Formateur au CEPAG, Maurizio Vitullo revient sur les mécanismes qui ont conduit à la crise de 2008 et les promesses faites alors par les responsables politiques. Comparant la situation actuelle à la crise des années trente, il nous met en garde contre les risques de montée du populisme et du repli identitaire et nous invite à inventer un « socialisme écologique ».
La crise
Quatre ans après le déclenchement de la crise financière, une question reste en suspens. Sommes-nous passés à deux doigts de l’effondrement du capitalisme ou sommes-nous à deux doigts de sa destruction ? Difficile de répondre à la question. Pour certains, le coup porté est fatal. Les gesticulations du G20 et des institutions financières internationales, le maintiennent artificiellement en vie. Pour d’autres, l’optimisme reste de vigueur. Le capitalisme, au cours de son histoire, ne s’est-il pas toujours remis des périodes de crise qui émaillent cycliquement son développement ? La crise constitue une thérapie purificatrice dont les principales vertus sont de corriger les défaillances du modèle et d’éliminer les acteurs économiques inadaptés. Un grand nettoyage de printemps en quelque sorte.
Les causes explicatives de la crise divisent également les opinions. Pour la gauche anti-capitaliste, la sortie de route est inéluctable. La fin du capitalisme est inscrite dans les déviances intrinsèques de l’économie de marché. Pour la droite, libérale et conservatrice, il en va tout autrement. Le capitalisme ne souffre d’aucun manquement. Les crises sont provoquées par les mesures qui cadenassent les marchés et empêchent l’autorégulation d’agir efficacement, hors contrainte. « Laissez-nous entreprendre », telle était la solution préconisée béatement par le patronat belge pour sortir de la crise. C’est la croyance inébranlable en la capacité auto-cicatrisante des marchés par la croissance.
Tout esprit un temps soit peu lucide perçoit intuitivement l’absurdité de la posture. Ca sent le pompier pyromane à plein nez. Et pourtant, les mesures de relance économique avancées par les gouvernements poursuivent aveuglément la logique libérale et renforcent la dérégulation. On guérit le mal par un autre mal.
Comment en est-on arrivé là ? Le capitalisme est déconnecté depuis longtemps de l’économie réelle. Depuis une trentaine d’années, on assiste à une nouvelle « Grande transformation » du capitalisme. La déconnection s’est approfondie et a abouti à l’autonomisation, au sein même de la sphère économique, des activités financières et spéculatives.
C’est la faute à Jérôme, à Bernie…et aux Etats
On nage en pleine schizophrénie. D’un côté, tout le monde s’accorde à reconnaître que les raisons qui ont provoqué la crise financière de 2007 sont directement imputables au fonctionnement des places financières. De l’autre, on prend des mesures correctrices qui aboutissent toujours, in fine, à déresponsabiliser le monde de la finance.
Le système financier, acculé dans ses derniers retranchements, va déployer une double stratégie pour sortir de l’impasse. La première, dans l’urgence, aura pour objectif de personnaliser et d’individualiser les responsabilités. Ce sont les comportements et non la logique du système qui sont mis en cause. Deux personnages vont expliquer le naufrage. Un grand capitaine de la finance, Madoff et un simple matelot, Kerviel. Ils incarneront la purge du système. Leur hyper médiatisation permettra de donner un visage à la crise mais aussi et surtout d’affaiblir la critique du système financier. Si le système a dérapé, s’il dysfonctionne, ce n’est pas dû au caractère vicié de ses fondements, mais plutôt au comportement malhonnête de certains individus malintentionnés.
Devant cette manipulation orchestrée par les milieux financiers et portée par les mass médias, on en oublierait presque la vérité. La crise révèle que c’est tout le système financier qui est pourri, rongé de l’intérieur par le triomphe de la cupidité.
La seconde stratégie est plus complexe et se déploie dans la durée. Elle consiste à transférer la responsabilité de la prise de risque et du coût des réparations sur les populations et les Etats. Ils épongeront les dettes douteuses et une fois affaiblis seront attaqués frontalement par les marchés financiers et les spéculateurs.
L’illusion de l’Etat
Pendant les premiers mois, on a pu croire au retour triomphal de l’Etat. L’Etat providence, l’Etat sauveur, le garant ultime de la société se réveillait d’un long sommeil et reprenait en main la situation. Didier Reynders, Nicolas Sarkozy et leurs sbires devenant pour un temps les fervents défenseurs de l’Etat et de la nécessaire régulation de l’économie. Ils donnaient à voir la puissance publique. Oui, sauf que sous les apparences d’une mise au pas d’un capitalisme, ils ont, sans contrepartie et en dehors de tout débat démocratique, sacrifié les finances publiques et l’avenir de leurs citoyens. Un classique des politiques libérales : privatiser l’Etat, vendre les secteurs rentables et socialiser les pertes. Le monde financier a bien compris que l’argent public sera toujours le dernier rempart. Les financiers ont la garantie que l’argent public fera fonction de ‘air bag’ et les sauvera d’une mort certaine. Quelle injustice !
L’Etat livré au nationalisme et au populisme
Crise financière, crise bancaire, crise de l’économie « réelle », crise sociale, crise politique. C’est toute la machinerie sociétale qui se grippe. Seul point de comparaison, dans la mémoire historique, le krach de 1929. Dès les premiers jours, les dirigeants politiques se veulent rassurants. Tout sera mis en œuvre pour éviter la reproduction de ‘29. On reparle alors de contrôle, de régulation et de Keynes. Les gouvernants, dans un excès d’autoritarisme et de fumisterie, fustigeront les salaires des grands patrons et menaceront de limiter le revenu des actionnaires. Il fallait urgemment calmer le peuple et donner l’illusion que tout était sous contrôle.
L’analogie de ‘29 est terrifiante. Pas tant par l’ampleur du désastre économique qu’il suggère mais plutôt par les conséquences politiques qu’il laisse entrevoir. L’Histoire nous a appris que l’effondrement du capitalisme a ouvert un large boulevard aux courants populistes des années ‘30. Les fascistes et nationalistes ont produit une critique du capitalisme, avec les conséquences apocalyptiques que l’on connait. Sommes-nous condamnés à reproduire les mêmes dérives politiques ? Le risque est grand et chaque jour de plus en plus palpable. Le visage de l’Europe, en 2011, se radicalise. Les nationalistes et les partis d’extrême droite se profilent dans de nombreux pays européens. La Belgique avec l’émergence de la NVA ne fait pas exception. Quelles sont les alternatives de gauche à l’horizon ? Aucun projet de société ne semble émerger, ni dans les partis, ni au sein des acteurs de la société civile. Il y a pourtant urgence. La décennie 2010-2020 risque de devenir celle d’une montée inexorable du repli identitaire et des populistes.
Vers un Etat de moins en moins démocratique
Et la démocratie dans tout ça, où en est-elle ? Elle est en danger [1]. Je retiendrai ici trois facteurs importants qui agissent simultanément à l’encontre de nos démocraties.
D’abord, la recrudescence des partis populistes qui minent la démocratie de l’intérieur et la récupération par les partis plus traditionnels de thèmes de l’extrême-droite (question identitaire, peur du migrant, invasion des demandeurs d’asile, Islam,…). Les migrants et demandeurs d’asile sont en premières lignes et subissent de plus en plus des mesures anti-démocratiques, parfois jusqu’au crime.
Ensuite, la main mise d’acteurs internationaux (extranationaux, extra-européens) qui imposent des mesures non-négociables. L’ombre du FMI et des « marchés financiers » plane sur l’Europe. Un nouvel acteur a fait son apparition. Il se nomme « Agence de notation ». Elles évaluent les risques et notent la santé économique des acteurs. Et tout y passe, une entreprise, une région, un pays, un produit financier, un secteur d’activité,… Elles sont quelques unes, toutes américaines. Nous sommes ici en plein cœur de la dictature des marchés. A la veille de la crise des Subprimes, elles attribuaient un triple A aux produits dérivés pourris qui s’échangeaient sur les marchés ! Devant une telle incompétence, on s’attendrait à ce que les instances de régulation des marchés leur posent les scellés et les traduisent en justice. Ces agences sont illégales, anti-démocratiques et ne jouissent d’aucune légitimité démocratique internationale.
Enfin, la désillusion en la capacité de l’Etat de transformer véritablement les règles de l’économie de marché. Après les effets d’annonce, il est aujourd’hui évident que nous avons été trompés. Aucune mesure de régulation sérieuse n’a vu le jour, les banques renouent avec les bénéfices et reviennent à leurs pratiques douteuses. Les agences de notation, dans une amnésie sidérante, continuent à arbitrer et à attribuer les bons et mauvais points. La désintoxication n’a pas fonctionné. Les produits dérivés sont à nouveau échangés et la spéculation regagne de la vigueur. Bref la machine financière redémarre et laisse derrière elle des Etats exsangues, au bord de l’explosion. Cette situation provoque une incompréhension, un sentiment justifié d’injustice et une frustration grandissante qui s’exprimeront dans un rejet irrationnel de la Démocratie et du Politique.
La crise, quelles crises ? [2]
Le capitalisme respire. A une phase d’expansion succède ‘naturellement’ une phase de contraction. Ce sont les crises structurelles, parfaitement prévisibles et maitrisées au sein des cycles économiques. Il arrive également que l’expansion est telle que l’éclatement est inéluctable. On parle alors de bulles spéculatives dont l’effondrement entraîne, selon la taille de la bulle, des pans entiers de l’économie. En 2001, la bulle Internet explose. Très rapidement, les fonds quittent la nouvelle économie et investissent l’immobilier. Les meubles sont sauvés pour quelques années… En 2007, l’immobilier se désintègre et la déflagration spéculative est d’une ampleur et d’une puissance inégalée. L’onde de choc va se propager et atteindre l’économie productive. 2007, crise des prêts hypothécaires, les subprimes. 2008, crise de confiance entre les banques et paralysie des prêts interbancaires. 2009, injections massives de liquidités des Banques centrales et des Etats pour réanimer les marchés financiers. 2010, explosion des déficits publics et spirale de l’endettement. 2011, crise de la zone euro, plans d’austérité, crise sociale, crise politique, crise bancaire, crise de l’emploi, crise environnementale (climat et biodiversité), crise énergétique, crise alimentaire… Ces crises sont toutes globales et systémiques. Chacune de ces crises méritent toute notre attention. Le changement climatique et la disparition de la biodiversité sont certainement les plus grands défis à relever. Ils nous imposent un changement radical dans notre rapport au monde et une remise en cause de l’idéologie de la croissance, de la concurrence et du scientisme économique. Cette bifurcation, nous pourrons la négocier pacifiquement en inventant un nouveau ‘socialisme écologique’. Un socialisme non-productiviste orienté vers la croissance sociale et le bien-être des écosystèmes.