À travers la métaphore du Don-Juan, Ricardo Cherenti montre comment L’Europe a un « mépris d’avance » pour la Grèce et comment cette dernière se complaît dans ce mépris.
Ces temps-ci, la Grèce semble bien être au centre de l’attention du plus grand nombre, que ce soit des « responsables » politiques européens et nationaux, des journalistes, des financiers ou, tout simplement, des citoyens. La Grèce sert à la fois d’exemple, d’espoir, d’expérience et d’épouvantail pour ceux qui l’observent (combien de fois n’entendons-nous pas : « si l’on ne crée pas une politique d’austérité, nous allons devenir comme la Grèce »). Je dirais que nous avons entièrement raison d’avoir l’attention attirée par la Grèce car ce pays est un miroir où l’on peut voir à la fois ce que l’on est et ce que l’on deviendra et, pour cela, c’est un pays clé. Quel que soit son avenir, il est fort probable qu’il nous éclaire tous sur ce que nous allons devenir bientôt. Et en tout cas, il nous éclaire déjà sur la façon dont l’Union européenne traite ses membres.
Mais on ne peut pas s’aventurer dans une analyse grecque sans auparavant jeter un regard sur l’Europe (et même le monde).
Le mépris d’avance de l’Europe
Dans un article que j’avais publié en 2011 [1], j’invoquais « le mépris d’avance » qu’avait l’Europe pour la Grèce. Pour cela, je m’inspirais d’un livre magnifique, « Belle du Seigneur », d’Albert Cohen. Dans ce livre, Cohen décrit comment Don Juan, pris dans sa course folle de séduction, a un « mépris d’avance » pour la belle qu’il veut séduire. Il la désire, certes, et il l’aime en partie probablement, mais il a également envers elle un mépris pour ce qu’elle l’oblige à faire pour la séduire. Pour séduire, il doit simuler. Il doit convaincre. Il doit se valoriser. Il doit jouer l’amour. Il doit échapper au « quotidien » pour se montrer exceptionnel. Il doit donc mentir sans relâche. C’est le mensonge qui permet à Don Juan de séduire. Mais il ne faut pas s’y tromper, ce mensonge est largement partagé car c’est bien le mensonge que souhaite également la belle pour être séduite. S’il se montre tel qu’il est, Don Juan n’a aucune chance de plaire. De son côté, « Mens-moi », semble dire la belle en faisant la moue. Et après avoir enfin obtenu les faveurs de la belle, alors que Don Juan voudrait se retourner sur le côté pour savourer sa victoire et penser à la prochaine, elle, ce qu’elle veut à ce moment précis, ce n’est ni le repos ni la paix. Ce qu’elle veut, c’est qu’on lui dise combien ce moment partagé était unique et divin. Le mensonge encore. Le mensonge toujours.
La Grèce se couche
Quel rapport avec la Grèce ? La Grèce aujourd’hui veut séduire et être séduite par l’Europe. Elle s’apprête. Elle se montre docile. Elle se corrige. Elle fait les yeux doux. L’Europe, ce Don Juan politique et économique, ment et ment encore pour que la Grèce accepte finalement de coucher. Mais si Don Juan se décide à séduire, pas question que l’objet de sa séduction ne cède pas rapidement. Pour cela, Don Juan peut se montrer sans foi ni loi. Après une séduction mielleuse, les battements de cils, les regards appuyés et les mots doux, s’il perçoit une résistance, il prend alors appui sur sa puissance et son mépris se fait violent. Il ne se contentera pas longtemps de séduire la demoiselle. A un moment, et assez rapidement, il faut qu’elle cède et se couche. Et si, pour cela, il faut se passer de son consentement, il n’a pas de scrupule. Au point d’ailleurs de considérer que lorsqu’une fille lui dit « non », elle a forcément voulu dire « oui ». Le viol fait partie de la panoplie de Don Juan. Rien ne l’arrête. Son seul objectif, c’est lui-même. Rien d’autre ne compte. L’Europe se vante de ses conquêtes comme elle se vante que nulle ne lui résiste. La Grèce a voulu résister ? Qu’en est-il advenu ?
Concrètement, le capitalisme débridé tel que nous le connaissons a remporté une victoire idéologique de taille, c’est celle de réduire tout de nos vies à une donnée mathématique et, qui plus est, une donnée de très court terme. Et il est vrai que, mathématiquement, sur le très court terme, un État qui dépense moins a des caisses qui se vident moins. Et un État qui rembourse ses dettes est un État moins endetté. CQFD ! La logique européenne est tautologique et c’est une rhétorique sans contradiction possible. L’Europe a raison parce qu’elle a raison !
L’idéologie façonne le monde
Mais observons que la victoire capitaliste n’est pas uniquement idéologique. L’idéologie façonne la réalité et transforme nos vies. La vision économique de l’Europe induit des comportements et crée des normes impératives strictes. L’une d’elle est « le choix » laissé aux États de faire ce qu’ils n’ont pas le choix de faire. En ce sens, la dépolitisation des États est un enjeu majeur du capitalisme actuel. La mathématisation et la rationalisation en sont l’un des outils. Outil qui permet de créer les conditions pour une gouvernance sans choix car lorsque vous avez devant vous non pas un problème politique mais une équation mathématique, vous ne pouvez pas tracer un chemin en fonction du désir de la population mais vous devez absolument résoudre l’équation. 1+1 donnera toujours 2. On ne rêve pas à partir d’une équation. Cela participe, bien évidemment, du mépris des institutions européennes envers ceux qui ont encore la naïveté d’imaginer faire de la politique, c’est-à-dire ceux qui estiment encore avoir des choix à faire et, notamment, ceux qui pensent encore pouvoir parler de démocratie.
Dans ce qui nous occupe dans cet article, comment se traduit le mépris d’avance dont j’ai parlé ? D’abord en rabaissant les Grecs au statut de prostituées qui chercheraient à vendre leurs charmes pour de l’argent. Les Grecs ont été amenés à vendre leurs biens publics pour des sommes dérisoires [2]. A ce propos, je pense qu’il est bon de rappeler que c’est la banque d’affaire Goldman Sachs International (GSI), à la tête de laquelle se trouvait Mario Draghi (Vice-Président de GSI à l’époque), qui a conseillé la Grèce pour (légalement d’ailleurs) trafiquer ses comptes. GSI a bénéficié de plantureuses commissions pour ses « conseils voyous ». GSI a ensuite réalisé de très beaux profits en revendant ses actions douteuses à la Banque nationale de Grèce.
Et qui a-t-on mis à la tête de la Banque centrale européenne ? Ce même Mario Draghi. Le mépris n’est-il pas là ? Rien d’illégal dans cette désignation, certes, mais un sens de l’éthique qui fait de plus en plus défaut au sein de l’Europe. On nous dira que le capitalisme n’est pas moral (ni immoral d’ailleurs) et n’a pas à l’être. Il est mathématique et rationnel (c’est du moins sa prétention). Il n’a donc pas à se justifier. Il parle de chiffres uniquement et son monde est binaire : oui-non ; pour-contre ; blanc-noir.
Référendum
Le mépris va plus loin. Le référendum grec sur les plans d’austérité a été l’occasion de se rendre compte du peu de considération de l’Europe pour le « peuple ». Avant même que celui-ci ne se prononce en disant « non » aux plans d’austérité, les commentateurs rappelaient que les Grecs étaient des fainéants et des profiteurs qui, non contents d’avoir triché, recherchaient maintenant à ce que l’Europe finance leur tromperie. « Ils ont eu le beurre et ils veulent maintenant l’argent du beurre et, bien entendu, le sourire de la crémière ». Après le référendum, bon nombre de commentateurs ont dit que les Grecs ignoraient pourquoi ils avaient voté. Le mépris, toujours. Cela me fait repenser aux propos de Daniel Cohn Bendit lors du référendum français à propos de la Constitution européenne de 2005. Celui-ci prétendait que le sujet était beaucoup trop sérieux et trop complexe pour demander l’avis du peuple. Le mépris d’avance, encore.
L’Europe, on en a l’exemple sous les yeux avec la Grèce, veut gérer « à la place des États » mais aussi « avec le consentement des États » [3], lesquels doivent donner leur blanc-seing à l’idéologie européenne. C’est en cela que l’Europe n’accepte pas qu’on lui résiste. C’est en cela que l’Europe considère qu’on a qu’un seul choix, celui d’accepter les règles qu’elle édicte. C’est en cela que l’Europe considère que « non » veut dire « oui ». C’est en cela que l’Europe est méprisante et qu’elle sourit de son mépris d’avance. Mais, malgré tout, l’Europe reste active sur le marché de la séduction en pratiquant ce que j’appellerais une « échelle de tromperie ».
Négociation à partir de l’échelle de tromperie
Imaginons que la Grèce soit amenée à négocier un plan d’austérité avec l’Europe. L’Europe sait que sur une échelle de 1 à 10, demander plus de 3 à la Grèce est impossible [4]. Et elle sait que, malgré cet « impossible, elle veut amener la Grèce à accepter 6. Elle va alors exiger 10. La Grèce refuse car au-delà de 3, elle entrerait dans une zone de dangereuse turbulence. Elle accepte donc 3 (ce qui, en soi, est déjà un désastre). Après des négociations très ardues, la Grèce accepte finalement 5 tandis que l’Europe accepte de baisser son exigence à 9. Les négociations semblent alors dans l’impasse. Les États font pression sur la Grèce (et les médias appuient la pression en évoquant l’irresponsabilité de la Grèce). On frôle la catastrophe, puis, au bout du rouleau et dans le désespoir, la Grèce accepte finalement 6. On se sert la main, on fait des photos, tout le monde fait des sourires car « tout le monde a gagné ». La Grèce se vante alors de ne pas avoir accepté les exigences de 10. L’Europe se vante d’avoir forcé la Grèce à devenir responsable. Au final, que s’est-il passé ? L’Europe n’a absolument rien cédé. La Grèce s’est saignée. Tout le monde a-t-il vraiment gagné ?
Peut-on vraiment parler d’une Union européenne ?
L’Europe use et abuse de sémantique. En elle, rien n’est une « union ». Elle est en vérité une séparation d’États hyper-connectés et mis en concurrence sur des bases de rationalisation mathématique de très court terme. Au point d’ailleurs de survaloriser l’architecture marchande et financière et au point de complètement dévaloriser l’architecture politique, démocratique et sociale. S’il fallait un exemple pour montrer qu’il n’y a pas vraiment d’union, on pourrait évoquer la crise des migrants pour laquelle il n’y a aucune entente mais plutôt une bagarre pour que chacun garde chez lui « ses pauvres ». Ce scandale social est très exemplatif d’une mise en concurrence des États et de la « désunion » européenne. La solidarité est un mot dont aime user l’Europe même si elle ne se concrétise jamais.
Quant au couple « Franco-Allemand » qui se veut le moteur d’une Europe forte, il n’est qu’une façade à laquelle chacun fait semblant de croire. Avant tout, cette façade montre clairement que l’Europe ne se façonne pas en fonction de la majorité (règle démocratique) mais en fonction de la puissance de celui qui parle (règle de ploutocratie). Le poids de l’Allemagne, par exemple, n’équivaut jamais le poids de Malte. On peut dire sans se tromper que le « couple » Franco-Allemand sert avant tout les intérêts de l’Allemagne (qui, ainsi, ne marche pas en solitaire et s’allie à une grande nation qui a une écoute chez certains partenaires). La France, quant à elle, par ce truchement, veut continuer à croire et faire croire qu’elle conserve un rôle prépondérant dans la construction de l’Europe. Mais en cela, elle se montre bien naïve car si la Grèce est actuellement bel et bien sous les feux des puissances financières, il ne faut pas se cacher que la France en est également un des points de mire. On peut ainsi défendre l’idée que l’Europe cherche des exemples à donner en pâture pour faire rentrer tout le monde dans le rang de « l’économisme » (rationalité mathématique de très court terme) et empêcher quiconque d’imaginer qu’il existe encore une place pour faire de la politique. Il suffit, pour s’en convaincre, de rappeler la phrase de Jean-Claude Juncker face au référendum Grec ? « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». A elle seule, cette phrase résume le mépris d’avance de l’Europe et montre que cette Europe n’est pas une « Union » mais uniquement un projet financier et marchand (le même Jean-Claude Juncker précise d’ailleurs qu’« il n’y a pas d’autres remèdes que la consolidation budgétaire »… l’économisme et uniquement cela) qui n’a que faire de la population et qui ne s’encombre jamais de politique. Il n’y a donc pas une Union européenne, mais une gestion commune des intérêts marchands particuliers. L’Europe n’est pas régie par l’intérêt général, loin s’en faut.
Et la résistance grecque ?
Le premier ministre actuel a été présenté comme un radical de gauche prêt à imposer ses valeurs à l’ensemble de l’Europe. La gauche européenne (et même au-delà) a vu en lui un espoir. Et l’espoir était si grand que ceux qui se sont posés des questions sur l’alliance entre Syriza et un parti de la droite nationaliste en ont pris pour leur grade [5], car cette alliance consistait en une stratégie politique qui allait permettre à Syriza de déployer ses ailes au niveau international.
Le premier ministre grec, Alexis Tsipras, et son Ministre des Finances, Yanis Varoufakis, sont entrés dans l’arène avec la ferme intention de faire plier l’Europe en refusant de poursuivre la logique des plans d’austérité et la mise sous tutelle de la Grèce par la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et FMI). Ce refus grec de la logique acceptée et même revendiquée par tous les États européens a fait figure d’une forme de résistance saine dans un cénacle où, depuis longtemps, il n’y a plus de place pour la discussion et le débat. En cela, l’opposition de la Grèce a été un souffle nouveau et un réel vent d’espoir.
L’exemple grec
Tous les regards se sont alors tournés vers la Grèce. Soit elle gagnait l’affrontement et l’on pouvait enfin imaginer « une autre Europe », moins marchande et financière et plus politique et sociale. Soit elle perdait et alors l’Europe montrait par sa victoire que ses règles sont immuables et que tout le monde doit bien l’écouter sous peine d’en payer le prix.
Pour la Grèce et pour bon nombre d’européens déçus par l’économisme qui nous dirige, l’enjeu était de taille. Permettre, au sein des instances communes, qu’il y ait du conflit, c’est-à-dire des échanges d’idées avec des arguments basés sur des valeurs, c’est-à-dire, finalement, avoir la possibilité de dire simplement « je ne suis pas d’accord ». Cette bataille grecque apparaissait comme un début. Le début d’une autre Europe qu’il faut réformer pour lui faire prendre le visage d’une véritable démocratie. Gagner ce combat, c’est l’assurance de peser enfin.
Pour les institutions européennes, l’enjeu était de mettre à terre la Grèce pour prouver aux autres États que l’on ne peut pas impunément remettre en question le dogme. L’objectif était donc de tout faire pour ne rien changer. Gagner ce combat, c’est alors l’assurance de mener encore plus loin la logique marchande et même de passer les frontières de l’Europe pour gagner petit à petit le monde [6].
On le voit, il s’agit des deux côtés de la barrière d’un combat très important qui porte à conséquences. Des deux côtés, tout devait être mis en jeu pour gagner car, plus qu’une victoire ponctuelle, c’est une vision du monde qui est en question.
L’appel au peuple
Pour donner du poids à sa position et renforcer sa détermination à dire non à l’austérité telle qu’exigée de l’Europe, la Grèce a choisi (chose en soi déjà exceptionnelle car à l’encontre du fonctionnement « normal » de l’Europe [7]) de demander l’avis du peuple par référendum sur le nouveau cycle d’austérité exigé par la Troïka. Les grecs ont dit « non » à 61,3%, créant une panique du côté néolibéral et une forme d’euphorie dans le monde des européens réformistes. Mais l’euphorie n’a duré que l’espace d’une respiration.
Après cela, l’incompréhension totale est arrivée. Alexis Tsipras, qui avait appelé les Grecs à voter « non », s’est assis sur ce « non » et a dit un grand « oui » à la Troïka (sur l’échelle de la tromperie, après avoir refusé d’aller au-delà de 3, il a même accepté 7), acceptant les plans d’austérité et se mettant sous la coupe de l’Europe et du FMI. Ce n’est pas tout car, il a souhaité que son Ministre des finances, fervent défenseur du « non » et d’une position dure, démissionne. En langage trivial, on pourrait dire que le Premier ministre a « baissé son pantalon ». Celui qui allait en découdre avec l’Europe a en réalité, contre toute attente, renforcé la domination marchande et financière du monde. En rentrant dans le rang, Alexis Tsipras a déçu (mais décevoir n’est pas encore grave) et a empêché (c’est beaucoup plus grave) un débat politique pourtant indispensable. Sans nécessairement le vouloir, il laisse entendre aux États que l’on ne discute pas le dogme.
Le cynisme comme réponse
Alexis Tsipras, en très peu de temps, est devenu un vrai « politique » européen. Il en a enfilé le costume et le comportement. Il n’y a qu’à voir sa réaction face aux déçus de sa politique. Il s’est très cyniquement excusé auprès de tous les communistes du monde pour n’avoir pas, au nom d’un idéal, accepté d’abandonner la Grèce. Cette sortie n’a pas assez été analysée. Que dit-il ?
1. Il a sauvé la Grèce. Etonnante posture de héros pour quelqu’un qui prétendait sauver la Grèce justement par des arguments en complète opposition avec ceux qu’il adopte actuellement. Cette posture lui permet de se créer une respectabilité au niveau européen. D’opposant, il est devenu « responsable ». Il fait figure de « belle » qui ne sait pas dire non devant Don Juan et qui, dès lors, pour se convaincre elle-même, prétend qu’elle arrivera à faire de Don Juan un amoureux transi. Le mensonge de la séduction, encore.
2. Face au contexte global de l’Europe et face à l’économisme ambiant qui domine le monde, il estime qu’il n’est plus temps de rêver et il adopte dès lors un « principe de réalité » (disant qu’il voudrait que les choses ne soient pas ce qu’elles sont, mais qu’il constate malheureusement qu’elles sont comme elles sont et qu’il faut s’y soumettre). Ce faisant, il ignore que l’opposé du « principe de réalité » n’est pas un principe de mensonge mais un principe de plaisir. Et le plaisir, c’est justement ce qui nous manque dans notre vision du monde. Il est temps justement de quitter le principe de réalité pour adopter le principe de plaisir (qui comprend le rêve, l’amour, la poésie, etc.) [8]. L’occasion était rêvée de le faire. Occasion ratée.
3. Il range ses détracteurs du côté des communistes, c’est-à-dire, à l’entendre, des utopistes qui ne sont pas en prise avec la réalité. Ce faisant, il les décrédibilise. Il use en cela de la sémantique européenne, celle-là même que les européens lui servaient lorsqu’il adoptait une position contraire aux exigences de la Troïka. Pour les européens, il passait en effet pour un communiste, c’est-à-dire quelqu’un qui n’a pas les yeux en face des trous et qui ne sait pas encore qu’il existe un principe de base néolibéral : le très fameux TINA (there is no alternative). Décrédibiliser le contradicteur est une technique que l’on peut qualifier de « basse » car elle se passe d’arguments pour simplement user de dénigrements. Alexis Tsipras oublie une chose très importante, c’est que ses détracteurs ne se situent pas uniquement chez les communistes mais bien plus simplement chez les démocrates. Mais il est vrai qu’il est plus facile de traiter l’opposant de communiste plutôt que de démocrate.
Le costume que vient d’endosser Alexis Tsipras ne lui sied pas du tout. Mais pourtant, il persiste et signe, en démissionnant. Non pas parce qu’il estime que sa ligne politique entre en contradiction avec l’exigence populaire, mais en espérant que le peuple, par les élections, renforcera sa position de soumission. Coup de poker ? Probablement. Mais dans ce jeu politique, c’est la Grèce qui perd à tous les coups car si, comme je le disais en introduction, elle est un État référence, le cinéma qu’elle donne actuellement ne fait que renforcer les convaincu d’une Europe marchande et financière. A l’inverse, les réformistes perdent une bataille (mais pas la guerre pour autant) et, malheureusement, risquent aussi de perdre beaucoup de temps avant de faire entendre la raison, celle de la nécessaire réforme européenne, notamment au niveau des valeurs que doivent suivre les responsables politiques pour changer l’imaginaire collectif.
Conclusion
La Grèce est un État référence qui, comme je l’ai dit d’emblée, nous montre ce que nous sommes devenus et ce vers quoi nous allons. Mais à voir la Grèce actuelle, on se rend assez vite compte du mépris d’avance de l’Europe sur chacun des États. Et l’on se rend malheureusement compte que chacun des États, même s’il pense « non », fini par dire « oui » à ce Don Juan qui n’est pourtant ni séduisant, ni beau, ni intelligent. A voir cela, on peut aisément imaginer que ce que nous sommes devenus est triste à voir. Quant à ce que nous allons devenir… à nous d’échapper à Don Juan.