi et de la prospérité, complique encore la reprise de notre économie, menace de mettre le feu aux poudres, au risque de placer à nouveau notre pays sur le radar des marchés financiers, et attise le risque de récession » [28].
La grève générale des services publics le 22 décembre
Cette grève générale est provoquée par les propos pour le moins maladroits, sinon provocateurs, du ministre des pensions, V. Van Quickenborne (VLD). Celui-ci déclare, le 16 décembre, qu’il s’agit de faire voter la réforme du système des pensions et prépensions par le Parlement avant la fin de l’année. Il estime qu’il y a eu concertation : réunion du comité de gestion pour les pensions du secteur privé (où siègent les interlocuteurs sociaux) ; convocation la semaine suivante du Comité A pour les fonctionnaires. Selon lui, la concertation est toujours possible, mais il ne faut pas se faire d’illusions : l’accord gouvernemental en la matière doit être respecté [29]. Sans ambigüité, le ministre des pensions veut, à terme, aboutir à un seul régime de pensions. Pour accélérer le timing, le volet “pensions” de la loi de dispositions diverses a pris la forme d’amendements au texte de base, rédigés soit par le gouvernement, soit par la majorité parlementaire, une manière d’éluder le recours au Conseil d’Etat, une manœuvre vivement critiquée par l’opposition.
La réaction syndicale n’a pas tardé : dès le 19 décembre, 300 militants FGTB se sont réunis devant la Tour des finances à Bruxelles, tandis que les représentants syndicaux rencontraient E. Di Rupo et devaient bien reconnaître que la marge de manœuvre de celui-ci était limitée. La position syndicale s’avère délicate : d’une part la réforme des pensions ne leur plaît pas du tout ; d’autre part, les instances syndicales tentent de ne pas compliquer la tâche du premier ministre au sein de cette coalition de centre-droit. Il n’empêche : ce même 19 décembre, les organisations syndicales des services publics décident, en riposte, d’un préavis de grève générale des services publics (les administrations, les entreprises publiques - SNCB et BPost -, l’enseignement, De Lijn, les TEC et la STIB) pour le 22 décembre en riposte aux projets relatifs aux pensions que le Parlement devrait voter ce jour-là.
La grève générale des services publics du 22 décembre a été précédée, dès le 20 décembre par des arrêts de travail spontanés des cheminots dans le Hainaut, une action amplifiée le 21 décembre au matin : ils anticipent le mouvement, étant donné qu’eux aussi sont dans l’ignorance de ce que le gouvernement leur réserve en matière de pension. La grève du 22 décembre a été en général bien suivie dans les différents secteurs des services publics [30], certaines entreprises privées ayant également débrayé. Il en est résulté les inévitables problèmes de mobilité qui ont sans doute amplifié l’impact du mouvement et ont fait réagir des internautes côté flamand sur Facebook sous le slogan « Wij zijn het beu ! », visant clairement la grève à la SNCB. Par ailleurs, les media ne se sont pas privés de critiquer cette grève [31]. L’ampleur de cette grève générale des services publics n’a toutefois pas suffi à empêcher le vote au Parlement du volet « pensions » dont l’application sous forme d’arrêtés royaux devrait être réalisée pour le 30 avril au plus tard. Ce qui laisse donc, malgré tout, un (petit) espace pour la concertation et le recours à quelques mesures correctrices à la marge. Les syndicats maintiennent néanmoins leur préavis de grève pour le 30 janvier 2012, une manière d’exercer une pression pour que puisse enfin démarrer une concertation sociale digne de ce nom. D’ici là, il ne devrait pas, en principe, y avoir d’autres actions syndicales.
Une situation socio-économique précaire
Difficile de prétendre que, sur le plan socio-économique, l’année 2012 démarre sous des auspices heureux. Les prévisions des différentes institutions (Bureau fédéral du Plan, Banque Nationale, IRES e.a.) montrent clairement que notre économie est entrée en récession. Les plus optimistes [32] prévoient une croissance de 0,1% du PIB en 2012, les plus pessimistes [33] un recul de -0,3%. Cela implique évidemment un certain nombre de conséquences. D’une part, le contrôle budgétaire de début mars devrait ajouter au moins 2,3 milliards d’euros au montant de 11,3 milliards d’euros d’économies censées obtenues fin décembre 2011 [34]. S’y ajoute une prévision d’inflation de 2,6%, qui reste importante bien que moindre que celle de 2011 (3,5%). D’autre part, les indicateurs classiques : consommation des ménages, investissements des entreprises, dépenses publiques, exportations et importations seront revus assez largement à la baisse. Le marché du travail devrait connaître une situation dégradée avec une croissance d’emplois nette oscillant autour des 5.000 unités et un accroissement du taux de chômage de 6,6% de la population active (en 2011) à 8,2% en 2012 [35]. Sans compter que les efforts de restrictions budgétaires pourraient réduire l’ampleur des dispositifs publics mis en place pour soutenir la création d’emplois [36].
Face à cette situation socio-économique précaire, patronat et syndicats adoptent de positions divergentes. La FEB constate une dégradation effective : la concurrence entre pays s’accroît, chacun tentant de regagner en compétitivité et l’assainissement des finances publiques risque fort de plomber la situation, d’où la perspective d’une spirale négative. Pour en sortir, la FEB préconise, outre des actions au niveau européen, la mise en place de réformes socio-économiques et notamment le relèvement de l’âge de la pension, l’activation accrue du système de chômage et la réforme de l’indexation des salaires pour sauvegarder la compétitivité des entreprises [37]. A l’opposé, la FGTB, après avoir souligné l’importance de cette indexation automatique des salaires et des allocations sociales pour le pouvoir d’achat et l’emploi, insiste d’abord sur le maintien de ce système. Elle met l’accent sur cinq autres priorités, notamment : un plan de relance durable de l’emploi ; une redistribution équitable des revenus via la fiscalité ; un frein à mettre à la libéralisation des services publics et le contrôle à exercer sur la politique tarifaire des secteurs déjà libéralisés (énergie, transports, poste) ; un effort accru à réaliser en matière de recherche et développement et une vraie régulation des secteurs financier et bancaire [38]. Patronat et syndicats tentent dès lors d’infléchir, dans le sens qui leur convient, les dispositions gouvernementales.
La grève générale du 30 janvier 2012
Vers la mi-janvier, le gouvernement fédéral a tenté de remettre en selle la concertation sociale. Aux yeux des syndicats cette concertation n’a produit aucun résultat : elle s’est limitée à la mise en place de groupes de travail techniques, le gouvernement refusant toute concession significative. Le front commun syndical, conscient qu’il faut réaliser des économies, estime cependant que ce ne peut être au détriment des seuls travailleurs et juge donc que les mesures gouvernementales rendent la grève générale inévitable [39]. Les syndicats se disent néanmoins partisans de poursuivre la concertation, notamment dans la perspective d’aboutir à des mesures concrètes de relance de l’emploi, singulièrement absentes des mesures gouvernementales. Ils estiment en effet, exemples européens (Grèce, Italie, Espagne, Portugal) à l’appui, que la politique d’austérité tous azimuts n’apporte aucune solution ; au contraire, elle ne fait qu’aggraver la récession.
La perspective de cette grève générale est loin de réjouir le gouvernement. Les partis de droite la jugent irresponsable, d’autant plus qu’à leur avis la concertation demandée par les syndicats a démarré [40]. Quant au président du SP.A., Br. Tobback - sans doute pour soutenir son camarade Di Rupo -, il critique également cette grève générale qu’il juge inappropriée [41]. Par ailleurs, une partie de l’opinion publique ne comprend pas la raison de cette grève générale : pourquoi la maintenir alors que le gouvernement a déjà pris ses décisions ? Pour d’autres, seule une grève générale au niveau européen pourrait infléchir la politique d’austérité imposée sous la pression de la Commission européenne. Certains patrons envisagent des mesures en vue de contrer la grève [42] ou de la contourner (par exemple en recourant au télétravail), car ils redoutent notamment les piquets volants et le blocage de routes et de nombreux zonings industriels [43].
Il n’est pas évident de rendre compte avec précision de l’ampleur de la grève générale du 30 janvier. Elle a certes été importante, mais il paraît excessif d’estimer qu’elle a connu un succès franc et massif. Relevons tout d’abord que la communication syndicale, au travers de la presse écrite - et au-delà des interviews de ses principaux dirigeants - a été nettement trop tardive : ce n’est que le jour même, le 30 janvier, que paraît dans la presse une publicité expliquant clairement les enjeux de cette grève [44]. Par ailleurs, les organisations patronales ont crié au loup, avançant des montants nettement exagérés quant au coût de cette grève en invoquant des montants entre 600 et 800 millions d’euros, une baudruche que des chercheurs ont ramené entre 80 et 120 millions d’euros [45]. Cela étant, que peut-on dire de l’impact réel de cette grève générale ?
Elle a été bien suivie dans les transports en commun, elle a touché toutes les grandes chaînes de distribution, du moins en Wallonie, les centres de tri postal, l’enseignement, les bassins industriels en Flandre et en Wallonie ; de nombreux zonings industriels ont été paralysés du fait de piquets de grève, mais nettement moins en Flandre (qui compte davantage de PME) qu’en Wallonie. Des barrages filtrants ont été mis en place sur plusieurs axes routiers, mais en général la grève n’a pas donné lieu à des incidents notoires. Les syndicats se félicitent du succès de cette grève nécessaire et estiment dès lors qu’elle s’est avérée utile parce qu’elle relancera la concertation entre interlocuteurs sociaux et gouvernement fédéral et qu’ils escomptent en retirer au moins certains amendements en réponse à leurs revendications, notamment en matière de prépensions, pensions et allocations de chômage. Ils sont en tout cas rassurés par le constat que le gouvernement ne touchera pas à l’indexation des salaires. Par ailleurs, on peut remarquer que cette grève générale a réuni les trois organisations syndicales - qui ont tiré un trait sur leurs divergences à l’issue de l’échec du projet d’AIP en janvier 2011 - sans doute aussi soucieuses de montrer, à l’approche des élections sociales, leur capacité de passer à l’action dès lors qu’il s’agit de défendre les intérêts, non seulement de leurs affiliés mais surtout de l’ensemble des travailleurs. Pour la suite, si la CES a programmé une journée d’action le 29 février prochain pour protester contre les politiques d’austérité imposées par les dirigeants européens, on semblerait se limiter, en Belgique, à une journée d’action et non à une journée de grève générale. On en saura sans doute plus dans les jours à venir.
Le clan patronal tient, lui, à relativiser le succès de la grève générale. Selon la FEB, cette grève n’a pas été générale, le pays n’a pas été paralysé, la grève a eu davantage d’impact en Wallonie qu’en Flandre et peu d’impact dans le secteur tertiaire. D’autant que le recours au télétravail a permis d’en limiter les conséquences. La FEB assure que de nombreux travailleurs non grévistes ont été bloqués par des piquets de grève, notamment dans les zonings. FEB,Unizo, Voka, UWE et UCM ont estimé cette grève inutile et nuisible tant à la concertation sociale qu’au développement économique et à l’emploi.
A l’occasion de cette grève générale, la polémique a rebondi au sujet du droit de grève ((particulièrement par rapport aux piquets de grève). Ce sont toutefois surtout les éditorialistes de pas mal de quotidiens qui ont adopté une attitude critique, voir par moments choquante, envers cette grève générale. Il suffit par exemple de relire les éditoriaux de G. Tegenbos (De Standaard) : « En nu aan het werk voor werk », de F. Van de Woestyne (La Libre Belgique) : « Au boulot » [46] ou les grands titres : « Stakers missen stootkracht » (De Morgen), « Van Quick : « Cette grève ne changera rien » » (Le Soir), « La grève mais pas la paralysie » (L’Echo, p. 3) [47]. Dans l’ensemble, les journalistes évoquent une grève inutile car elle ne devrait pas amener le gouvernement à revoir ses options.
La concertation en février 2012
Il n’empêche : le gouvernement fédéral s’est montré, dans une certaine mesure, sensible aux signaux émis par la grève générale du 30 janvier. Le 5 février, le comité ministériel restreint a proposé des « adaptations » en matière de chômage, de fins de carrière et de pensions, sans cependant revoir fondamentalement les mesures adoptées au Parlement. Ainsi, il est prévu que les personnes handicapées ou à santé précaire ne soient pas soumises aux règles générales adoptées en matière de chômage ; les entreprises devront compenser les départs en prépension par l’embauche de personnes au chômage ; le moment du passage à la prépension devra tenir compte non seulement de l’âge, mais aussi de la carrière professionnelle [48]. Toutefois, si l’âge légal de la pension reste fixé à 65 ans, l’accès à la pension anticipée est maintenu à 62 ans après 40 ans de carrière d’ici 2016 [49], tant dans le secteur privé que dans le secteur public, même si, dans ce dernier, des aménagements à la marge restent en discussion pour les « régimes spéciaux » [50].
Lors de la concertation, le 14 février, entre gouvernement fédéral et groupe des Dix, les différentes adaptations ont été présentées. Les syndicats apprécient les modifications concernant un certain nombre de cas particuliers, mais sans enthousiasme, tout en soulignant que la grève générale du 30 janvier a produit ses effets. Ils restent cependant en attente des résultats de la concertation pour le secteur public et maintiennent leurs exigences en matière de mesures de relance de l’emploi [51]. Quant à la FEB, si elle estime avoir été entendue par le gouvernement sur certaines de ses observations, elle reste insatisfaite notamment par rapport à la prolongation des régimes de prépension pour longue carrière et métiers lourds. Elle reste dès lors vigilante dans l’attente des arrêtés d’application des mesures gouvernementales [52].
Droit de grève et indexation des salaires
La grève du 22 décembre 2011 et la grève générale du 30 janvier 2012 ont relancé la polémique à propos du droit de grève. Si chaque partie s’accorde sur la légitimité de ce droit, les avis sont nettement divergents entre patronat et syndicats dès lors qu’il s’agit d’en définir les limites. Côté patronal, on plaide pour le droit individuel au travail qui implique que les piquets de grève ne peuvent être bloquants, mais tout au plus filtrants : ils ne pourraient pas empêcher l’accès à l’entreprise des travailleurs non grévistes en cas de grève [53]. Côté syndical, on estime que, au moins en cas de dépôt de préavis, le droit collectif qu’est le droit de grève prévaut par rapport aux droits individuels et qu’en l’occurrence l’immixtion de la justice et l’imposition d’astreintes, suite à un recours unilatéral en référé déposé par les employeurs concernés, n’ont pas lieu d’être [54].
Une autre pomme de discorde, autrement plus importante, agite à nouveau les milieux gouvernementaux, patronaux et syndicaux. Il s’agit de l’indexation automatique des salaires. A cet égard, la position du gouvernement Di Rupo est claire : pas question de discuter d’une quelconque modification de cette indexation. Toutefois, au-delà d’un consensus de façade, les divergences au sein de la coalition gouvernementale sont assez marquées. Elles ont resurgi suite aux déclarations du gouverneur de la BNB, L. Coene, le 14 février dernier, faisant publiquement état de conclusions du rapport préliminaire de la BNB sur ce sujet. Selon L. Coene, qui a rappelé l’impact important de l’accroissement des prix des produits énergétiques sur les prix à la consommation, il importe d’examiner comment réduire cet impact sur l’indexation des salaires et donc d’envisager une réforme de ladite indexation en vue de maintenir notre compétitivité [55]. Si E. Di Rupo a répété la position du gouvernement à cet égard, les partis de la coalition expriment des avis divergents sur la question. Open VLD et MR estiment qu’il faudra discuter un jour de l’indexation, même si ce n’est pas opportun actuellement, une position sur laquelle se calque le CD&V, avec des nuances [56]. Le SP.A estime plus important de juguler d’abord les prix énergétiques, le PS continue à s’opposer à toute remise en question de l’indexation, tandis que le CDH se retranche derrière l’accord gouvernemental [57]. Si les organisations patronales plaident, sans surprise, pour une réforme en profondeur, voire une suppression, de l’indexation automatique [58], les syndicats tiennent à souligner très fermement que le problème ne provient pas de l’indexation, mais bien de l’inflation causée par la montée en flèche des prix de l’énergie. Il n’est donc pas question de remettre l’indexation en cause et, si la compétitivité reste un point important, les coûts salariaux n’en constituent qu’un aspect : les investissements en formation et en R&D sont au moins aussi importants et restent, depuis des années, très inférieurs aux objectifs fixés en ces matières par les AIP successifs et les normes européennes. Les questions de l’indexation automatique des salaires et des limites du droit de grève referont certainement surface après le contrôle budgétaire de mars et risquent de donner lieu à de sérieuses empoignades. Nous reviendrons sur ces deux brûlots économico-sociaux dans un prochain article.
Fin février, l’incertitude demeure quant à l’évolution future de la conjoncture socio-économique qui sera certainement conditionnée chez nous par les résultats du contrôle budgétaire - et donc d’économies supplémentaires de l’ordre de 2,3 milliards d’euros à trouver - auquel le gouvernement fédéral se livrera début mars. Sans oublier que les autorités européennes peuvent aussi venir y mettre leur grain de sel. Les organisations syndicales se trouvent donc, avant de connaître les décisions attendues du contrôle budgétaire, dans une période d’incertitude qui n’exclut d’ailleurs pas une réelle vigilance.
Le contrôle budgétaire
Le résultat du contrôle budgétaire annoncé le WE du 10-11 mars par le gouvernement fédéral à l’issue d’une semaine de discussions ardues et d’affrontements gauche-droite laisse un sentiment étrange. Il est sans doute encore trop tôt pour pouvoir juger de l’efficacité des mesures décidées, mais certaines laissent tout de même planer un certain doute, comme on verra ci-après. De quelque bord qu’ils soient, tous les membres du gouvernement fédéral affirment qu’il s’agit d’une rigueur « douce » qui ne devrait pas - ou très peu - affecter les revenus des ménages. Sans entrer dans les détails, on peut regrouper l’ensemble en 7 types de mesures : 81 millions d’euros de recettes fiscales (e.a. des taxes sur les opérations de bourse et des accises sur le tabac) ; 93 millions d’économies en Sécurité sociale (dont 63 millions en soins de santé) ; 250 millions d’euros d’économies en « compétences usurpées » [59] ; 263 millions d’euros d’économies en dépenses primaires (dont 50 millions en matière de coopération au développement) ; 829 millions d’euros de recettes non récurrentes (dont 289 millions remboursés par BPost et 200 millions d’anticipation de taxes sur l’assurance/vie) ; 650 millions d’euros prévus comme « matelas de sécurité » pour parer à des événements imprévus (dont 210 millions d’anticipation de la taxe sur l’épargne-pension, 166 millions d’économies en soins de santé et 124 millions en frais de fonctionnement des administrations) et 334 millions d’euros de « corrections techniques » (dont 39 millions en report de livraison d’hélicoptères, 30 millions par réestimation des dépenses en pensions et 265 millions »autres », sans plus de précision). Soit au total 2,5 milliards d’euros. Bref, un melting pot de 119( !) mesures dont le total devrait permettre d’atteindre, pour 2012, le seuil sacro-saint d’un déficit de 2,8% du PIB.
Outre le fait qu’il n’y a aucune certitude absolue quant à la réalisation effective de toutes les économies et des quelques recettes nouvelles, il y a de quoi rester sur sa faim, notamment en matière de politique de relance et de création d’emplois. Le poste le plus important est constitué de recettes « one shot », donc non réitérables d’ici 2015, date à laquelle la Belgique sera censée être revenue à l’équilibre et d’ici là on devra encore s’attendre à des mesures d’austérité significatives en 2013 et 2014. Le « matelas de sécurité » renforce encore les économies en soins de santé et réduit les capacités des administrations publiques (alors que les demandes en matière de justice ou de prisons par exemple se font récurrentes). Les corrections techniques sont pour la plupart laissées dans le flou pour le moment. Quant au montant susceptible d’être retiré du poste « pensions », on peut se demander comment le gouvernement va procéder, alors qu’à tout moment on agite le spectre de difficultés de paiement à terme des pensions légales. Enfin, les 250 millions de compétences « usurpées » vont certainement faire l’objet d’âpres discussions entre le Fédéral et les Régions.
Si l’on fait la balance gauche-droite de ces mesures, on constate que la gauche n’a pas obtenu de réduction supplémentaire des intérêts notionnels (ni leur liaison à la création d’emplois), ni un impôt minimum sur les sociétés, ni une taxation significativement accrue sur les grosses fortunes (dont on craint évidemment toujours l’évasion vers des paradis fiscaux). Evidemment PS et SP.A ont obtenu que l’on ne touche pas à l’indexation mais le gel futur des prix de l’énergie contribuera à ralentir l’inflation et donc aussi l’indexation des salaires. La droite se félicite que l’on n’ait pas ponctionné à nouveau les ménages (surtout les plus fortunés). Peu de réactions jusqu’à présent au niveau des interlocuteurs sociaux. Au moment de terminer cet article, les organisations syndicales n’ont pas encore réagi par communiqué de presse ; à l’inverse, la FEB se félicite des efforts accrus au niveau de la réduction des coûts des services publics, que l’on n’ait pas touché à l’impôt des sociétés ni aux intérêts notionnels et fait clairement appel au gouvernement fédéral : selon R.Thomaes : « (…) le gouvernement doit d’urgence faire siennes les analyses et recommandations européennes, et veiller au renforcement de la compétitivité des entreprises » [60]. Autrement dit, la FEB s’apprête à repartir à l’assaut de l’indexation automatique des salaires qui lui paraît toujours l’obstacle majeur au développement de la compétitivité de ses entreprises.
Il ne faut pas être dupe : ce contrôle budgétaire laisse l’impression d’une certaine virtualité [61] et les organisations syndicales auraient tort de ne pas se montrer vigilantes par rapport à la mise en œuvre de toutes ces mesures d’austérité si bien présentées comme quasi-indolores pour les citoyens.