Deux sénateurs libéraux flamands viennent de déposer une proposition de loi visant à instaurer en Belgique des “flexi-jobs” s’inspirant à la fois des mini jobs allemands [1] et des contrats zéro heure en vigueur au Royaume-Uni.
L’objectif déclaré du texte de loi est d’autoriser des contrats de travail très flexibles dans certains secteurs à haute intensité de main-d’œuvre (par exemple la construction et le transport). Les employeurs pourraient y avoir recours en cas de surcroît de travail. Mais, contrairement à un contrat de travail classique, cette forme de contrat ne mentionne pas de temps de travail précis. L’employeur peut donc faire appel au travailleur à tout moment selon ses besoins. Les heures de travail sont par la suite communiquées à l’ONSS. Selon les auteurs de la proposition de loi, “Ce système est plus simple que le recours à du travail intérimaire”, et il serait plus attractif que les heures supplémentaires. “ Les travailleurs rechignent souvent à faire des heures sup parce qu’ils ne gagnent pas tellement plus.”
Les contrats zéro heure britanniques comme source d’inspiration
Malgré une économie stagnante, le Royaume-Uni maintient un taux de chômage relativement bas (8 %) en comparaison avec d’autres pays européens. En creusant un peu, ce relatif succès s’explique par un appel croissant à des contrats de travail très flexibles dont les contrats « zéro heure ».
Le Royaume-Uni connait déjà un marché du travail extrêmement flexible, les contrats « zéro heure » constituent une nouvelle étape dans la dérégulation des rapports entre employeurs et travailleurs, au détriment de ces derniers. Les contrats « zéro heure » existent depuis longtemps en Grande-Bretagne. Ils découlent des lois sur l’emploi et les salaires de 1996 et 1998. Ces deux textes stipulent qu’un salarié est lié par un contrat à son employeur, mais que ce dernier ne lui fournit aucun horaire fixe ni aucune garantie quant au nombre d’heures travaillées.
Dans un cas de figure idéal, les entreprises fournissent à leurs travailleurs un planning de travail avec une ou deux semaines d’avance. Ils ne sont cependant pas à l’abri de modifications de dernière minute ou s’il n’y a pas assez de travail ce jour-là d’être renvoyés chez eux – sans salaire bien entendu. L’idée à l’origine de ces contrats était de permettre à des entreprises qui connaissent des pics d’activité, ou qui sont confrontées à une demande ponctuelle, d’y répondre sans avoir recours à l’embauche de salariés permanents.
Depuis 2008 et l’aggravation de la situation économique, le phénomène des contrats zéro heure prend une ampleur considérable. Selon une étude publiée en 2013 par le Chartered Institute of Personnel and Development (CIPD), dont l’enquête se fonde sur les déclarations des employeurs, un million de Britanniques travaillerait sous ce statut.
Des récentes publications dans la presse anglophone ont permis de recenser les entreprises les plus friandes de ce type de contrat. Les chaînes de magasins de sport Sports Direct, les cinémas Cineworld, les pharmacies Boots et les chaînes de restauration rapide McDonald’s, Burger King ou Subway, sont parmi les plus gros employeurs de contrats « zéro heure ». Sports Direct, qui promet la livraison 24h sur 24, emploie 90% de son personnel avec des contrats zéro heure !
Nombre de ces entreprises fonctionnent ainsi « sur demande » : le travailleur fournit ses disponibilités à la signature du contrat. Il est alors sous contrainte permanente, susceptible d’être réquisitionné pour quelques heures de travail. Difficile dans ces conditions de compléter ses revenus avec un second job. Certaines entreprises interdisent même à leurs employés d’avoir une seconde activité, ou imposent des restrictions dissuasives. La chaîne Boots se réserve même la possibilité d’envoyer ses salariés « sur demande » dans n’importe quel magasin du pays. Quant aux employés de Subway, leurs contrats de travail stipulent qu’ils doivent renoncer à la limitation légale du temps de travail (48 heures par semaine).
Le journal britannique « The Guardian » révèle que même la fonction publique n’est pas à l’abri de ces pratiques. Durant l’été 2013, Buckingham Palace a embauché 350 personnes en contrat zéro heure pour gérer l’afflux de visiteurs. Et la direction de la demeure royale, sauf accord préalable, n’autorise pas ces salariés à exercer une seconde activité.
Le témoignage d’un jeune travailleur dans le journal français Libération relate ces pratiques. « Au bout du troisième jour, j’ai signé un contrat pour travailler dans un bar, afin de compléter mon activité d’assistant en langue dans un collège. » Sur le contrat, aucune durée de travail n’était précisée. Pas même une estimation sur le nombre d’heures à effectuer. Sans le savoir, le jeune venait de signer un « contrat zéro heure », synonyme d’ultra-flexibilité, dont les employeurs sont friands outre-Manche. « Mes horaires étaient affichés au planning deux semaines à l’avance. J’étais un salarié permanent, puisque le contrat est illimité dans le temps. Je n’avais pas de vacances, le patron me délivrait une prime en échange au bout de six mois. » Rémunéré 6,51 euros de l’heure (équivalent du salaire minimum en Grande-Bretagne), il travaillait en moyenne une quinzaine d’heures par semaine. Son deuxième contrat zéro heure l’avait amené dans un organisme culturel de l’Etat, la cinémathèque du British Film Institute. Sur environ 70 salariés, seulement 7 bénéficiaient d’un CDI. « Lorsqu’un gros film sortait en salles, je pouvais être sollicité jusqu’à 45 heures dans la semaine. Et la suivante ne faire que 12 heures ! »
Un retour au temps de Dickens [2] ?
Face à l’ampleur du phénomène, le principal syndicat de la fonction publique au Royaume-Uni, [Unison [3], s’est élevé contre l’utilisation de ces contrats et réclame la suppression de cette loi qui présente de grands inconvénients en comparaison avec un travail permanent et régulier, car à l’incertitude de travailler et d’être rémunéré, s’ajoute l’absence de congés payés et d’indemnités maladie, auxquels le statut ne donne pas droit.
Pour Dave Prentis, le secrétaire général du syndicat Unison, la loi « ramène le pays dans ses jours les plus sombres, quand les gens attendaient devant l’usine d’être choisi pour une journée de travail. »
Les sociétés qui utilisent ces contrats justifient cette flexibilité en disant de faire appel à des étudiants ou à des semi-retraités qui ont besoin de ces arrangements et qui ne s’en plaignent pas. Mais il est clair qu’il y a aussi de nombreux salariés qui subissent ces contrats : ils sont dans l’impossibilité d’organiser leur vie de famille ou d’avoir un rythme de vie régulier. De plus, les employés qui travaillent sous ce régime hésitent à prendre des congés ou à se déclarer malades, car l’employeur est en position de force pour distribuer les heures comme bon lui semble – ou les restreindre par mesure de rétorsion…
Le recours à ce système aboutit à des entreprises (ou des services publics) à deux niveaux. À Sports Direct, par exemple, 90 % des 23 000 employés ont des contrats « zéro heure » payés au salaire minimum, alors que les 10 % restants sont des salariés à temps plein pouvant gagner des primes annuelles allant jusqu’à 120 000 euros. Face à cette situation discriminatoire, une employée a porté plainte ce qui pourrait faire jurisprudence, ce qui est d’une grande importance pour le droit du travail au Royaume-Uni [4]
Pour l’éditorialiste du Guardian, Larry Elliot, le recours massif à ces contrats précaires nous ramène au XIXe siècle : « De la pure exploitation – le genre de conditions de travail qui ont donné naissance aux syndicats (…) C’est comme si la Grande-Bretagne avait remonté le temps, retournant à un âge où l’employeur avait le fouet en main et où les droits dont jouissaient les travailleurs sous le système féodal avaient été supprimés. »
Les contrats zéro heure également en Belgique ?
Plusieurs spécialistes du droit du travail belge ont été interrogés à ce sujet et apportent des précisions importantes concernant la législation belge.
Selon Gilbert Demez, professeur émérite en droit social à l’UCL, ce type de contrat n’est pas possible en Belgique. La loi belge précise que « l’employeur doit faire travailler le travailleur aux temps et lieux convenus ; et le payer en conséquence. Pour le temps partiel, par exemple, c’est un minimum d’un tiers du temps plein qui est exigé, sauf dérogation« précise-t-il. »Ce qui veut dire que le travailleur doit prester au minimum 13h par semaine". Et en être informé.
Charles-Eric Clesse, auditeur du travail à Charleroi, et professeur en droit social à l’ULB, précise : « En Belgique, si vous ne faites pas de contrat écrit, et que vous ne mentionnez pas le nombre d’heures, on considère que votre contrat est un contrat à temps plein », avec toutes les caractéristiques qui l’accompagnent.
L’extrême flexibilité de ce genre de contrat ne se rencontre heureusement pas (encore) chez nous. Ce que reconnait un des auteurs de la proposition de loi, le sénateur Rik Daems (Open VLD). Selon lui, le statut flexi-job « dérogerait à toute autre loi sociale, il s’agirait d’un régime spécifique, d’un nouveau statut ». Il s’agira de rester attentif à l’avenir pour éviter qu’une certaine frange du monde politique porte atteinte aux acquis sociaux sous le fallacieux prétexte de vouloir favoriser l’insertion des jeunes, des quinquas et des chômeurs de longue durée sur le marché du travail.
Sources
Thomas Cantaloube, Lorraine Khil
Grande-Bretagne : les contrats “zéro heure” rendent le travail toujours plus flexible.
Médiapart, 8 août 2013
Mathilde Siraud
Le contrat zéro-heure, la flexibilité made in Grande-Bretagne
Libération,9 août 2013
Claire Rainfroy
Au Royaume-Uni, le « contrat zéro heure » ne fait pas le bonheur de tous
Le Monde, 13.08.2013
L’Open Vld propose des « contrat 0 heure » contre 500 euros nets d’impôts
RTBF, 26 août 2013